Quest ions de st yle, n° 9, 2012, p. 1-25, 15 mars 2012 http://www.unicaen.fr/s
Quest ions de st yle, n° 9, 2012, p. 1-25, 15 mars 2012 http://www.unicaen.fr/services/puc/revues/thl/questionsdestyle/print.php?dossier=dossier9&fi le=01vouilloux.xml Pour en fi nir avec l’impressionnisme littéraire. Un essai de métastylistique Bernard Vouilloux Université Paris IV-Sorbonne Résumé : À travers le cas de l’impressionnisme littéraire, cet article se propose d’interroger une forme de « réalisme » qui s’est construite sur « un rapport au référent orienté par la notion de fi délité » (selon les termes de l’argumentaire). Véritable mythe critique forgé sur le moment par Ferdinand Brunetière et Paul Bourget, amplifi é par les approches psychologiques de la culture et repris une génération plus tard par la philologie allemande pour être systématisé par Charles Bally et son école à travers l’opposition entre expressionnisme et impressionnisme, cette notion en appelle à deux catégories de présupposés. D’une part, les présupposés sur le rapport entre le fait pictural et la perception visuelle qu’avait mis en place la doxa impressionniste (le discours des peintres et des critiques) : le peintre est à même de voir et de faire voir les choses comme il les perçoit et non comme il les conçoit. D’autre part, les présupposés sur l’articulation entre cognition et perception dans le langage, ou, comme on disait au XIX e siècle, entre la couche intellectuelle des « idées » et la couche préjugée brute des « sensations », tout se passant comme si l’expression verbale était à même elle aussi d’exprimer non ce qui est conçu, mais ce qui est perçu, senti. Que cette construction idéologique d’époque (qui eut sa nécessité sur un plan autojustifi catif) puisse être alléguée encore aujourd’hui dans des histoires de la langue et des formes littéraires est pour le moins surprenant. Sa « révision » est donc plus que jamais à l’ordre du jour. Abstract: Th rough the case of the literary impressionism, this paper would questioning a sort of “realism” which built itself on “a relationship to the referent directed by the notion of accuracy” (according to the terms of the call for papers). As critical myth forged over the moment by Ferdinand Brunetière and Paul Bourget, amplifi ed by the psychological approaches of the culture and reassumed a generation later by the german philology to be systematized by Charles Bally and his school through the opposition between expressionism and impressionism, this notion calls it to two categories of presuppositions. On one hand, the presuppositions on the relationship between the pictorial fact and the visual perception that had set up the impressionistic doxa (the speech of the painters and the critics): the painter is able to see and to show things as he perceives them and not as he conceives them. On the other hand, the presuppositions on the relationship between cognition and perception in the language, or, as man said in the XIXth century, between the intellectual layer of the “ideas” and the prejudged raw layer of the “sensations”, everything taking place as if the verbal expression was able too to express not what is conceived, but what is perceived, felt. Th at this ideological construction of period (which had its necessity on an autojustifi catory plan) can be even adduced today in histories of language and literary forms is surprising at least. Its “revision” is thus more than ever for the agenda. – 2 – Bernard Vouilloux Une notion toujours active La notion d’impressionnisme littéraire et celle d’écriture artiste, qui lui est souvent associée, ont été intronisées la même année, en 1879 : la première, par un critique – Ferdinand Brunetière dans un compte rendu des Rois en exil d’Alphonse Daudet 1 ; la seconde, par un écrivain – Edmond de Goncourt dans sa préface aux Frères Zemganno . Chacun, « dans son rôle », distribue les points : le critique ne cache pas son hostilité aux nouvelles tendances de la littérature telles qu’elles se font jour en particulier à travers l’œuvre des Goncourt ; quant au romancier, il cherche à démanteler l’équation que le naturalisme zolien a posée entre le réalisme et « ce qui est bas » : Le Réalisme, pour user du mot bête, du mot drapeau, n’a pas en eff et l’unique mission de décrire ce qui est bas, ce qui est répugnant, ce qui pue, il est venu au monde aussi, lui, pour défi nir dans de l’écriture artiste , ce qui est élevé, ce qui est joli, ce qui sent bon, et encore pour donner les aspects et les profi ls des êtres raffi nés et des choses riches 2. Depuis 1879, les deux notions ont poursuivi une longue et féconde carrière dans les champs de la critique littéraire, des histoires de la littérature et de la langue françaises, ainsi que dans le domaine des études stylistiques et même linguistiques. C’est ainsi que le « moment impressionniste » a encore toute sa place dans l’ouvrage collectif publié sous la direction de Gilles Philippe et Julien Piat, La Langue littéraire 3, dont la thèse centrale est que la « recherche d’un lien entre formes grammaticales et processus mentaux » a structuré l’« autonomisation de la langue littéraire en France » 4. Entre l’époque de Flaubert et celle de Claude Simon, les auteurs distinguent trois grandes séquences : le moment « impressionniste », entre 1850 et 1920, « qui voulut obtenir une langue capable de rendre compte du phénomène en tant qu’il apparaît à la conscience » ; le moment « endophasique », entre 1920 et 1940, tourné vers la transcription du discours intérieur, de ce fl ux mental dont l’écriture fi ctionnelle, et elle seule, peut chercher légitimement à produire, à travers le monologue intérieur, un analogon verbal ; le moment « phénoménologique », entre 1940 et 1980, qui tente de reconstruire les « opérations de l’esprit, qu’elles soient verbales ou non ». Depuis les interventions des premiers critiques, tel Brunetière, et surtout depuis les travaux des premiers historiens, tel Louis Petit de Julleville 5, les observations recueillies, qu’elles l’aient été dans une perspective critique ou descriptive, historique 1. Ferdinand Brunetière, « L’impressionnisme dans le roman » [1879], Le Roman naturaliste , 7 e éd., Paris, Calmann-Lévy, 1896, p. 75-102. 2. Edmond de Goncourt, Les Frères Zemganno , Paris, G. Charpentier, 1879, préface, p. VIII. 3. La Langue littéraire. Une histoire de la prose en France de Gustave Flaubert à Claude Simon , Gilles Philippe et Julien Piat (dir.), Paris, Fayard, 2009, en particulier p. 91-102, 156-159 et 367. 4. Ibid. , p. 91, ainsi que les citations suivantes (dans le chapitre intitulé « La langue littéraire, le phénomène et la pensée », dû à Gilles Philippe). 5. Histoire de la langue et de la littérature française des origines à 1900 , Louis Petit de Julleville (éd.), Paris, A. Colin, 1899, t. VIII, Dix-neuvième siècle. Période contemporaine (1850-1900) . On se reportera aux deux sections suivantes : « L’impressionnisme », p. 183-202, par Georges Pellissier, auteur du chapitre sur le roman ; « Les impressionnistes », p. 776-782, par Ferdinand Brunot, auteur du chapitre sur la langue. – 3 – Réalisme(s) et réalité(s) ou monographique, ont fi ni par constituer un vaste corpus de « stylèmes ». Ces relevés ont commencé à être eff ectués de manière systématique dès la génération de Ferdinand Brunot, qui collabore à l’ Histoire de la langue et de la littérature française des origines à 1900 de Petit de Julleville, et il semble diffi cile d’y ajouter rien aujourd’hui qui puisse modifi er substantiellement le profi l proprement descriptif des faits observés. Recours aux constructions parataxiques et aux phrases sans verbe, « aff aiblissement de la valeur processuelle du verbe au profi t de sa valeur phénoménale », inversion du rapport entre caractérisé et caractérisant (dans des constructions nominales du type le nu de la chair ), fl outage du support référentiel par l’emploi de déterminants indéfi nis, etc. : les traits de style mentionnés dans La Langue littéraire ont été identifi és de longue date. Aussi bien, si la notion d’impressionnisme littéraire mérite d’être interrogée aujourd’hui, c’est moins pour les données qu’elle subsume que pour le modèle explicatif d’ordre causal sur lequel elle repose et pour ce qu’elle présuppose quant à l’articulation entre l’expression linguistique et la perception. Aux origines du modèle explicatif Le modèle explicatif mis en jeu à l’apparition de la notion aura connu deux grandes variantes. La première repose sur l’hypothèse d’une modélisation de l’expression littéraire par cette peinture qui, dès les années 1870, est qualifi ée d’« impressionniste » : le mot avait été lancé à titre de boutade en 1874 par le journaliste Eugène Leroy chroniquant dans Le Charivari la première exposition impressionniste, puis il avait été repris dès 1877 par les intéressés eux-mêmes, si bien que Brunetière put s’en emparer dans son article « L’impressionnisme dans le roman ». Rendant compte du roman récemment publié par Daudet, Les Rois en exil , il s’essaie à cerner les tendances dominantes de la littérature du jour. Les quelques faits de style qu’il épingle exemplifi ent pour lui la subordination de la littérature à la uploads/Litterature/ 01-vouilloux.pdf
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- Publié le Mar 22, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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