Communication et organisation 46 | 2014 Design & projet De la spécificité du pr
Communication et organisation 46 | 2014 Design & projet De la spécificité du projet en design : une démonstration About the specificity of the project in design: a demonstration Stéphane Vial Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/communicationorganisation/4699 DOI : 10.4000/communicationorganisation.4699 ISBN : 979-10-300-0155-6 ISSN : 1775-3546 Éditeur Presses universitaires de Bordeaux Édition imprimée Date de publication : 1 décembre 2014 Pagination : 17-32 ISBN : 978-2-86781-905-6 ISSN : 1168-5549 Référence électronique Stéphane Vial, « De la spécificité du projet en design : une démonstration », Communication et organisation [En ligne], 46 | 2014, mis en ligne le 01 décembre 2017, consulté le 10 décembre 2020. URL : http://journals.openedition.org/communicationorganisation/4699 ; DOI : https://doi.org/ 10.4000/communicationorganisation.4699 © Presses universitaires de Bordeaux DOSSIER De la spécificité du projet en design : une démonstration Stéphane Vial1 Design et tropisme du projet : position du problème Pour un designer, rien ne semble plus naturel que la notion de projet. Dans les écoles de design, c’est ainsi que l’on nomme les travaux de conception auxquels se livrent les étudiants dans le cadre de l’atelier. « En tant que le lieu où, en principe, s’enseigne et s’apprend l’acte de design et la conduite de projet en design, l’atelier est considéré comme un endroit stratégique dans toutes les écoles de design » (Findeli & Bousbaci 2005 : 39). Dans le milieu professionnel, c’est également ainsi que l’on nomme non seulement les travaux en cours, mais aussi (c’est plus surprenant) les réalisations achevées. Au point où rares sont les agences de design ou d’architecture, en France comme à l’étranger, qui ne réservent pas, sur leur site Web ou leur portfolio, une rubrique entière aux « Projets ». Le projet se présente donc dans le champ du design comme le nom donné à une unité de travail de conception – que celle-ci aboutisse ou non à une réalisation. Là où l’artiste crée des œuvres pour des publics, le designer conçoit des projets pour des usagers. Par conséquent, du point de vue de la pratique, non seulement la notion de projet semble naturelle en design, mais plus encore structurelle. Tout se passe comme s’il existait un postulat fondamental et fondateur que résume l’équation suivante : « faire du design = faire du projet ». Dans cette perspective, on peut parler de tropisme du projet en design, au sens où celui-ci est entièrement tourné vers celui-là. Design et projet seraient en quelque sorte synonyme, ce que semble confirmer la littérature la plus avancée sur le sujet (on trouve par exemple, chez Findeli & Bousbaci, la formule suivante : « théories du projet en design (ou théories du design) », 2005 : 38). 1 Stéphane Vial est docteur en philosophie et maître de conférences en sciences du design à l’université de Nîmes, où il est responsable de la licence Arts appliqués et co-responsable du groupe de recherches PROJEKT. Chercheur à l’Institut ACTE UMR 8218 (Université Paris 1 Sorbonne/ CNRS). Il est notamment l’auteur de Court traité du design (PUF, « Quadrige », 2014, 2e éd.) et L’Être et l’Écran (PUF, 2013). Il est également consultant ; stephane.vial@unimes.fr 18 C&O n°46 Pourtant, chacun le sait, le design n’a pas le monopole du projet. Tout le monde fait des projets. « Quels sont vos projets pour cet été ? », entend-on couramment au sens de : « Qu’avez-vous l’intention de faire cet été ? » Sur ce point, les données lexicographiques sont claires : apparu dès le XVe siècle, « projet » est un terme de la langue courante, tant en français que dans les « grandes » langues européennes (progetto en italien, project en anglais, projekt en allemand)2. Du latin pro-jacere (jeter devant), qui donne l’ancien français pourget ou pourjet (1470), devenu ensuite project (1529) puis projet (1637)3, il désigne étymologiquement ce qui est jeté (-ject) en avant (pro-), qu’il s’agisse d’éléments abstraits se développant dans le temps (une idée, un plan à réaliser) ou d’éléments concrets se déployant dans l’espace (une « saillie de maison » telle qu’un balcon)4. Au XVIIIe siècle, il arrive même qu’on dise « avoir des projets sur quelqu’un » pour signifier « compter épouser quelqu’un » (on dit encore parfois aujourd’hui, en langage familier, « avoir des vues sur »). Cette extension très vaste du terme « projet » dans la langue courante, soulignons-le au passage, peut être rapprochée de l’usage existentiel élargi qu’en a fait la phénoménologie moderne (Boutinet, 1993 : 12 et suiv.), notamment chez Sartre : « L’homme est d’abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d’être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur ; rien n’existe préalablement à ce projet ; rien n’est au ciel intelligible, et l’homme sera d’abord ce qu’il aura projeté d’être » (Sartre, 1946 : 23). Derrière la diversité linguistique, c’est bien entendu une diversité de pratiques sociales, culturelles et théoriques du projet qu’il faut considérer (dont celles du design et de la phénoménologie existentielle ne sont que des types particuliers parmi d’autres). Non seulement tout le monde fait (ou a) des projets, mais la figure du projet est devenue en quelques décennies la matrice organisatrice de la plupart des activités humaines dans les sociétés postmodernes contemporaines. Dans sa monumentale Anthropologie du projet (1990), dont Alain Findeli et Rabah Bousbaci ont pu dire à juste titre qu’elle constitue à ce jour « la théorie du projet la plus riche » (Findeli & Bousbaci 2005 : 47), le psychosociologue Jean-Pierre Boutinet en dresse un tableau complet et quasi-exhaustif, et montre comment le projet est devenu un fait de société ou une « culture ». Il convient toutefois de préciser en quel sens très large Boutinet aborde la notion de projet. Par « projet », il entend toute conduite d’anticipation socialement observable, qu’elle soit individuelle ou collective. « Parler d’une anthropologie du projet, c’est finalement s’interroger sur la façon dont les individus, les groupes, les cultures vivent le temps » (Boutinet, 1990 : 5). À l’opposé des sociétés traditionnelles considérées comme « hors-projet » ou 2 Sur les subtiles nuances entre ces différentes langues, voir J.-P . Boutinet, Anthropologie du projet, PUF, 1990, réed. 2012, p. 13. 3 Descartes, Discours de la méthode, II : « le projet de l’ouvrage que j’entreprenais ». 4 Sur l’étymologie de « projet », voir Le Robert – Dictionnaire historique de la langue française (1998, tome 3), Le Trésor de la Langue Française Informatisée (en ligne), et J.-P . Boutinet, op. cit., 1990, p. 13-14, p. 116. 19 DOSSIER De la spéciicité du projet en design : une démonstration « sans-projet » (Boutinet, 1990 : 2) parce que tournées vers la conservation du passé et la ritualisation du présent (notamment par fatalisme religieux), les sociétés postmodernes contemporaines sont soucieuses de maîtriser l’avenir et cherchent activement à l’anticiper, le prévoir, le préparer. C’est ce à quoi œuvrent les multiples « conduites d’anticipation » (Boutinet, 1990) ou « conduites à projet » (Boutinet, 1993) contemporaines que sont par exemple le « projet d’orientation » des jeunes, le « projet d’aménagement » d’une région, le « projet pédagogique » d’une équipe d’enseignants, le « projet de loi », le « projet d’entreprise », le « projet de société », et bien entendu le « projet architectural » et le projet de design. Autant de formules consacrées par l’usage qui soulignent combien le projet est devenu, plus encore qu’un « concept incantatoire » (Boutinet, 1993 : 23), « une figure qui tente de s’imposer dans de nombreuses sphères de notre existence » (Boutinet, 1990 : 9). Figure 1 : Taxonomie des conduites à projet selon Boutinet (1993 : 27). 20 C&O n°46 Dans une société technicienne soumise à des impératifs de rendement toujours plus importants, nous sommes ainsi d’autant plus entraînés vers un « temps prospectif » que, si nous ne nous y adaptons pas, nous nous marginalisons et nous régressons, comme les exclus, vers la précarité du hors- projet et son lot de « contraintes du présent » qui empêchent « de prendre le recul nécessaire pour anticiper » (Boutinet, 1990 : 3). Ainsi, animés par « une sorte de volontarisme soucieux de tout maîtriser, de tout orienter ou réorienter » (Boutinet, 1993 : 7), « nous chargeons le futur de tous les espoirs » (Boutinet, 1993 : 58) et construisons nos vies en fonction de cette préoccupation. C’est pourquoi on assiste depuis une trentaine d’années à « une profusion de conduites anticipatives qui avoisinent l’acharnement projectif » (Boutinet, 1990 : 323) et constituent « un fait majeur de notre temps » (Boutinet, 1990 : 1). Tout l’effort de Boutinet consiste alors à rechercher une sorte de constante anthropologique dans la « variété des situations à projet » (1990 : 8), c’est-à- dire à « identifier les différentes fonctions que remplit tout projet dans notre culture par rapport à ce qui peut se passer dans d’autres cultures » (Boutinet, 1990 : 5). Son travail monumental aboutit à une analyse typologique des diverses formes d’anticipation observables et culmine notamment dans une gigantesque taxonomie des projets (Boutinet, 1990 : 127 ; uploads/Ingenierie_Lourd/ communicationorganisation-4699.pdf
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- Publié le Sep 10, 2022
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