Paul Ricœur : Temps et Récit. Bernardin MINKO MVÉ, Université Omar Bongo, Libre

Paul Ricœur : Temps et Récit. Bernardin MINKO MVÉ, Université Omar Bongo, Libreville, Gabon Résumé Le présent texte montre, aussi significative soit-elle, la rencontre interdisciplinaire entre la philosophie et l’anthropologie. Elle évoque la pensée d'un philosophe en ce qui concerne un objet privilégié de l’anthropologie, le récit. Il s’agit d’un ensemble de trois volumes : L ’intrigue et le récit historique (Volume 1) ; La configuration dans le récit de fiction (Volume II) ; et Le temps raconté (Volume III). En examinant ces trois volumes, l’analyse est une invite à l’exclusion des considérations sur le dessein d’ensemble de Ricœur et notamment certaines remarques sur l’articulation du récit historique et du récit de fiction. L’analyse se fait en deux temps : l’approche des œuvres d’une part et celle du texte proprement dit d’autre part. Mots clés : Anthropologie, Intrigue, Philosophie, Récit, T emps. Abstract This text shows, also significant is it, the interdisciplinary meeting between philosophy and anthropology. It evokes the thought of a philosopher witch studies a privileged object of anthropology, the account. It concerns three volumes: The intrigue and the historical account (Volume 1); Configuration in the account of fiction (Volume II); and told time (Volume III). By examining these three volumes, the analysis is one invites other than the considerations on the overall intention of Ricoeur and in particular certain remarks on the articulation of the historical account and the account of fiction. The analysis is done in two times: approach of works on the one hand and that of the text itself on the other hand. Key words : Account, Anthropology, Intrigue, Philosophy, Time. 1 Introduction C'est un paradoxe, mais il en est hélas ! ainsi : dans la philosophie, dont le but ultime consiste, depuis Socrate, à penser par soi-même, il ne fait pas bon de se tenir durablement hors des dogmes majeurs, des Eglises intellectuelles et des courants de pensée qui dominent l'époque. À faire figure d'inclassable, on risque de se voir tout simplement marginalisé. Surtout si, comme dans le cas de Paul Ricœur, ce refus part de la volonté de déjouer les séductions faciles des pensées qui se veulent «radicales», pour leur préférer des analyses nuancées, fondées sur un dialogue avec les grandes doctrines passées ou présentes. Évoluant d'une phénoménologie de la volonté à une réflexion sur la symbolique du Mal, puis à un essai d'interprétation de Freud, pour dériver ensuite vers des questions d'herméneutique, et revenir à l'éthique via des considérations sur le temps et la narration, le parcours de Paul Ricœur a longtemps paru dénué de ligne directrice. Lui-même a d'ailleurs dit, dans ses entretiens1, que son œuvre ne portait pas une philosophie au sens propre du terme, qu'elle eût développé de livre en livre, mais qu'elle s'intéressait à des problèmes ciblés, dont chacun dérivait de l'autre à la manière d'un «résidu» – la question de la volonté le conduisant à poser celle de la volonté mauvaise, du Mal, puis de l'inconscient, et cette dernière ouvrant sur le problème plus général du sens et de l'interprétation. Ainsi de suite. Le résultat de tout cela a été que, jusqu'à une période somme toute assez récente, Paul Ricœur s'est trouvé, comme son ami Emmanuel Lévinas, sous-estimé par la classe intellectuelle française. De fait, il lui faudra attendre le milieu des années 80, avec la publication de son grand ouvrage en trois volumes, Temps et Récit, et l'écho de sa renommée à l'étranger, notamment aux États-Unis, où sa pensée, fécondée par celle de John Rawls, l'auteur de la Théorie de la justice, devait influencer en retour celle de Charles T aylor, pour que l'on daigne enfin s'intéresser à lui. T out d’abord merci aux organisateurs de cet hommage à Ricœur pour cette idée de réunir quelques universitaires gabonais. L’intention de mon intervention se place justement sous le signe de la rencontre entre nos deux disciplines, en l’occurrence la philosophie et l’anthropologie, et dans la pensée d'une troisième, qui me paraît absente, c’est-à-dire l'Histoire. Je m'efforcerai donc de traiter Temps et récit2 en évoquant la pensée d'un philosophe en ce qui concerne un objet privilégié de l’anthropologie, le récit. D’autre part, si je me borne effectivement à ce travail, je ne peux exclure complètement du champ de la réflexion sur les considérations sur 1 Magazine littéraire, septembre 2000. 2 Temps et Récit explore, après La Métaphore vive, le phénomène central de l'innovation sémantique. Avec la métaphore, celle-ci consistait à produire une nouvelle pertinence de sens par le moyen d'une attribution impertinente. Avec le récit, l'innovation consiste dans l'invention d'une intrigue : des buts, des causes, des hasards, relevant à des titres divers du champ pratique, sont alors rassemblés dans l'unité temporelle d'une action totale et complète. La question philosophique posée par ce travail de composition narrative est celui des rapports entre le temps du récit et celui de la vie et de l'action affective. Plusieurs disciplines sont convoquées à la barre de ce grand débat entre temps et récit, principalement la phénoménologie du temps, l'historiographie, et la théorie littéraire du récit de fiction. 2 le dessein d’ensemble de Ricœur et notamment certaines remarques sur l’articulation du récit historique et du récit de fiction3. Enfin, je voudrais souligner les difficultés particulières de la pensée de Ricœur pour tous, je suppose : érudition extraordinaire, abstraction, rigueur et concentration, cohérence et progressivité, caractère imagé. En s’appuyant sur Temps et récit pour rendre hommage à Paul Ricœur, on voudrait mettre en évidence les deux types de discours : la fiction littéraire et le texte historique. La raison principale d’un tel choix prend toute sa légitimité dans notre attachement à l’anthropologie contemporaine et à son rapport avec la philosophie. Paul Ricœur s’est intéressé à une analyse descriptive, portant principalement sur les trois premiers chapitres, conçus comme l’approche de l’étude des trois œuvres : Mrs Dalloway de Virginia Woolf, Der Zauberberg de Thomas Mann, À la recherche du temps perdu de Proust. Ce travail a permis de comprendre la Configuration dans le récit de fiction. Dans le volume I, l’auteur examine la configuration dans le récit historique à partir d’un titre évocateur : « L’histoire et le récit » ; dans le volume II, il propose une configuration du temps dans le récit de fiction et enfin c’est dans le volume III que le temps est raconté. A la suite d’une telle démarche on peut affirmer sans risque de nous tromper que le volume II rejoint une partie du volume I pour former l’étape des configurations, avant que le volume III n’examine le thème de la refiguration et les refigurations (philosophie et poétique). D’entrée de jeu, on peut l’admettre, tout le dispositif roule donc sur « la mise en intrigue », c’est-à-dire sur le travail mimétique de la poièsis. Développons rapidement ce dessein. I - L ’Approche des œuvres 1-1 - Élargir la notion de mise en intrigue En élargissant la mise en intrigue, on est ici devant un fait, dans l’histoire du récit : sa diversification et même, à l’ère contemporaine, sa disparition. T out le travail de Ricœur, mené dans une discussion avec le critique anglais Frye, consiste ici à montrer que l’intrigue ne s’efface pas, que l’avènement du roman comme forme sans forme et « la fin de l’art de raconter » ne signifient pas la fin de la mise en intrigue. Car, d’une part, si l’on ne réduit pas l’intrigue au simple fil de l’histoire, l’histoire littéraire manifeste plutôt « un surcroît de raffinement dans la composition, donc l’invention d’intrigues toujours plus complexes et, en ce sens, toujours plus éloignées du réel et de la vie ». Et, d’autre part, l’éclatement même du récit chez nos contemporains signifie de nouvelles formes de clôture des œuvres, celles qui conviennent à des œuvres essentiellement problématiques : jeux ironiques avec les attentes 3 On fait allusion ici au Volume II et III de l’ouvrage. 3 du lecteur, mises en évidence de la crise du sens dans des œuvres critiques, dialectique de l’arbitraire et de la nécessité au sein des fictions. Bref, de manière significative, et par un de ces postulats (un de ces passages en force ?) dont Ricœur a le secret4 : peut-être faut-il, malgré tout, faire confiance à la demande de concordance qui structure aujourd’hui encore l’attente des lecteurs et croire que de nouvelles formes narratives, que nous ne savons pas encore nommer, sont déjà en train de naître, qui attesteront que la fonction narrative peut se métamorphoser, mais non pas mourir. 1-2 - Approfondir la notion de mise en intrigue En approfondissant la mise en intrigue, Ricœur est tout de suite confronté à Propp, Bremond et Greimas, dans le but de montrer que l’intelligence narrative [du temps] ne saurait se réduire à « la rationalité revendiquée par la sémiotique narrative ». L’enjeu consiste clairement à recourir à certaines perspectives pour établir l’existence de structures des fictions (entendons de configurations narratives) mais à démontrer qu’elles sont insuffisantes, en tant qu’elles absolutisent ces structures. Autrement dit, de même que les théories positivistes de la linguistique ne sauraient épuiser les fonctions uploads/Litterature/ paul-ricoeur-temps-et-recit-2 1 .pdf

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