Marcel Neusch assomptionniste « En suivant le sens de la chair, c’est toi que j

Marcel Neusch assomptionniste « En suivant le sens de la chair, c’est toi que je cherchais ! Mais toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même, et plus élevé que les cimes de moi-même. Tu autem eras inte- rior intimo meo et superior summo meo ! » (III, 6, 11). En suivant l’évolution d’Augustin, on peut constater que la quête de la vérité était l’élément moteur de sa recherche. Cette quête ne fut pas seulement d’ordre intellectuel : elle eut d’emblée une dimension existentielle. Ce qui est en jeu, dans cette quête, c’est le sens même de sa vie. La tension est entre deux pôles, la vérité et la vanité. Ce couple antithétique, veritas/vanitas, est typique de l’anthropologie d’Augustin. Ce qui lui importe, c’est de « faire la vérité » d’abord dans sa propre vie, ce qui implique négativement d’écarter tout ce qui est vanité. C’est ce qu’il rappelle au début du livre X des Confessions : « Voici, en effet, que tu as aimé la vérité, puisque celui qui fait la vérité vient à la lumière. Je veux “faire la vérité”, dans mon cœur, devant toi, par la confession, mais aussi dans mon livre, devant de nombreux témoins » (X, 1, 1). Cette quête de la vérité s’attache non pas à faire remonter à la surface de la conscience tout ce qui est enfoui dans l’inconscient, mais à scruter sous le regard de Dieu les choix de sa vie. Elle comporte des étapes, qui vont en s’approfondissant. Ce sont ces étapes que nous allons reprendre ici, telles qu’on peut les reconstituer à partir de son 53 Un chemin de vie spirituelle en sept étapes RÉFLEXIONS expérience. Sans forcer la pensée d’Augustin, on peut en dégager sept éléments qui constituent la trajectoire de sa spiritualité. Cette reconsti- tution n’a rien d’arbitraire, mais s’appuie sur des constantes qui reviennent comme des idées fortes dans son expérience comme dans ses écrits. Les ressorts du désir Le premier élément est le désir. C’est l’élément anthropologique : le désir constitue le ressort de sa recherche, son moteur en même temps que sa boussole. Dès le début des Confessions, Augustin donne l’ex- pression parfaite de ce dynamisme du désir qui oriente sa recherche : « Tu nous as faits orientés vers Toi, et notre cœur est inquiet tant qu’il ne repose pas en Toi ! » (I, 1, 1). Le désir est à géométrie variable. Il s’agit, parmi tous les désirs qui sollicitent le cœur, de reconnaître son vrai désir. Il existe souvent un fossé entre le désir et la vérité, laquelle s’identifie en dernier ressort avec Dieu. Il faudra trouver un fil d’Ariane pour ne pas se perdre dans le labyrinthe où le désir s’égare trop souvent. Ce fil, c’est l’inquiétude. Tout au long du récit de sa conversion, Augustin fait ressortir la progression du désir qui, sous la pression de l’inquiétude, est dépossédé de ce qu’il croit avoir gagné, mais se met aussitôt en quête d’autres objets. On ne peut pas rester sans désirer, mais tant que le désir n’a pas atteint son véritable bien, qui n’est autre que l’absolu, il est tenaillé par l’inquiétude, déséquilibré, sans repos, et donc relancé dans sa quête. L’inquiétude porte la marque d’une double polarité, l’une négative, l’autre positive : • En négatif, elle est un dérangement en ce qu’elle nous interdit de nous arrêter en chemin, d’oublier le but, le telos (ad, qui indique le mouvement vers), et nous déloge de nous-mêmes (ex : elle nous fait sortir hors de notre tranquillité). • En positif, elle est exigence d’authenticité en ce qu’elle garde au cœur du désir le critère de ce qui constitue l’accomplisse- ment de l’existence, et dont l’indice est le repos (quies). On ne désire plus autre chose. L’inquiétude est le signe d’un déchirement qui divise l’homme entre l’extérieur et l’intérieur, entre le monde et Dieu, entre l’inférieur et 54 RÉFLEXIONS le supérieur. C’est cette expérience de déchirement qui se traduit par le sentiment de deux volontés contraires en nous. Augustin s’en souvien- dra en réfléchissant sur l’origine des deux cités, construites sur deux amours antagonistes, qui se déchirent le cœur de tout homme et qui placent chacun devant un choix où se joue la vérité de son existence : « Deux amours ont donc fait deux cités : l’amour de soi jusqu’au mépris de Dieu, la cité terrestre, l’amour de Dieu jusqu’au mépris de soi, la Cité céleste. L’une se glorifie en elle-même, l’autre dans le Seigneur. L’une demande sa gloire aux hommes ; pour l’autre, Dieu témoin de sa conscience est sa plus grande gloire » (Cité de Dieu XIV, 28). Le chemin de l’intériorité Le deuxième élément de la spiritualité d’Augustin est l’intériorité : la vérité de l’existence est logée au cœur de chacun. L’intériorité dési- gne plus que les sentiments qui nous submergent ; elle est le lieu secret où habite la vérité, plus intime que l’intime de moi-même. D’où l’insis- tance d’Augustin à revenir à son cœur : Reddite ad cor. C’est au cours de sa recherche, en particulier sous l’influence des livres platoniciens, qu’il découvre que le lieu de la vérité n’a pas son lieu propre au-dehors (foris), mais au plus intime de l’âme (intus). Ce couple foris/intus cons- titue ce que Körner appelle les coordonnées de l’ontologie d’Augustin. Voici comment il exprime, dans une formule célèbre : « En suivant le sens de la chair, c’est toi que je cherchais ! Mais toi, tu étais plus intime que l’intime de moi-même, et plus élevé que les cimes de moi-même. Tu autem eras interior intimo meo et superior summo meo ! » (III, 6, 11). Comment décrire cet espace intérieur ? L’intériorité est d’une grande complexité, dont Augustin a exploré tous les recoins. Il faudrait lire les pages sur la mémoire, au livre X : il y a les sensations, c’est-à- dire tout ce qui a pénétré en nous par les sens (X, 8, 13). Mais il y a plus. « Là, je me rencontre aussi moi-même » (X, 8, 14). Augustin, se livrant à une exploration systématique, est conduit à y reconnaître la présence de Dieu, présence trop souvent oubliée, ce qui fait dire à Augustin : « Les hommes s’en vont admirer la hauteur des montagnes, les vagues géantes de la mer, les fleuves glissant en larges nappes d’eau, l’ample contour de l’océan, les révolutions astrales : et ils se lais- sent eux-mêmes de côté ! » (X, 8, 15). 55 UN CHEMIN DE VIE SPIRITUELLE EN SEPT ÉTAPES Au livre X des Confessions, Augustin trace l’itinéraire de l’âme vers Dieu à travers ces différentes sphères, itinéraire qui va de l’extérieur vers l’intérieur, ou encore, comme il le disait déjà au livre VIII, 6, 13, du désir charnel au désir des choses meilleures : « Ab inferiora ad superiora ! » L’âme est comparable à l’échelle de Jacob, découvrant au plus secret d’elle-même la mystérieuse présence de Dieu, une transcendance dans l’immanence (interius). Toute la pensée d’Augustin va se structurer autour de ce couple : foris/intus. Dieu ne se donne pas à rencontrer dans une vie extériorisée, dispersée, mais il parle au cœur de chacun. Le foris, c’est la « région de la dissemblance » (VII, 10, 16), l’intus le lieu où pourra se reconstituer sa ressemblance avec Dieu. La primauté de la grâce Le troisième élément qui se dégage de l’expérience d’Augustin, c’est la primauté absolue de la grâce, c’est-à-dire de l’action de Dieu dans sa vie. Le mouvement de l’âme vers Dieu a sa source en Dieu. L’homme ne peut donc pas se l’attribuer à lui-même. Dès le début des Confessions, Augustin écrit : « Tu excitas ! », c’est toi qui le pousses… À la fin du livre VI, il écrit dans le même sens : « Tu vas nous rétablir dans ta voie [Christ] ! » Il dira, à propos de la lecture des livres plato- niciens, que c’est Dieu qui l’a conduit : « Averti par ces livres de reve- nir à moi-même, j’entrai dans l’intimité de mon être sous ta conduite : je l’ai pu parce que tu t’es fait mon soutien… » (VII, 10, 16). Il repro- chera toujours aux philosophes de méconnaître cette source, et donc de ne pas rendre grâce, de manquer de gratitude en s’attribuant à eux-mêmes ce qui leur a été donné. Au moment de la crise finale, Augustin ne dit pas « je », mais « tu » me convertis… Augustin gardera toujours ce vif sentiment de la prévenance de Dieu dans sa vie. Il résumera cette expérience au début du livre XI : « Tu nous as cherchés sans que nous te cherchions, tu nous as cherchés pour que nous te cherchions… » (XI, 2, 4). En rédigeant les Confessions, il n’a dès lors pas d’autre visée que de « rendre grâce » : « Te louer, voilà ce que veut un homme… » On a dit que les Confessions étaient moins une biographie d’Augustin qu’une biographie de Dieu. Augustin y raconte uploads/Litterature/ 06-un-chemin-de-vie-spirituelle-en-sept-etapes-eglise-et-vocations-n-4-novembre-2008.pdf

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