Le béton précontraint fiche histoire n°4 1 LE BETON PRECONTRAINT 1.1 FREYSSINET
Le béton précontraint fiche histoire n°4 1 LE BETON PRECONTRAINT 1.1 FREYSSINET ET LE BETON ARME 1.1.1 La genèse de l’invention Eugène Freyssinet a très tôt l’intuition du concept de la précontrainte - dès 1903 - lors de sa formation à l’école des Ponts et Chaussées, plus précisément durant le cours dispensé par Charles Rabut (1852-1925), sur le béton armé(1). Sa composition hybride, alliance de deux matériaux aux propriétés si différentes, le gêne d’emblée. A tel point qu’il l’a toujours considéré comme un mode de construction insatisfaisant et a constamment cherché à réduire au maximum le rôle des armatures métalliques dans ses ouvrages pour donner la primauté structurelle au béton et empêcher que la dilatation des mailles d’acier ne fragilise ses projets en provoquant des fissures dans les parties soumises aux efforts de traction. Ainsi, pour les remarquables ponts de Villeneuve-sur-Lot (1914-1919) et de Tonneins (1922), l’ingénieur va-t-il jusqu’à éliminer tout ferraillage. Basilique de Lourdes, 1958, Le Donné, Pinsard et Vago, architectes, STUP, bet et Campenon-Bernard, constructeur. Photo d.r. L’objectif de Freyssinet est de supprimer le caractère hybride du matériau en inventant un procédé inédit permettant au béton seul d’absorber les diverses charges et contraintes. Pour ce faire, Freyssinet a l’intuition qu’il suffit de comprimer le béton dès sa mise en oeuvre – le « pré-contraindre » – de sorte qu’il puisse absorber les efforts de tractions. Ces dernières en effet vont agir sur la structure en la « décomprimant », il faut donc calculer la précontrainte adéquate à appliquer afin que le béton demeure comprimé quelques soient les tensions qui apparaissent. (Voir fiche béton précontraint) Pour obtenir ce résultat, un préalable s’impose : la connaissance scientifique des lois qui président aux déformations différées du béton, seul moyen de pouvoir le précontraindre de manière appropriée. Au début du siècle, ces lois sont encore inconnues. Freyssinet entreprend de les découvrir. Directeur technique de l’entreprise Limousin, il utilise ses ouvrages comme modèles expérimentaux. Les aléas de son activité et du contexte historique (la Grande Guerre) ralentissent l’avancement de ses recherches. Elles aboutissent finalement en 1926, lors de la construction du majestueux pont de Plougastel (1925-1930), près de Brest, dans le Finistère. Pont Albert Louppe à Plougastel (Finistère), 1930, Freyssinet, ingénieur. Chaque arche de l’ouvrage atteint une portée record de 186 m. Photo d.r. En découvrant la loi de déformation lente du béton (son fluage) en fonction de sa résistance, des contraintes et du temps, l’ingénieur bouleverse alors la théorie contemporaine du comportement du matériau et, notamment, la normalisation officielle française – la fameuse « circulaire » de 1906. 1.1.2 Le brevet fondateur de 1928 Freyssinet publie une première synthèse de ses travaux en 1928 lors du congrès de l’Association internationale des ponts et charpentes (AIPC), à Vienne en Autriche, ce qui lui vaut une reconnaissance mondiale. La même année, le 2 octobre 1928, il dépose en collaboration avec l’ingénieur Jean Séailles (1883-1966) son brevet fondateur du béton précontraint. E. Freyssinet et J. Séailles, planche du brevet fondateur de la précontrainte, 1928. Photo d.r. Il est rapidement suivi de nombreux autres qui précisent les différents modes d’application de l’invention, ses systèmes techniques et outillages adaptés ainsi que les multiples procédés de production envisageables. Afin de développer la mise en oeuvre industrielle du béton précontraint, Freyssinet collabore à partir de 1929 avec l’entreprise Forclum à laquelle il cède une licence d’exploitation de ses brevets en vue de fabriquer en série des poteaux électriques, produit accédant alors à un marché économique porteur en raison du développement des réseaux de distribution. La précontrainte représente un atout commercial incontestable face à la concurrence car elle confère aux poteaux des performances très supérieures à celles présentées par les produits courants en béton armé, tant sur le plan de la résistance structurelle que du coût. En 1933, la production des poteaux peut donc débuter mais la crise économique mondiale, exportée par les Etats-Unis après le crash boursier de Wall Street en 1929, contraint Forclum à interrompre l’opération, ce qui conduit Freyssinet au bord de la ruine. 1.2 LA DIFFUSION DE LA TECHNOLOGIE 1.2.1 Le sauvetage de la gare maritime du Havre La carrière de l’ingénieur rebondit cependant en 1934 : cette année-là, la croisière inaugurale du plus prestigieux des paquebots français du moment, le Normandie, doit être lancée depuis la nouvelle gare maritime du Havre (1932-1934 ; Urbain Cassan, architecte) avec une couverture médiatique sans précédent. Or l’édifice flambant neuf menace de s’effondrer en raison de l’instabilité de ses fondations. Ne trouvant aucun constructeur prêt à se risquer dans la périlleuse opération de consolidation du bâtiment, le maître d’ouvrage fait appel, en dernier ressort, à Eugène Freyssinet qui accepte de relever le défi. Grâce à l’emploi du béton précontraint, son intervention s’avère un franc succès ; elle apporte à l’invention une notoriété immédiate et projette de nouveau Freyssinet à l’avant-garde de l’ingénierie française et internationale. A l’occasion d’une visite de chantier, il rencontre l’entrepreneur Edmé Campenon qui saisit immédiatement l’enjeu technique et commercial majeur que représente la maîtrise de la technologie mise au point par Freyssinet. En 1935, les deux hommes signent un contrat de collaboration selon lequel l’exploitation des brevets de la précontrainte est confiée à la firme présidée par Campenon, les établissements Campenon- Bernard dont Freyssinet devient l’ingénieur-conseil. 1.2.2 La création de la STUP Pour faciliter l’exploitation de ses brevets par d’autres sociétés, une filiale du puissant constructeur est fondée en 1943 sous la forme d’un bureau d’études dirigé par Freyssinet : la Société technique pour l’utilisation de la précontrainte, la STUP. Grâce au soutien de l’entrepreneur qui représente l’une des firmes françaises les plus dynamiques du moment, le béton précontraint va dès lors connaître une diffusion mondiale. Parmi les très nombreux ouvrages (viaducs, ponts et passerelles, barrages, caissons de fondation, tunnels, canalisations, phare, réservoirs, quais maritimes, pistes aéronautiques…) que Freyssinet conçoit à partir de 1935 pour Campenon-Bernard, le pont de Luzancy (1941-1945), sur la Marne, s’illustre sans conteste comme son premier chef-d’œuvre. L’intérêt historique de l’ouvrage ne concerne pas tant la performance de sa portée, somme toute modeste (55 m), mais plutôt son concept constructif révolutionnaire et sa dimension esthétique inédite. Le projet témoigne magistralement des avantages techniques et économiques de l’alliance de la précontrainte et de la préfabrication. Il se compose de voussoirs réalisés en série dans un atelier proche du projet à exécuter. Fournies par l’usine, ces pièces sont ensuite mises en œuvre à l’aide de câbles de précontrainte. Pont de Luzancy sur la Marne (1941-1945), Freyssinet, ingénieur. Photo d.r. Mise en œuvre du pont de Luzancy. L’ouvrage est constitué de voussoirs préfabriqués. Assemblés par précontrainte, ils forment des poutres qui sont placées entre les butées de rive au profil triangulé. La mise en œuvre s’effectue par un dispositif de levage inventé par Freyssinet. Photo d.r. Entre 1947 et 1951, cinq autres ponts sur la Marne de 74 m de portée (à Annet, Trilbardou, Esbly, Ussy et Changis-Saint-Jean) sont conçus et exécutés d’après le modèle de Luzancy. Pont d’Esbly. Vue du tablier en sous-face. On repère bien les poutres franchissant la Marne entre les butées de rive. Photo d.r. Ces ponts inaugurent une esthétique neuve, propre à la nouvelle technique. Abolissant la distinction traditionnelle entre arches et tablier, les ouvrages franchissent la Marne à l’instar d’une structure plane. Ils paraissent simplement prolonger la route dont la chaussée traverserait la rivière, comme sans effort. La suppression de tout contact entre l’ouvrage plat et l’eau, la pureté des lignes structurelles, le design racé des fines culées triangulaires libèrent une impression sans précédent de légèreté, voire de survol, une esthétique de tension dynamique qui exprime pleinement le concept technique de la précontrainte. Celui-ci ne repose plus seulement sur les principes de masse et de gravité - impliquant une distribution verticale et plongeante des forces - mais sur l’idée de performance accrue grâce à l’introduction préalable de forces qui renforcent la résistance de la structure et génère une distribution principalement horizontale et non plus verticale des principale contraintes. Développant ses recherches, Freyssinet construit en 1953 trois viaducs similaires à Caracas (Vénézuela). Leur travée principale de 150 m de portée emploie une arche unique. Parallèlement aux ouvrages d’art, l’ingénieur met au point de nombreux autres projets dans le domaine des Travaux Publics. Considéré unanimement comme le plus grand ingénieur du XXe siècle – et il le sait -, il achève sa carrière par un dernier chef d’œuvre alliant prouesse technologique et beauté plastique : le pont routier Saint-Michel à Toulouse (1959-1962). 1.2.3 Une révolution dans l’art de bâtir Innovation constructive majeure, la précontrainte a bouleversé l’art de construire du XXe siècle et inauguré une esthétique architecturale inédite. Elle a joué un rôle historique considérable, comparable à celui des grandes inventions précédentes de l’ingénierie tel l’arc porteur romain, la voûte ogivale médiévale ou encore l’emploi des nouveaux matériaux industriels à partir du XIXe siècle (métal et béton armé). Son concept est universel, générique, c’est-à-dire qu’il peut s’appliquer à tous types de matériaux et de structures comme les résilles en câbles ou les toiles prétendues, par exemple, dont l’Allemand Otto Frei uploads/Ingenierie_Lourd/ le-beton-precontraint.pdf
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- Publié le Oct 19, 2021
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