La pénicilline II. Détermination de la structure et synthèse d'un antibiotique

La pénicilline II. Détermination de la structure et synthèse d'un antibiotique Publié le 15/10/2006  Dossiers > Synthèse > Méthodologie en chimie organique , Dossiers transversaux > Sciences et Santé Niveau > 2nde , Terminale STL - SPCL , 1ère S Article rédigé par Hagop Demirdjian (professeur agrégé responsable du site ENS- DESCOCultureSciences-Chimie), relu par J.-B. Baudin (Sous-Directeur du Département de Chimie de l'ENS). Cet article fait partie du dossier pluridisciplinaire sur la santé. Table des matières Techniques d'analyse de la structure chimique L'analyse structurale dans les années 1940 Pourquoi essayer de déterminer la structure ? Une stratégie de production Élucidation de la structure de la pénicilline Un composé soufré ? Les différentes hypothèses La synthèse totale Des difficultés inattendues Une synthèse inutile ? Synthèse totale et pénicilline synthétiques Bibliographie - ressources en ligne Cet article fait suite à « la pénicilline I. Découverte d'un antibiotique » qui retrace l'histoire de la découverte des propriétés bactéricides de la pénicilline et la mise au point des procédés de production industrielle. Cette molécule est devenue le premier antibiotique à connaître une très large diffusion alors même que sa structure n'était pas établie de façon certaine. Le présent article s'intéresse à la détermination de sa structure ainsi qu'à sa synthèse. Techniques d'analyse de la structure chimique L'analyse structurale dans les années 1940 Au regard des techniques actuelles de caractérisation, la détermination de la structure d'une molécule telle que la pénicilline (figure 1) peut sembler simple aux chimistes d'aujourd'hui. Pourtant, au début des années 1940, la caractérisation d'un composé organique est une opération longue et délicate. Pour le comprendre nous allons rappeler de quels outils d'analyse disposaient les chimistes avant 1945. Figure 1. Structure de la pénicilline. Il faut d'abord garder à l'esprit que les méthodes de purification sont peu nombreuses et d'une efficacité limitée. Elles se résument essentiellement à deux techniques : la recristallisation et la distillation [1a]. La chromatographie en phase gazeuse ne se développe qu'au milieu des années 1950 et lorsque Abraham utilise la chromatographie d'adsorption pour purifier la pénicilline en 1940, il fait figure de pionnier : c'est une technique qui vient d'apparaître [2]. Les chimistes d'alors ne disposent de presque aucune des techniques spectroscopiques d'analyse structurale utilisées en routine aujourd'hui. La diffraction des rayons X commence à peine à être utilisée avec succès sur des cristaux moléculaires de molécules aromatiques simples [3]. Ce sont les premiers balbutiements de l'analyse par spectroscopie UV-visible et infrarouge : la spectroscopie UV- visible commencera à être appliquée sur des grosses molécules organiques à partir de 1945. C'est également à cette période que la spectroscopie infrarouge devient un outil d'analyse [4]. La spectrométrie de masse est utilisée pour analyser les molécules organiques à partir du milieu des années 1950 et il faut attendre les années 1960 pour que la RMN soit utilisée en chimie. En 1940, l'analyse structurale est encore un processus très long qui peut prendre plusieurs années, voire plusieurs décennies comme dans le cas des stérols [1b]. Ernst Chain[1] dira plus tard que « la pénicilline est probablement la dernière molécule organique d'origine biologique à avoir été analysée en faisant appel aux méthodes classiques de la chimie organique » [5]. Ces méthodes sont les suivantes [1c] :  L'analyse élémentaire : la dégradation d'une quantité de l'ordre de la centaine de milligramme de substance permet de déterminer ses proportions en carbone, hydrogène, azote et oxygène[2]. Elle permet également d'estimer la quantité d'halogènes, de phosphore, de soufre et des autres éléments. La micro-analyse permet de travailler sur des masses de produits inférieures à 5 mg.  La cryométrie et l'ébulliométrie permettent de déterminer la masse molaire.  Les tests chimiques permettent de connaître les fonctions présentes.  La dégradation de la molécule, en général par oxydation : les différents produits de dégradation sont à leur tour soumis à l'analyse structurale pour essayer de reconstruire la molécule de départ.  La dérivation de la molécule ou de ses résidus de dégradation par des voies de transformation connues. Dans les deux derniers cas, on compare les fragments issus de la dérivation et de la dégradation à des produits dont la structure est connue. L'exemple suivant montre comment établir, à l'aide de ces méthodes, la structure de deux molécules de même formule brute C2H4O2. Figure 2. Exemple d'analyse structurale de deux molécules de même formule brute C2H4O2. La molécule (a) soumise à l'action du pentachlorure de phosphore donne un composé chloré. Cela prouve la présence d'un groupe hydroxyle au sein de (a) qui peut donc être ré-écrit (C2H3O)OH. Son sel de sodium (C2H3O)ONa soumis à l'action de la soude NaOH à haute température produit un gaz identifié comme étant le méthane CH4 et le sel Na2CO3. Un des atomes d'hydrogène du méthane provient de la soude, (a) contient donc un radical méthyl -CH3. Cela permet de conclure que la structure de la molécule (a) est (CH3)-CO-OH avec une double liaison C=O pour respecter la valence du carbone. C'est l'acide éthanoïque. Cette structure peut être confirmée par synthèse. Il est connu que l'action de NaCH3 sur CO2 mène à l'acide éthanoïque. On peut vérifier que le composé synthétique est identique en tout point à (a). La molécule (b) ne réagit pas avec le pentachlorure de phosphore, ce qui permet d'exclure la présence d'un groupe hydroxyle. En revanche, son hydrolyse permet d'obtenir (c) de formule CH4O et (d) de formule CH2O2. L'obtention de CH3Cl par action du pentachlorure de phosphore permet d'identifier (c) au méthanol CH3OH, et la substitution par NH2 dans (d) prouve l'existence d'un groupe hydroxyle, ce qui permet d'aboutir à la structure (HCO)OH. (b) doit être le produit de condensation de (c) et (d), soit CH3O(OCH), le méthanoate de méthyle. Vérification par synthèse : le chauffage en milieu acide d'un mélange de méthanol et d'acide méthanoïque produit de l'eau et le méthanoate de méthyle en tout point identique à (b). Cet exemple montre que, même pour une molécule simple (moins de dix atomes, une seule fonction chimique, aucun stéréocentre), l'analyse requiert la mise en Å?uvre de plusieurs cycles de réaction / purification / caractérisation. On mesure dès lors les difficultés rencontrées pour des molécules de plusieurs dizaines d'atomes, polyfonctionnelles et à plusieurs stéréocentres comme la pénicilline. Pourquoi essayer de déterminer la structure ? Une stratégie de production Avant d'examiner plus précisément l'établissement de la structure de la pénicilline, il est utile de s'interroger sur le but poursuivi par les chercheurs. Il faut garder à l'esprit que la production de pénicilline entre 1940 et 1942 est très faible. Les doses obtenues par fermentation à partir du champignonPenicillium notatum permettent à peine de réaliser les essais cliniques. La possibilité de produire une substance permettant d'éviter l'infection des blessures est, en ces temps de guerre, une source de motivation très forte pour mettre au point une voie de synthèse totale de la molécule afin de la mettre en production industrielle. C'est dans l'espoir de mettre au point cette synthèse que Ernst Chain et Edward Abraham entament à Oxford, vers la fin de 1942, une collaboration avec Wilson Baker et Sir Robert Robinson[3] . Cette petite équipe collabore également avec Dorothy Hodgkin[4], pionnière des caractérisations structurales par diffraction des rayons X. Elle s'enrichira d'une quinzaine de collaborateurs au cours des années. L'effort de guerre amènera jusqu'à un millier de chimistes anglais et américains à travailler à la synthèse de la pénicilline jusqu'en 1945 [6]. Élucidation de la structure de la pénicilline Un composé soufré ? À la fin de 1941, très peu de caractéristiques structurales de la pénicilline sont établies. Les chercheurs ont constaté, en essayant d'améliorer le processus d'extraction, que l'activité antibactérienne disparaît en milieu acide ou basique et l'analyse élémentaire montre que la molécule contient de l'azote mais pas de soufre. Cette dernière donnée est très importante puisqu'elle oriente toutes les analyses ultérieures. En 1942, les produits de dégradation par hydrolyse acide sont caractérisés : il s'agit de dioxyde de carbone, d'un aldéhyde et d'un acide aminé. Ce dernier sera isolé par Abraham qui le nomme « pénicillamine ». La pénicillamine est analysée en posant l'hypothèse d'une molécule non-soufrée mais de nombreux résultats sont incohérents. La substance cristallisée est confiée pour analyse à Hodgkin et Baker. Ils remarquent que les quantités des éléments C, H, N déterminées par l'analyse élémentaire conduisent à déduire une proportion aberrante d'oxygène. Ils suggèrent de reconsidérer la présence du soufre et Baker prouvera cette présence par un test chimique : l'analyse élémentaire de départ était erronée. Cette correction permet d'interpréter plusieurs observations restées sans explications jusque là et relance l'activité des chercheurs. Les différentes hypothèses De nombreux progrès sont faits en 1943 : la structure de plusieurs produits de dégradation de la pénicilline est élucidée à l'aide de caractérisations chimiques et des hypothèses concernant la structure de la pénicilline sont émises. La première émane de Robinson qui propose l'existence d'un noyau oxazolone (figure 3 a). Chain et Abraham en revanche soutiennent qu'un noyau β-lactame, c'est à dire un amide cyclique à 4 chaînons, est au cÅ?ur de la structure (figure 3 b). uploads/Ingenierie_Lourd/ la-penicilline-ii.pdf

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