Le projet urbain nantais : une mise à l’épreuve du modèle Bilbao Amélie Nicolas
Le projet urbain nantais : une mise à l’épreuve du modèle Bilbao Amélie Nicolas Dossier : Actualités des modèles urbanistiques La référence à Bilbao et à ses transformations urbaines a circulé dans la culture des professionnels des projets urbains de nombreuses villes européennes. À Nantes, la réussite de Bilbao a alimenté les réflexions stratégiques et programmatiques du projet de l’île de Nantes, jusqu’à ce que l’évocation de critiques à l’encontre d’un « modèle Bilbao » finisse de justifier les spécificités d’un « urbanisme à la nantaise » prétendant, lui aussi, à l’exemplarité d’un modèle. À Nantes, la fermeture définitive des chantiers navals Dubigeon en 1987 aura, plus que tout autre événement, initié une réflexion autour d’un grand projet de centralité métropolitaine sur un territoire de 330 hectares situé au cœur de la Loire urbaine. C’est à la suite d’un marché de définition lancé par la ville en 1998 que le projet de l’île de Nantes démarre réellement. Il suit alors la consolidation, depuis 1989, d’un gouvernement urbain autour d’un maire-entrepreneur, Jean-Marc Ayrault, pilotant le leadership local (Smith et Sorbets 2003). Dix ans plus tard, la campagne pour les élections municipales, en 2008, se cristallise sur la place de la culture dans les projets de renouvellement urbain, et principalement sur les choix assumés par l’équipe municipale sortante de ne pas s’engager dans la construction d’un équipement phare sur l’île de Nantes. Sophie Jozan, candidate UMP, annonçait ainsi en contrepoint des options culturelles et architecturales choisies : « Il faut un Guggenheim sur l’île de Nantes », alors même que circulaient, dans les cultures professionnelles des aménageurs, l’exemplarité d’un « urbanisme à la nantaise » (Devisme 2009), donnant la priorité à l’aménagement des espaces publics et à leur animation plutôt qu’à un projet d’équipement à l’architecture remarquable. Au-delà de cette controverse électorale se pose la question d’un imaginaire politique qui, à Nantes, s’est en grande partie nourri de la référence, devenue incontournable, à Bilbao dans l’élaboration et l’instrumentation des politiques urbaines. Nous avons interrogé la manière dont les acteurs du projet nantais avaient engagé des relations politiques ou professionnelles avec les élites urbaines de Bilbao, participant ainsi d’une circulation des modèles urbains1. La référence à Bilbao et à ses transformations urbaines a bien nourri le fantasme nantais de la reconnaissance internationale d’une métropole capable de se distinguer. Cependant, l’évocation, dans un second temps, d’un « syndrome Bilbao » a permis aux élus et aménageurs nantais de se distinguer d’un projet et d’une manière de faire la ville qui pouvaient déjà faire l’objet de critiques. 1 Cette interrogation avait déjà pu être posée dans le cadre d’une recherche de doctorat en sociologie, intitulée Usages sociaux de la mémoire et projet d’aménagement urbain. Les héritages industriels et portuaires à l’épreuve du projet de l’île de Nantes, soutenue par l’auteur à l’université de Nantes en 2009. 1 Le « fantasme Bilbao », ou la réussite urbanistique du couple économie–culture La ville de Bilbao impressionne par la rapidité avec laquelle elle a assumé un virage post- industriel associé à une internationalisation de son projet urbain2. Onze ans seulement après la fermeture des chantiers navals Euskalduna en 1986 – événement le plus symptomatique d’une crise touchant l’ensemble du système industrialo-portuaire de la Ría – ouvrait, sur cette vaste friche urbaine, le musée de la fondation Guggenheim. Ce qui a fortement marqué le projet de Bilbao, c’est le choix du design architectural et urbain autour d’une politique culturelle d’ampleur internationale, autorisant une communication inédite du projet sur la scène extérieure3. Bilbao n’est plus, du moins dans sa ville-centre, « la cité minière riche et laide » décrite par Hemingway, et aime à le dire (Masboungi 2001). Le projet du métro dont l’ensemble des stations ont été dessinées par l’architecte Norman Foster, l’aéroport international de Santiago Calatrava, les nouveaux franchissements de la Ría, l’édification de buildings dont les tours jumelles d’Isozaki ou la tour Iberdrola de César Pelli, ont été, à la suite du Guggenheim de Frank O. Gehry, l’occasion de faire appel à des architectes renommés. Cette exigence d’un design urbain capable de symboliser le renouveau de Bilbao accompagne des transformations lourdes des infrastructures portuaires et de transports à l’échelle de l’estuaire, favorisant la rencontre entre les corps de métiers des architectes et des ingénieurs. Pour Nantes comme pour de nombreuses villes dans les années 1990, Bilbao fait modèle par la façon dont le dialogue entre ville et port a été conçu autour du couple économie et culture (Rodrigues Malta 2004). « À l’avenir, aucune ville ne sera économiquement importante sans être également culturellement remarquable » signalait Ibon Arezo, premier adjoint au maire de Bilbao chargé de l’équipement et de l’urbanisme (Masboungi 2001, p. 104). Face au chiffre d’affaires du musée Guggenheim et à l’importance de sa fréquentation, qui déborde désormais sur les autres établissements culturels de la ville, devant l’allongement des durées des séjours à Bilbao et le développement des croisières, les acteurs urbains sont convaincus des retombées économiques, en matière de tourisme principalement, d’un équipement culturel majeur associé à une architecture iconique. Le succès des musées comme équipement phare de ces grandes opérations, confirmant un passage du musée-conservateur au musée-entrepreneur, est particulièrement révélateur d’une instrumentalisation de la culture dans les politiques urbaines de développement économique (Vivant 2008). Bilbao, c’est aussi l’affirmation d’un choix politique et sa traduction par des outils inédits de planification et de gestion du projet urbain. Bilbao Ría 2000, une société publique ad hoc entièrement dédiée aux transformations des secteurs clés de la ville, est un instrument de conduite du projet qui a fortement marqué les élus et les aménageurs d’autres villes pour son efficience stratégique et opérationnelle. La maîtrise d’ouvrage a, en effet, eu un rôle clé de fédération des acteurs publics autour du projet (Frébault 2005), dans un contexte de fortes concurrences politiques. Du point de vue opérationnel, la société a été conçue pour récupérer le foncier des zones dégradées ou les surfaces industrielles en déclin de l’aire métropolitaine de Bilbao. Les terrains cédés à Bilbao Ría 2000 par ses actionnaires ont autorisé la société à réaliser des plus-values très importantes lorsqu’elle les a revendus à des promoteurs, ceci étant particulièrement observable sur la façade d’Abandoibarra et autour du musée Guggenheim. Ces marges dégagées ont ensuite permis à Bilbao Ría 2000 d’agir avec vigueur sur des quartiers « moins rentables » (Chadoin et al. 2000). Cette expérience a valu à Pablo Otaola, directeur de Bilbao Ría 2000, d’être sollicité de nombreuses fois par les acteurs nantais au point de devenir un invité de choix dans l’ensemble des congrès d’aménageurs que la métropole pilotait ou accueillait. Le voyage à Bilbao était devenu 2 En 2004, Bilbao reçoit le prix « Città d’acqua » du meilleur projet urbain du monde, au cours de la biennale de Venise, ainsi que le Prix européen de planification urbaine et régionale. 3 Le pavillon de la ville de Bilbao à l’Exposition universelle de Shanghai en 2010 peut être considéré comme le fait le plus marquant de cette communication à l’échelle internationale sur les transformations urbaines de Bilbao. 2 incontournable pour les jeunes chargés de mission ou d’opération qui souhaitaient s’engager sur le projet nantais. La réflexion sur la forme à donner à la maîtrise d’ouvrage urbaine du projet de l’île de Nantes est passée par quelques hésitations. La mission Île de Nantes–Rives de Loire, reliée à la Direction générale des projets de la communauté urbaine, a vite fait apparaître l’écueil d’une maîtrise d’ouvrage totalement centrée sur la collectivité et organisée par elle, présentant l’inconvénient d’une certaine lenteur dans le passage à l’acte. C’est alors le choix de l’externalisation de la maîtrise d’ouvrage dans une société d’économie mixte, la Société d’aménagement de la métropole ouest- atlantique (SAMOA), toujours fortement reliée à la collectivité publique, qui a prévalu. À la faveur d’une gestion vue comme exemplaire à Bilbao, et pensée comme capable d’engendrer une dynamique collective et consensuelle avec l’ensemble des acteurs concernés, Nantes a réussi progressivement à se hisser au rang des métropoles remarquées pour les « bonnes pratiques » (Devisme et al. 2009), notamment urbanistiques, qu’elle a mises en œuvre. Le « syndrome Bilbao », ou les enjeux de la différenciation du projet nantais La mise en œuvre générale du projet de Bilbao a conduit les acteurs nantais, sinon à l’imiter, du moins à s’en imprégner fortement. Cependant, les choix et les contenus des aménagements restent très différents à Nantes. Les acteurs du projet nantais font ainsi émerger tour à tour un « fantasme Bilbao » puis un « syndrome Bilbao » : syndrome, précisément sur la question de l’identité de la ville renouvelée à partir d’un urbanisme collectionnant des pièces architecturales jugées décontextualisées. Presque dix ans séparent les deux projets, et les critiques d’un modèle Bilbao avaient déjà pu dénoncer une marchandisation de la ville associée à une standardisation architecturale et culturelle. Ces critiques dénonçant le « McGuggenheim » ou l’ « Euskodisney » ont d’abord été formulées par des universitaires (Zulaïka 1997), avant d’être bientôt exportées dans le monde des professionnels de la ville. L’une uploads/Ingenierie_Lourd/ le-projet-urbain-nantais-sur-le-modele-bilbao 1 .pdf
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- Publié le Oct 23, 2021
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