14 Nouvelle Revue Pédagogique - Lycée / n° 27 / novembre 2007 Le classicisme Pa

14 Nouvelle Revue Pédagogique - Lycée / n° 27 / novembre 2007 Le classicisme Par Nathalie Piégay-Gros* Qu’est-ce qu’un classique ? Que désigne le classicisme dans le domaine des arts et des lettres ? Ces questions, apparemment simples, invitent à s’interroger sur les valeurs que véhicule la littérature, sur l’évolution de l’histoire littéraire et sur la dynamique de la réception des œuvres. I. Une notion rétrospective Il y a la musique classique et celle qui ne l’est pas ; les CAPES et les agréga- tions de lettres classiques ou modernes ; un style classique dans l’ameublement et dans l’habillement ; et même ce qu’on appelle aujourd’hui le marketing des pro- duits « classiques », ainsi dénommés après qu’une nouvelle version plus « ten- dance », du même produit est apparue. De très nombreuses maisons d’édition ont des collections qui font figurer le terme de « classique » dans leur titre, le plus souvent pour souligner que ces clas- siques sont étonnants ou modernes ! Paradoxe qui indique suffisamment que le classicisme est souvent suspecté d’être ennuyeux, démodé, peu attractif et qu’il faut le moderniser, voire le remettre au goût du jour. Alors qu’elle semble évi- dente, la notion de classicisme est diffi- cile à appréhender car sa signification est variable : classique peut s’opposer à populaire, à moderne, à excentrique ou à original. Elle est problématique : c’est une invention tardive, qui s’est d’abord imposée en réaction au romantisme. 1/ Des bornes chronologiques incertaines Le classicisme est une invention du XIXe siècle. Le terme apparaît par simi- litude avec « romantisme », dérivé de « romantique », et par opposition à ce courant qui fut, rappelons-le, d’abord très fortement polémique. Ce que nous appe- lons le classicisme est donc une notion rétrospective que le XIXe siècle a imposé après coup pour caractériser des œuvres et des doctrines qui ne se pensaient ni ne se désignaient ainsi. Lorsque Pierre Larousse consacre une entrée dans son Grand dictionnaire universel en 1863 à « classicisme », il le définit en quelques mots : « Préférence exclusive pour le style et le genre classique » ; la citation de Nodier qu’il donne l’oppose directe- ment à romantisme. Il consacre quatre pages à l’article « classique ». Littré, la même année, définit le classicisme, qu’il présente encore comme un néologisme, en ces termes : « système des partisans exclusifs des écrivains de l’Antiquité ou des écrivains classiques du XVIIe siècle ». On voit donc que la notion n’est pas encore fortement implantée et que ce qui est « classique » n’a pas encore par- faitement cerné les contours d’un cou- rant esthétique, ou d’une période de l’histoire des arts et des lettres qui pré- senterait les caractéristiques de ce mou- vement inventé rétrospectivement. Certes, le terme de « classique » existe, lui, depuis longtemps. Il est important de rappeler ses significations. Le terme latin classicus signifie : qui appartient à la classe supérieure des citoyens. Par extension, l’adjectif va signifier « qui caractérise les meilleurs auteurs », puis, « les meilleurs auteurs que l’on enseigne dans les classes ». Les I. Une notion rétrospective > p. 14 1/ Des bornes chronologiques incertaines 2/ Classicisme et anti-romantisme 3/ Comment une œuvre devient un classique… II. Un modèle esthétique > p. 17 1/ L’imitation et la règle 2/ La perfection et l’ordre 3/ La clarté et la simplicité 4/ L’impersonnalité III. Un rapport complexe à l’histoire > p. 21 1/ L’éternité classique 2/ La disponibilité classique 3/ Les relations avec le présent S O M M A I R E D O S S I E R 15 Nouvelle Revue Pédagogique - Lycée / n° 27 / novembre 2007 meilleurs auteurs, et ceux que l’on enseigne dans les classes, ayant pendant longtemps été ceux de l’Antiquité, clas- sique signifie d’abord « qui fait référence à l’Antiquité ». Par extension, il voudra dire « qui fait autorité », dont la valeur est reconnue par tous. Ainsi, Pierre Larousse dans l’article « Classique » que nous avons déjà cité écrit : « le latin et le grec sont nos langues classiques ». Les trois connotations du mot sont alors conjointes : classique parce qu’antique ; parce qu’au sommet de la hiérarchie des valeurs ; parce qu’enseigné dans les classes. Ces rappels montrent que les notions de classique et de classicisme associent toujours quatre aspects : –une dimension axiologique (« clas- sique » implique un jugement de valeur) ; –une dimension prescriptive : l’ou- vrage classique est étudié à l’école, c’est un modèle qui fait autorité ; –une dimension historique : le classi- cisme comme période des œuvres dites classiques ; –enfin une dimension esthétique. Le classicisme, pour toutes ces rai- sons, ne coïncide pas avec une période donnée très précise. Elle peut être com- prise entre 1660 et 1685, le quart de siècle qui marque l’ascension de Louis XIV ; de manière plus extensive, on peut la faire coïncider avec le règne de Louis XIV, qui arrive au pouvoir en 1661 et meurt en 1715. On peut aussi la faire débuter en 1635, date de la fondation de l’Académie française par Richelieu. On a pu le définir de manière encore plus res- trictive par la décennie qui voit le plus grand nombre de chefs-d’œuvre clas- siques publiés, entre 1660 et 1670. C’est pourtant plus tôt dans le siècle, entre 1630 et 1640, qu’a lieu la forma- tion de ce qu’on a appelé la doctrine classique. Ce n’est toutefois pas en ces termes que cet idéal se formule alors : la notion la plus fréquemment employée à l’époque est celle d’atticisme. C’est un idéal rhétorique qui provient de l’Anti- quité et qui prône la brièveté, la force des moyens employés allant de pair avec leur économie. Pour Alain Viala, à l’inverse, la dimension toujours rétrospective du clas- sicisme impose qu’on le place entre 1674 (date de la publication de l’Art poétique de Boileau) et 1750 environ : c’est l’intégration des modèles élaborés pendant le règne de Louis XIV qui fonde le classicisme plus que la doctrine qui se met en place à ce moment-là. Ces bornes chronologiques varient en fonction de l’articulation plus ou moins serrée que l’on veut faire entre l’esthé- tique d’un courant et les déterminations politiques. En tout état de cause, l’âge classique est celui qui coïncide avec la monarchie absolue de Louis XIV, période de rationalisme, de grand rayonnement de la France sur les plans politique, diplomatique, culturel. À cet égard, le classicisme s’oppose au baroque, qui le précède, comme aux Lumières et au romantisme, qui le suivent. Et c’est seu- lement après que le classicisme a été inventé par le XIXe siècle que « classi- que » prend l’acception « de l’époque de Louis XIV », voire « caractéristique du XVIIe siècle ». Cette collusion entre l’idée d’une esthétique qui touche à la perfec- tion et un pouvoir à son sommet explique que Sartre définisse le classi- cisme par un critère essentiellement sociologique et politique. Dans Qu’est-ce que la littérature ?, il écrit : « il y a clas- sicisme […] lorsqu’une société a pris une forme relativement stable et qu’elle s’est pénétrée du mythe de sa pérennité, c’est-à-dire lorsqu’elle confond le pré- sent avec l’éternel, […] lorsque la puis- sance de l’idéologie religieuse et poli- tique est si forte et les interdits si rigoureux, qu’il ne s’agit en aucun cas de découvrir des terres nouvelles à la pen- sée, mais seulement de mettre en forme les lieux communs adoptés par l’élite1 ». Le classicisme implique donc un mode de lecture particulier, fondé sur la reconnaissance, par le lecteur, de valeurs qu’il partage avec l’auteur et dont ils affirment la stabilité. À cet égard, c’est à la modernité et à toute forme d’avant- garde que le classicisme s’oppose. 2/ Classicisme et anti-romantisme Notion rétrospective, le classicisme est aussi une notion qui se développe en réaction aux inventions et aux valeurs promues par le romantisme. Le roman- tisme, en effet, a rejeté l’autorité des classiques et la nécessaire imitation des modèles antiques. L’un des premiers à employer le terme de classicisme par analogie avec « romanticisme », est Stendhal, qui en affirme la modernité dans Racine et Shakespeare : « le romanticisme est l’art de présen- ter aux peuples des œuvres littéraires qui, dans l’état actuel de leurs habitudes et de leurs croyances, sont susceptibles de leur donner le plus de plaisir possible. Le classicisme, au contraire, leur présente la littérature qui donnait le plus grand plai- sir à leurs arrière-grands-pères2 ». Le romantisme, qui se pense comme moderne parce qu’il refuse l’imitation des anciens et qu’il entend faire entrer dans la littérature le temps présent et la sensi- bilité actuelle, rejette les classiques dans un âge éloigné. Mais c’est surtout l’anti- romantisme qui invente le classicisme. L’anti-romantisme, en effet, récuse, sur le plan esthétique, la promotion de la liberté au détriment des règles et des conventions des genres et des formes, l’inflation des sentiments et du moi, la définition d’une nature qui ne soit pas uploads/Litterature/ 14-136-365-108214-nrp27-14-22.pdf

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