« MORT À LA DÉMOCRATIE » “MORT À LA DÉMO- CRATIE” Léon de Mattis agit’prop Révi
« MORT À LA DÉMOCRATIE » “MORT À LA DÉMO- CRATIE” Léon de Mattis agit’prop Révision : Xavier Garnerin Conception graphique : Audrey Thomas & Johanne de Monès © L’ALTIPLANO, 2007 ISBN : 978-2-35346-002-1 www.laltiplano.fr post- scriptum au scrutin municipal de 1989 1 « Les enfants croient au Père Noël. Les adultes votent. » Pierre Desproges « Demain se joue sur un seul tour. » Partout, c’est la même tête bronzée sur fond bleu et le même slogan. « Demain se joue sur un seul tour » : ça, c’est parce que les « socialo- communissstes » ont introduit une dose de proportionnelle lors de ces élections législatives. Il y a longtemps que les communistes ne sont plus au gouvernement, mais on parle encore des « socialo-communissstes » en appuyant sur le s final. Le président, c’est « Mittrrand » sans prononcer le é. Tous les sondages promettent la victoire à la droite et celle- ci n’a pas l’intention de laisser s’échapper ce qui lui est dû. C’est pour cela que les murs se sont couverts de la tête bronzée qui sourit en murmurant « ouistiti sexe ». Chaque mur, chaque feu rouge, chaque abribus, répète à l’envie, sur tous les tons, à toutes les heures, la formule magique du sourire publicitaire. « Ouistiti sexe. » « Ouistiti sexe. » « Ouis titi sexe. » Un coup de bombe, et la tête de Chirac disparaît der rière un petit cercle de peinture noire. Je ne prends pas la peine de masquer le sigle du parti ou les slogans qui barrent les affiches. C’est Chirac que je veux effacer : ses promesses qui n’engagent que ceux qui veulent y croire, sa gueule de politicien sûr de son succès, son sourire de faux-cul. Effacer Chirac. Depuis que j’ai des souvenirs, « Mort à la démocratie » 8 j’ai toujours entendu parler de Jacques Chirac. Jacques Chirac chef du gouvernement. Jacques Chirac fondateur du RPR. Jacques Chirac maire de Paris. Jacques Chirac leader de l’opposition. En vérité, des affiches, il y en a vraiment beaucoup. J’ai commencé en bas de chez moi : ce sont celles qui me gênent le plus puisque je passe devant tous les jours. Puis je me suis éloigné mais, en une demi-heure, je n’ai pas dû parcourir plus de deux cents mètres en faisant le tour d’une grande place parisienne. C’est l’heure du déjeuner, il y a beaucoup de monde dans la rue mais la plupart des passants sont indifférents à ce que je fais. Juste, à un moment, je me fais invectiver par un petit vieux mais je n’y prête pas attention. « Tu n’as rien d’autre à foutre ? Tu ne pourrais pas trouver quelque chose de plus utile à faire ? » Et même quand la voiture s’arrête à côté de moi en fai sant crisser ses pneus, je ne réalise pas. Je ne fais même pas un geste pour échapper aux trois fonctionnaires qui en sortent. Deux me font monter dans la voiture pendant que le troisième s’attache à relever le numéro du meuble urbain (une sorte d’armoire électrique ?) sur lequel est col lée l’affiche que j’étais en train de recouvrir. Je ne savais même pas que ces trucs avaient une immatriculation. On n’a pas beaucoup de chemin à faire : le poste se trouve sur la place même où je me suis fait arrêter. De la guérite on devait m’apercevoir. Comme j’ai la peau claire, que j’ai grandi au centre de Paris et que je n’ai jamais rien volé d’autre que des tablettes de chocolat au Mono prix, je ne connais strictement rien aux flics. 9 Je suis descendu de chez moi sans prendre mes papiers. Les flics semblent ennuyés. « Mais je peux aller les chercher », je suggère. O.K. : la voiture fait demi-tour et parcourt les deux cents mètres qui nous séparent de ma rue. Ma mère n’est pas à la maison : il n’y a que ma petite amie, effrayée de me voir revenir entre deux uniformes. « Ce n’est rien », je murmure en passant et en allant chercher ma carte d’identité dans ma chambre. Les flics m’attendent à la porte. Je suppose qu’ils font cela parce qu’ils n’ont pas le droit de pénétrer dans un domicile, mais en même temps je n’en sais rien : s’ils étaient rentrés, je n’aurais pas su les en empêcher. Je suis majeur depuis très peu de temps et c’est une chance pour moi. De retour au poste, les flics m’amènent fièrement devant un brigadier à moustache planté derrière un comptoir (ce n’est pas de ma faute : il a vraiment des moustaches). On exhibe ma bombe aérosol. Il est question du délit de dégra dation d’une armoire électrique et d’affiches recouvertes de peinture. Le brigadier ne comprend pas : qu’est-ce qui est recouvert de peinture ? Une armoire électrique ou une affiche ? Le flic de la patrouille perd contenance. Il s’agit d’une affiche électorale qui est collée sur une armoire élec trique. Ah bon ! mais puisque la peinture n’a été appliquée que sur l’affiche qui était elle-même sur l’armoire élec trique, et non pas directement sur l’armoire électrique, il n’y a pas de dégradation et donc pas matière à poursuites. Le petit flic, écrasé par l’implacable logique brigadière, ne trouve rien à répondre. Le brigadier ordonne de me confisquer ma bombe et de me rendre la liberté, puis il se désintéresse de moi. Mes Post-scriptum au scrutin municipal de 1989 « Mort à la démocratie » 10 trois flics repartent en patrouille à la recherche d’un gibier plus intéressant. J’attends facilement une demi-heure, et un jeune bleu me prend à part pour un relevé d’identité. « Ce n’est pas pour des raisons politiques », se justifie-t-il. Il a l’air mal à l’aise. Il sait que j’ai recouvert des affiches du RPR. « C’est normal : on doit faire respecter l’ordre public. Mais ce n’est pas pour des raisons politiques. » Je ne réponds rien : je ne sais pas pourquoi il cherche à se justifier. Pour la première fois, je suis confronté à cette chose étrange et que je ne comprendrais jamais : la mau vaise conscience du flic de gauche. En sortant du poste, je ne me dis qu’une chose : seul, on ne peut rien faire. 2 Le droit de vote, il y a des gens qui sont morts pour ça. Il y a aussi des gens qui sont morts pour défendre la chancellerie du Reich. Il y en a qui sont morts pour Verdun. On peut mourir pour la gloire et les honneurs, ou pour l’exemple, ou pour rien. Beaucoup de gens sont morts parce qu’il faut bien mourir un jour. Il y a aussi des gens qui sont morts pour avoir improprement mani- pulé un appareil électrique dans leur salle de bains, comme Claude François (paix à son âme). En 1988, j’appartiens au parti depuis deux ans, et je n’y ai pas fait grand-chose. Il faut dire que le parti, au niveau local, n’a aucune activité ou presque. Environ une fois par mois, il y a une réunion de section. Après les rappels d’usage concernant les cotisations impayées, la réunion aborde une discussion de politique générale. Chacun peut donner son avis, de toute façon, cela n’engage à rien. Pourtant, depuis peu, quelque chose a changé. Je me sou viens des deux années écoulées et je mesure la différence. En septembre 1986, la droite avait remporté les législa tives de mars et c’était la période incertaine de la première cohabitation. Chirac était Premier ministre, Mitterrand toujours président et la question de l’élection de 1988 était dans tous les esprits. Le parti venait de gouverner pendant cinq ans, et, durant cette période, la gauche avait entre autres pris le « tournant de la rigueur », soutenu le déploie ment des euromissiles et coulé le Raimbow Warrior. « Mort à la démocratie » 12 Ce soir-là, ils devaient être une petite trentaine. À les voir, on comprenait que ce n’étaient pas vraiment des militants ouvriers : mais je ne serais initié que plus tard au who’s who des militants de cette section. Le débat portait sur les retraites et le sujet ne m’intéressait pas du tout. Je réclame la parole. Le secrétaire de section, qui a la charge de présider aux débats, me la donne avec un sourire, tout heureux de présenter un nouveau militant, jeune qui plus est dans un parti vieillissant. Je parle d’abord en hésitant, puis, petit à petit, je prends de l’assurance. La situation ne peut plus durer. On peut discuter de tel ou tel aspect particulier, mais on aboutit toujours à une impasse si on ne prend pas le problème à la racine. Toute la question est liée au système écono mique. On sait que le capitalisme ne peut pas faire face aux innombrables maux qu’il engendre. Il faut donc aller vers une forme de rupture progressive avec le modèle économique dominant, une sorte de révolution qui serait la seule réponse possible uploads/Ingenierie_Lourd/ le-on-de-mattis-quot-mort-a-la-de-mocratie-quot-l-x27-altiplano-2007.pdf
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- Publié le Apv 28, 2022
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