39 L’Autre qui n’existe pas et ses Comités d’éthique Éric Laurent et Jacques- A

39 L’Autre qui n’existe pas et ses Comités d’éthique Éric Laurent et Jacques- Alain Miller Troisième séance de séminaire (mercredi 4 décembre 1996) Éric Laurent : Je vais poursuivre à partir du point où la dernière fois j'ai été arrêté par la montre, mais je voudrais aussi dire les échos que j'ai recueillis, les petites phrases qui ont attiré mon attention, en écho à ce que je disais. Alors il y en a deux qui sont revenues sous des formes diverses, la première, c'est s'il vous plaît, mettez les noms au tableau. Plusieurs personnes me l'ont dite et évidemment ça fonctionne comme un signal du fait qu’il y en a peut-être un peu trop, trop de noms propres nuit, donc j'en tiens compte. Et puis la deuxième c'est qu’on m'a dit vous pourriez peut-être reprendre le début de la démonstration. Alors je me suis dit que c'était exactement ce que j'allais faire, de reprendre le fil de la démonstration par laquelle je suis la thèse énoncée par Jacques-Alain Miller que L'Autre n'existe pas. Je comprends qu'après tout on trouve qu’il y a beaucoup de noms propres puisque nous sommes partis d'un pensionnat Vienne fin de siècle pour en arriver à la communauté des femmes hors pensionnat, réunie à Pékin, énonçant une thèse universelle. Je suis parti donc de la thèse freudienne, la troisième identification distinguée dans Massenpsychologie, identification au symptôme prélevé sur l'autre indifférent, au sens de l'autre comme tous les autres, pour souligner qu'il nécessitait une identification préalable forte. Le on du pensionnat suppose un Autre qui existe, certes un Autre en remaniement, dans des processus de transformation, Vienne fin de siècle, mais qui existe. Pour le souligner j'ai pris non pas l'exemple du pensionnat de jeunes filles mais celui des pensionnats de garçons anglais. En soulignant comment dans l'avant- guerre, deuxième, ces pensionnats avaient formé des jeunes gens, individualistes, mais qui avaient su, collectivement, répondre à un appel pour former très rapidement un corps d'élite, la chasse aérienne, qui a essentiellement recruté parmi les diplômés d'universités d'Oxford et de Cambridge, ce qui a permis donc aux anglais de se ressaisir. Je soulignais ensuite que le multiculturalisme actuel ne permet plus de former des pensionnats, des communautés du même ordre que celles qu'a encore connues Freud, dans le melting pot de l'empire Austro-hongrois. Je me suis intéressé ainsi au pensionnat généralisé, moderne, aux formes d'établissements universitaires où la tentative de langue commune du discours universitaire dans le moment qui s'est qualifié de politiquement E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comités d'éthique, séminaire 3 - 4/12/96. 40 correct vient masquer le fait de la très grande différenciation et de l'hétérogénéité de communauté. Et je me suis donc intéressé à la nature de ces identifications faibles, là où existe, comme le dit Jacques-Alain Miller, un sentiment de fragmentation discursif. Là où ça n'est pas le signifiant du Nom-du-Père qui collectivise mais le signifiant maître pluralisé comme le signifiant « au nom de quoi je parle », dans les termes qui étaient utilisés. Le temps de la débilité délibérative donne une forme nouvelle aux épidémies hystériques. Si donc à suivre le mathème (que j'écris au tableau) de J.-A. Miller nous avions les deux modes de complétude du sujet du côté de l'idéal, du côté de l'objet, en ces temps où l'idéal apparaît toujours présent dans son exigence mais ne traitant plus la jouissance dont il s'agit, laissant cela au signifiant maître pluralisé, et bien nous n'obtenions plus des épidémies hystériques sous la formes des convulsionnaires de Saint- Médard, des possédées de Loudun, mais nous obtenions cette épidémie plus fragmentée, centrée sur des procès judiciaires, pris en série, qui ne se centralise pas avec un grand Inquisiteur, comme à Loudun, mais qui diffuse dans une jurisprudence, mobilise des experts judiciaires, psychologiques, toujours plus spécialisés dans le trouble qui essaie d'être visé et qui au fond souligne cette identification fragmentée, et pulvérise le contexte. Alors la thèse était que le pensionnat moderne ressemble bien plus à ces formes hystériques, ces épidémies hystériques fragmentées, plutôt centrées sur un mode de vie où on reconnaît l'Autre. Ça n'est pas l'identification forte de secte qui est en jeu, dans ce type d'épidémie que je disais, mais l'identification débile à l'épidémie de procès. Bien que faible, cette épidémie définit un mode de socialité fragmentée, une épidémie à côté d'une autre, qui ne se mélange pas, ne se comprend pas, et à partir de là surgit un souci : comment parler à l'Autre et définir des formes plus larges de communautés ?, et c'est le souci donc de ces auteurs, de ces philosophes tant américains qu’allemands, dans la tradition démocratique allemande, définir des formes de vie à partir desquelles on se comprend et où on peut s'entendre, jusqu'où ces communautés les dématérialiser, jusqu’où ne pas en faire un horizon à partir duquel on ne peut plus penser. D'où le mot d'ordre « comment faire pour à la fois vivre localement et penser globalement ? », Think global, vote local. C'est le « comment E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comités d'éthique, séminaire 3 - 4/12/96. 41 penser... », ce qui n'est pas forcément exaltant. On s'interroge ainsi sur le mode de communauté qui peut relier les deux niveaux, jusqu'où ce mode de communauté formée à partir de l'individualisme peut atteindre le niveau de prise en masse plus important et on s'interroge sur quel est le village, quel est l'Autre, qui convient à un sujet ainsi défini dans son malaise. Troisième point, je suis ainsi passé à considérer un style de vie et à considérer comment le local du style de vie peut atteindre le global. Et je l'ai fait sur un test, si je puis dire, puisqu’il s’agit de natalité, le test qui permet de constater que si l'on suit les considérations globales au niveau de la natalité, et s'il n'y a pas de catastrophe, à mesure que la situation des femmes se dérégule sur la planète, qu'elles s'excluent de la tradition des pensionnats et de l'assujettissement aux normes des maris ou des pères et là, je veux distinguer ça tout à fait de la question de la norme mâle, comme dit Lacan, ça a des rapports, la tyrannie des maris et des pères avec la norme mâle mais ça n'épuise pas toute la question. Et bien à mesure que ça donne un certain style de vie, inédit jusque là, on arrive à penser qu'on pourra atteindre une sorte d'équilibre, sur une question aussi centrale que la reproduction, toujours point essentiel pour assurer la stabilité des formes politiques d'organisation de nos sociétés. Depuis que l'économie existe, il a existé le point de vue malthusien, c'est-à-dire le point de vue de considérer que le facteur crucial dans toute économie c'est le contrôle de la population, avec le point de vue pessimiste malthusien et ses adversaires qui ont tout de suite existé. Alors est-ce qu’il simplement s'agit de l'accomplissement de la loi des grands nombres ? Tout système, une fois qu'on a suffisamment d'éléments, finit par trouver un équilibre, c'est le point de vue physicien sur la question. S'agit-il en fait de la diffusion partout du standard, du maître politique, la famille américaine, nucléaire, diffusé par la télévision suffisamment pour provoquer cette épidémie de familles nucléaires ? Est-ce un repli sur l'égoïsme, est-ce une issue hors de l'esclavage reproductif ? Ce sont les questions ouvertes au niveau de la position féminine, au niveau global. Ne pourrait-on plutôt pas dire qu'à mesure qu'en effet la position féminine s'extrait de la tradition, est-ce que la réduction du nombre d'enfants ne maintient pas ouverte, pour la première fois dans l'histoire, la position féminine non- réduite, non-saturée par la position maternelle ? Est-ce que le taux qui s'approche de la reproduction, c'est-à- dire deux enfants et quelque, le célèbre 2 enfants virgule 3 (2,3), avec la plaisanterie classique qui est « aux États-Unis les femmes ont 2,3 enfants mais surtout chaque enfant a 2,3 familles... » Est-ce que l'on obtient pas plutôt une sorte de limite qui n'est ni celle des grands nombres, ni celle de l'égoïsme, mais qui est plutôt celle de la limite de la division subjective. Et qu'au fond la psychanalyse laisserait plutôt penser que le sujet côté féminin comme le sujet côté masculin et E. LAURENT, J.-A. MILLER, L'Autre qui n'existe pas et ses comités d'éthique, séminaire 3 - 4/12/96. 42 autrement, maintient sa division. Il s'agirait moins d'empowerment, il s'agirait moins de prise de pouvoir de sujet égoïste, qu'au fond d'affirmation d'un rapport avec l'Autre de la division. Est-ce que ce ne serait pas l'exercice de la vertu de générosité, côté féminin ? J'en étais donc arrivé là. Du pensionnat à cette communauté planétaire, de la crise d'hystérie au milieu fermé, jusqu'à la division structurale qui maintient le désir chez le sujet féminin comme le véritable principe de régulation des naissances. Revenons au premier pensionnat freudien. Je mentionnais en passant le chef-d'œuvre de Musil intitulé Les désarrois de l'élève Törless, qui présente uploads/Litterature/ cours-03.pdf

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