La préposition est-elle toujours la tête d’un groupe prépositionnel ? 11 LA PRÉ

La préposition est-elle toujours la tête d’un groupe prépositionnel ? 11 LA PRÉPOSITION EST -ELLE TOUJOURS LA TÊTE D’UN GROUPE PRÉPOSITIONNEL ? Ludo MELIS* KU Leuven Comme partie du discours, la préposition peut être définie par des propriétés sémantiques et syntaxiques ; dans une étude récente, M. Tremblay (1999) avance des arguments précis pour traiter la préposition comme un objet syntaxique, plus exactement comme une catégorie lexicale qui sert de tête à un constituant endophrastique, le groupe ou syntagme prépositionnel. Cette caractérisation s’appliquerait non seulement aux prépositions individuelles, membres de la classe, mais elle permettrait également de distinguer celle-ci des classes voisines de l’adverbe et du coordonnant. Or, comme je voudrais le montrer dans cette communication, cette caractérisation ne convient pas à tous les emplois des lexèmes habituellement rangés dans la catégorie préposition, ce qui soulève à nouveau le problème de la définition de la classe. Dans la première section, je présenterai les propriétés que je voudrais examiner et les quatre sections suivantes seront consacrées à leur discussion. En conclusion, je tenterai de dégager quelques pistes de recherche. * Blijde Inkomststraat 21 – B-3000 Leuven (Belgique) – ludo.melis@arts.kuleuven.ac.be A Syntaxe du groupe prépositionnel Melis, Ludo. 2001. “La préposition est-elle toujours la tête d'un groupe prépositionnel ?”. Travaux de Linguistique 42-43. 11-22. Ludo MELIS 12 1. Propriétés de la préposition comme tête du groupe prépositionnel Les exemples sous [1] illustrent la syntaxe ordinaire de la préposition : [1] La fille de Françoise compte sur ses amis pour résoudre ce problème. Les voisins dînent dans le jardin ou sur la terrasse. Les diverses prépositions introduisent un complément, avec lequel elles forment un groupe, qui sert à son tour de complément à un autre élément de la phrase. Cette description succincte, conforme aux vues de la tradition grammaticale (Grevisse-Goosse 1993, § 987) peut être précisée grâce à quatre propriétés qui feront l’objet d’une étude plus détaillée : 1° la préposition a un complément (v. 2.) ; 2° cet ensemble forme un constituant qui est une île syntaxique, c’est-à-dire un domaine restrictif pour certaines opérations, telle l’extraction (v. 3.); 3° ce constituant est endophrastique, il est un groupe prépositionnel (v. 4.); 4° ce groupe prépositionnel dépend, sur le plan syntaxique, d’une tête externe (v. 5.). J’écarterai de l’examen d’autres propriétés générales, comme la possibilité que la préposition soit précédée d’un spécifieur de degré : [2] Il s’est arrêté juste / à peu près devant la maison. ainsi que les propriétés spécifiques de certaines prépositions, telles que à, de ou en qui semblent pouvoir être considérées comme des clitiques prenant appui sur le complément introduit : [3] Il faut donner un coup de fer au pantalon et à la chemise froissés. L’émission traitera des livres et des films qui sortent le mois prochain. Vu les limitations d’espace, l’examen se fera en outre à partir de cas spécifiques, illustratifs d’un certain phénomène et les références seront limitées. 2. La propriété complémentation Il est communément admis que la préposition a un complément dont elle détermine la catégorie syntaxique (v. le tableau dans Le Goffic 1993 : § 295) et que ce complément est unique et obligatoire. En plus, il est, au moins implicitement, entendu que cette propriété distingue la préposition, transitive, de l’adverbe, réputé intransitif. Or, il existe des prépositions qui ne sélectionnent pas leur complément (2.1.), d’autres qui construisent plus d’un complément (2.2.) ou qui peuvent apparaître sans complément, provoquant une hésitation quant à leur statut ‘préposition ou adverbe’, tandis que certains adverbes sont accompagnés d’un complément (2.3.). La préposition est-elle toujours la tête d’un groupe prépositionnel ? 13 2.1. Les prépositions a-sélectives Sauf, ainsi que d’autres termes servant à rendre l’exception, est habituellement rangé parmi les prépositions (Grevisse-Goosse 1993, § 988). Un tel jugement est certainement justifié pour des emplois comme [4] : [4] Sauf erreur (de ma part), ce film muet date de 1924. Sauf avis défavorable (de l’administration départementale), vous pouvez exécuter les travaux projetés. Sauf prend pour complément un groupe nominal non déterminé et ressemble sur ce point à la préposition en. Il existe apparemment d’autres possibilités : un groupe nominal plein [5], un groupe prépositionnel [6], un infinitif introduit par à [7] ou une que-phrase [8] : [5] Il ne boit pas de café sauf le matin. [6] La gestion du Crédit Lyonnais ne se départage pas de celle des banques concurrentes, c’est le moins que l’on puisse dire. Sauf sur la transparence des rémunérations des dirigeants. (L’Humanité 08/03/2000) [7] Ce prince aimait à se servir de ces intrigants, sauf à les loger ensuite dans une cage de fer. (Michelet, cité PR3, s.v. sauf) [8] Cette histoire est rigoureusement vraie sauf qu’elle ne s’est point, bien entendu, passée rue Guy-de-la-Brosse (Mille, cité Sandfeld 19652, p. 34) La combinatoire de sauf illustrée dans [5] à [8] est parallèle à celle de pour, mis à part la présence de à devant l’infinitif en [7]1. Or, les exemples [9] à [12] obligent à revoir cette première analyse. [9] Il a tout lu sauf ce document. Il a lu le texte sauf les notes. [10] Il avait tout prévu, sauf (de) se tromper. [11] Il se souvient de tout sauf de cet épisode. [12] Il a cherché dans tous les recoins possibles / partout sauf au grenier. Dans ces cas, le verbe constructeur détermine la catégorie syntaxique du complément de sauf et son mode de construction. Ainsi s’expliquent la présence d’une préposition après sauf en [11], [12] et corrélativement l’absence de préposition en [9], ainsi que l’apparition, facultative, de de devant l’infinitif en [10]. En plus, la présence du groupe introduit par sauf est corrélée à celle d’un autre constituant qui réfère à un tout, tandis que le complément de sauf réfère à une partie de ce tout. Dans ces cas, le complément est donc triplement contraint : par le verbe constructeur pour ce qui est de ses propriétés syntaxiques, par le constituant parallèle, qui restreint le champ référentiel, et par sauf même qui impose la relation méronymique liée à l’interprétation exceptive. Ludo MELIS 14 Pour mon propos, l’observation cruciale est que sauf n’exerce pas de contrainte syntaxique sur la forme de son complément. Or, cette même conclusion pourrait être avancée pour les exemples [5]-[7] et, moyennant l’élimination de que et partant la reconversion de la subordonnée en incidente, pour [8]. La possibilité que d’autres subordonnants apparaissent après sauf constitue un argument dans le même sens : [13] Elle le fera sauf si tu lui demandes d’abandonner. Dans la plupart de ses emplois2, sauf ne manifeste donc pas la propriété de sélection du complément. Il existe dès lors des prépositions a-sélectives ou plus exactement des emplois a-sélectifs de certaines prépositions. 2.2. Les prépositions à double complémentation Si la plupart des prépositions ont un complément, éventuellement complexe à cause de la coordination, certaines d’entre elles peuvent avoir deux compléments situés de part et d’autre de la préposition. Cet emploi de la préposition en interposition (Borillo 1995 ; Melis 2000), illustré par [14] à [17], constitue une autre entorse à la définition syntaxique canonique, même si la préposition détermine dans ce cas la structure des deux compléments, qui doivent être des N nus parallèles : [14] Il a reçu coup sur coup deux appels de Paris. Il a glosé le texte mot à mot. [15] Il a commis erreur sur erreur. Il a annoté / effacé ligne après ligne. [16] Le critique opposait citation à citation. Il a rendu coup pour coup. [17] Ils étaient cinq à six (personnes). En [14] apparaît un seul constituant prépositionnel construit autour d’une tête, la préposition, qui commande deux compléments symétriques ; ce constituant remplit une fonction accessoire dans la phrase. En [15], la situation est plus complexe, le groupe à interposition remplit une fonction essentielle de type direct ; la préposition lie bien, d’un point de vue interne, les deux noms, mais elle ne fonctionne pas comme tête par rapport au verbe, surtout dans le cas où celui-ci n’admet pas de complément nul, comme cela s’observe pour commettre. Dans les exemples sous [16], la situation est plus complexe encore, la structure nom-prép-nom forme un tout du point de vue interne, mais elle est distribuée sur deux fonctions – celle de complément direct et celle de complément indirect – ou deux positions argumentales. Enfin, en [17], la préposition en interposition détermine la structure interne du déterminant de quantité ou du pronom correspondant, mais ne fonctionne pas comme tête dans le contexte syntaxique plus large. La préposition est-elle toujours la tête d’un groupe prépositionnel ? 15 2.3. L’absence de complément Contrairement à ce que la définition traditionnelle suggère, le complément de la préposition n’est pas indispensable et il a été reconnu depuis longtemps qu’il existe des prépositions à complément nul ou sans complément observable. Dans la plupart des cas, le contexte fournit les informations nécessaires à l’interprétation et le complément nul peut être interprété comme une anaphore : [18] Es-tu en faveur de cette proposition ou contre ? La balle roule et il court après. Le phénomène est en complémentarité avec la uploads/Ingenierie_Lourd/ melis-preposition 1 .pdf

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