La didactique des langues : les relations entre les plans psychologique, lingui
La didactique des langues : les relations entre les plans psychologique, linguistique et pédagogique Claude Germain Département de didactique des langues Université du Québec à Montréal (UQAM) germain.claude@uqam.ca Joan Netten Faculty of Education Memorial University of Newfoundland (MUN) joan.netten@sympatico.ca Jusqu’ici, en didactique des langues, l’étude du plan psychologique a été négligée en regard des plans linguistique et pédagogique : il n’est donc pas étonnant que les stratégies d’enseignement qui en découlent aient été peu développées. Par le passé, l’accent n’a été mis pour ainsi dire que sur les seuls aspects curriculaires du domaine, comme cela a été le cas, par exemple, dans Un niveau-seuil (qui a marqué l’orientation de l’enseignement des langues en milieu canadien) dans les années soixante-dix : en effet, rien n’est mentionné, dans ce volumineux document, sur le fondement de l’acquisition d’une langue seconde ou étrangère (L2/LE), non plus que sur les relations entre la conception de l’acquisition d’une L2/LE et les stratégies d’enseignement qui en découlent. Et, plus récemment, dans le Cadre européen commun de référence pour les langues (2000), au chapitre 6, on ne trouve qu’une timide tentative de rapprochement entre les deux notions. En règle générale, en didactique des langues, l’accent n’a été mis pour ainsi dire que sur les seuls aspects curriculaires. En effet, nombre de chercheurs se sont concentrés surtout sur l’objet à faire apprendre : la langue (le plan linguistique). C’est pourquoi les stratégies d’enseignement (le plan pédagogique), ainsi que le mode d’acquisition de la langue (le plan psychologique), ont été laissés pour compte. Et en cela, les chercheurs et théoriciens ont été étroitement suivis par les auteurs de manuels mis à la disposition des enseignants de langue. C’est ainsi que la didactique des langues souffre d’un sérieux déséquilibre dont on ne semble pas mesurer l’ampleur de l’impact. Au cours du présent article, nous nous intéresserons donc en particulier aux relations entre les trois plans majeurs de la didactique des langues : les plans psychologique, linguistique et pédagogique. Dans la première partie, nous ferons d’abord état de la conception de l’enseignement de la langue qui se dégage à la fois des manuels utilisés et de nos observations de classe; puis, de la conception de la langue qui est sous-jacente à cette conception de l’enseignement; et enfin, de la conception de l’acquisition de la langue qui est sous-jacente à ces deux conceptions. Dans la deuxième partie, nous procéderons dans l’ordre inverse : nous montrerons comment une autre conception de l’acquisition mène à une conception véritablement communicative de la langue, et partant, à un enseignement véritablement communicatif d’une L2/LE. 1 Première partie Dans la première partie, nous ferons d’abord état de la conception courante de l’enseignement d’une L2/LE; puis, nous montrerons que cette conception découle de la conception implicite que les enseignants se font de la langue, laquelle découle elle-même de la conception qu’ils ont de son mode d’acquisition. En d’autres mots, la façon d’enseigner la langue est tributaire de la conception que l’on se fait de la langue, cette dernière découlant elle-même de la conception que l’on se fait de son mode d’acquisition. Neveu F., Muni Toke V., Durand J., Klingler T., Mondada L., Prévost S. (éds.) Congrès Mondial de Linguistique Française - CMLF 2010 978-2-7598-0534-1, Paris, 2010, Institut de Linguistique Française Didactique et enseignement, français langue maternelle, français langue seconde DOI 10.1051/cmlf/2010100 CMLF2010 519 Article disponible sur le site http://www.linguistiquefrancaise.org ou http://dx.doi.org/10.1051/cmlf/2010100 1.1 Conception courante de l’enseignement de la langue Avant d’examiner une conception courante de l’enseignement de la langue, il importe de préciser qu’au Canada, depuis de très nombreuses années, les deux principaux régimes pédagogiques destinés à l’apprentissage du français langue seconde (FLS) sont : l’immersion et le français de base. L’immersion (précoce, moyenne ou tardive) consiste avant tout en l’apprentissage en français (au fil des ans) des matières scolaires, comme les mathématiques, les sciences, les sciences humaines ou sociales, etc., ce qui signifie que l’élève doit apprendre simultanément le FLS et certaines matières. Quant au français de base, qui débute le plus souvent en 4e année (élèves de 9 ans environ), il se caractérise par de brèves périodes, non successives, de 40 – 45 minutes par jour destinées à l’apprentissage du FLS, ce qui représente un total d’environ 90 heures par année scolaire ; c’est ce que nous appelons la méthode « au compte- gouttes » (drip-feed method). Or, au Canada, environ 85% des élèves qui apprennent le FLS sont en français de base et 15% en immersion. En règle générale, les élèves de l’immersion réussissent à communiquer avec aisance et spontanéité en français et développent, ainsi, une grande autonomie langagière (malgré des failles reconnues quant à la précision langagière). Par contre, même après plusieurs années d’apprentissage, comme on le verra ci-dessous à l’aide de données empiriques, la très grande majorité des élèves anglophones canadiens du français de base n’arrivent toujours pas à communiquer en français et ne développent pas un niveau satisfaisant d’autonomie langagière : ils ne recourent qu’à des phrases ou formules stéréotypées, n’ont pas d’initiative langagière et ne peuvent utiliser la langue avec spontanéité dans des situations authentiques de communication. Ainsi, au Canada, à quelques exceptions près, la très grande majorité des enseignants de FLS sont en français de base. Dans le cadre de ce régime pédagogique, nous avons pu identifier un certain nombre d’activités pédagogiques et de stratégies courantes d’enseignement (Germain et Netten, à paraître)1. Par exemple2, - faire mémoriser des listes de mots de vocabulaire sur les voitures (le pare-brise, les essuie-glaces, la ceinture de sécurité, etc.); - faire associer des mots de vocabulaire à différentes illustrations (un poisson, une tortue, une étoile, etc.); - faire associer, comme activité de « production orale », des illustrations à une liste d’expressions écrites (comme Vous permettez? – Oui, merci.); - proposer des exercices à trous afin de faire utiliser les partitifs appropriés du, de la, de l’, des (Qu’est-ce qu’il y a au menu? – Il y a… salade de tomates ou… saucisson); - faire conjuguer des verbes (par exemple, conjuguer les verbes être, avoir, faire, aller et venir au futur antérieur de l’indicatif, ou encore, « s’exprimer au passé »); - proposer une « grammaire en dialogues »; - proposer une « grammaire expliquée du français » (par exemple, la différence entre les auxiliaires être et avoir); - proposer des tableaux grammaticaux (par exemple, un tableau sur l’article défini, un tableau sur l’adjectif interrogatif quel, etc.); - proposer des activités de réinvestissement de ce qui a été appris au cours d’une unité pédagogique; - proposer des vrai ou faux; - dans la très grande majorité des cas, l’enseignant écrit au tableau les nouveaux mots de vocabulaire afin que l’élève puisse les reconnaître au moment de lire et qu’il puisse éventuellement les écrire correctement. Il faut cependant préciser que la plupart des activités pédagogiques et des stratégies d’enseignement utilisées en salle de classe sont inspirées des manuels ou guides pédagogiques employés en français de base au Canada. Mais, ce qu’il faut surtout remarquer est que toutes ces activités et stratégies visent à l’apprentissage d’un savoir explicite sur la langue, alors qu’on vise en réalité à la communication, ou à la capacité d’utiliser la langue dans des situations authentiques de communication. Le savoir explicite réfère au savoir qui peut être énoncé ou exprimé, dont une personne est consciente : par exemple, énoncer la règle de l’accord du participe passé avec avoir, réfère à un savoir explicite. À l’inverse, le fait de mettre l’adjectif épithète au bon endroit (en français, on dit : C’est un gros ballon rouge et non C’est un rouge gros ballon ou C’est un Neveu F., Muni Toke V., Durand J., Klingler T., Mondada L., Prévost S. (éds.) Congrès Mondial de Linguistique Française - CMLF 2010 978-2-7598-0534-1, Paris, 2010, Institut de Linguistique Française Didactique et enseignement, français langue maternelle, français langue seconde DOI 10.1051/cmlf/2010100 CMLF2010 520 rouge ballon gros), sans contrôle conscient, c’est-à-dire sans être en mesure d’en énoncer la règle, réfère à une compétence implicite, non consciente. Et l’un (le savoir) peut exister sans l’autre (l’habileté) et vice-versa. Ainsi, sur le plan linguistique, afin de parvenir à faire communiquer l’élève, on semble croire qu’il faille d’abord établir de solides bases portant sur le savoir langagier (lexique et grammaire) et que, suite à une série d’exercices, ce savoir va pouvoir se transformer en habileté à communiquer. Autrement dit, le conscient (ou savoir explicite), grâce à des exercices langagiers, va se transformer en non conscient (ou compétence implicite). 1.2 Conception sous-jacente de la langue Dans cette perspective, la langue est d’abord enseignée en tant qu’un objet d’études scolaires (en tant que savoir) plutôt qu’en tant que moyen de communication. En abordant l’acquisition de la langue comme on aborde l’acquisition des autres matières scolaires, sans s’en rendre compte, les enseignants de langue traitent cette dernière comme si elle était déjà connue. Par exemple, quand on enseigne les mathématiques en français à des élèves francophones, on présuppose, en quelque sorte, que le français est suffisamment connu pour pouvoir comprendre les concepts mathématiques. Les mathématiques sont ainsi abordées, uploads/Ingenierie_Lourd/ la-didactique-des-langues-les-relations-entre-les-plans-psychologique-linguistique-et-pedagogique-de-germain-c-amp-netten-j-2010-pp-519-537 1 .pdf
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- Publié le Apv 09, 2021
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