« Le loup et l’agneau », « Le renard et la cigogne », « Le loup et le chien » :

« Le loup et l’agneau », « Le renard et la cigogne », « Le loup et le chien » : si on pense d’abord aux fables de La Fontaine et à son modèle grec Ésope, on sait moins qu’elles furent aussi inspirées du fabuliste latin Phèdre. Si Ésope trouva la matière, Phèdre, lui, la polit. Ses fables, qu’on croyait perdues au Moyen Âge, furent redécouvertes au xviie siècle avant de nourrir généreusement la poésie de La Fontaine. Que doit notre fabuliste à son prédé- cesseur ? La lecture de ces fables permet d’en prendre la mesure et d’apprécier cet auteur qui voulait « faire rire et apprendre la vie par des conseils avisés ». Cette édition bilingue, avec ses notes introductives pour chaque fable, permet de redécouvrir une œuvre source de notre propre littérature. Collection dirigée par Lidia Breda Phèdre Fables Choix des textes, traduction du latin, préface et notes d’Estelle Debouy Illustrations de Grandville Rivages poche Petite Bibliothèque Retrouvez l’ensemble des parutions des Éditions Payot & Rivages sur payot-rivages.fr Couverture : Le renard et la cigogne d’Evguenia Endrikson © Bridgeman Images. © Éditions Payot & Rivages, Paris, 2018 pour la traduction française, la préface et la présente édition ISBN : 978-2-7436-4509-0 Préface par Estelle Debouy Phèdre « Le loup et l’agneau », « Le renard et la cigogne », « Le loup et le chien » : si on pense d’abord aux fables de La Fontaine, on sait moins qu’elles furent inspirées du fabuliste latin Phèdre. Que sait-on de lui ? Peu de choses. Qu’il est ori- ginaire de Thrace où il est né probablement peu après le début de notre ère. D’origine servile, il vint tout jeune à Rome où il fut formé à l’école du Pala- tin ; puis il fut affranchi par un décret d’Auguste. Peut-être était-il même l’un des jolis petits esclaves bavards avec lesquels Auguste s’amusait à jouer aux noix, si l’on voit dans la fable « Ésope jouant aux noix » la transposition d’un souvenir d’enfance ? Très cultivé, parlant grec et latin, il rédi- gea dans cette dernière langue les fables qui ont fait sa réputation, utilisant le sénaire iambique, c’est-à-dire le mètre qu’avaient utilisé autrefois 7 les poètes dramatiques, alors qu’Ésope, père de la fable, écrivait en prose. Entre 14 et 31, il se fit connaître par un premier livre de fables qui lui valut l’exil : faut-il imputer cette disgrâce à Séjan, le favori et le conseiller de Tibère, qui se serait senti visé par certaines fables ? C’est ce que pense Louis Havet1 en raison de ces trois vers de l’épilogue du livre II (v. 17‑19) : Quodsi accusator alius Seiano foret, Si testis alius, iudex alius denique, Dignum faterer esse me tantis malis2. Léon Herrmann3 ne comprend pas le passage de la même façon et propose de lire Silano à la place de Seiano : ce nom désignerait alors, non plus Séjan, mais l’un des trois membres de la célèbre famille des Iunii Silani que Phèdre aurait offensé. La fable « La brebis, le chien et le loup » viendrait confirmer cette hypothèse puisque Phèdre y explique qu’il n’a pas eu à endurer l’in- justice d’un seul homme mais de trois. 1. Louis Havet, Phèdre. Fables ésopiques, Paris, Hachette, 1923. 2. « Si j’avais eu un autre accusateur, un autre témoin, un autre juge enfin que Séjan, j’avouerais avoir mérité une si grande infortune. » 3. Léon Herrmann, Phèdre et ses fables, Leyde, E. J. Brill, 1950. 8 Quoi qu’il en soit, « pour chercher à sa souf- france un adoucissement » (comme il l’écrit à la suite du passage cité plus haut, au v. 20 de l’épi- logue du livre II), il composa un deuxième livre de fables qui parut probablement en 43, pendant son exil4. En revanche, c’est à Rome qu’il composa le livre III car, dans le prologue, il se plaint du dédain que lui marquent ses rivaux. Ce livre semble avoir été publié bien après le précédent, sous le règne de Claude (41‑54), puisqu’il déclare dans l’épilogue être d’âge mûr, aux confins de la vieillesse. S’ima- ginant que ce serait son dernier livre, il se ravisa, comme il l’écrit au début du prologue du livre IV (v. 1‑3) : « Alors que j’avais résolu de borner mon œuvre, avec l’intention de laisser à d’autres une matière suffisamment abondante, j’ai dans le secret de mon cœur condamné ma résolution. » Phèdre se préoccupe désormais de sa gloire lit- téraire, alors que le public prend goût aux fables. Il a de nombreux imitateurs, et même des pla- giaires. Ce qui nous reste du livre V nous apprend qu’il était vieux lorsqu’il le composa. Il mourut (vers 70 ?) avant de pouvoir en écrire un sixième. 4. Pour Léon Herrmann, Phèdre aurait composé ses fables plus tard, après avoir publié en 54 La Satire sur la mort et l’Apothéose de Claude que l’éditeur attribue à Phèdre et non à Sénèque. 9 Le genre des fables Phèdre n’est pas le premier à écrire des fables : il eut pour modèle le Grec Ésope. Aesopus auctor quam materiam repperit hanc ego poliui uersibus senariis5 écrit-il au début du prologue du livre I. Mais, dans celui du livre II, il revendique le droit d’al- ler chercher ses sujets ailleurs : « C’est à des exemples que revient le genre créé par Ésope, et le but unique qu’on se propose d’at- teindre par des apologues est de corriger les erreurs des mortels, et d’amener à aiguillonner elles-mêmes leur attention et leur activité. Quel que soit donc le badinage du récit, pourvu qu’il séduise l’oreille et ne s’écarte pas de son but, ce sera au sujet de le recommander, nullement au nom de l’auteur. Pour moi, je mettrai tout mon soin à conserver la manière du vieillard [Ésope] ; mais s’il me plaît d’interca- ler quelque nouveauté pour charmer le goût par la variété des sujets, c’est en bonne part que je vou- drais te la voir prendre à la lecture, à la condition, Illius, que ma brièveté fût ta récompense6. » 5. « L’auteur Ésope a trouvé la matière ; moi, je l’ai polie en vers sénaires. » 6. Phèdre, Fables, trad. Alice Brenot, Paris, Les Belles Lettres, 1961. 10 S’il écrit son troisième livre toujours « dans le style d’Ésope » (III, prologue, v. 29), il fait main- tenant de lui un personnage de ses fables et ne le considère plus comme modèle. Il est d’ailleurs révélateur qu’il nomme ses fables Aesopias, non Aesopi (« ésopiennes et non d’Ésope », IV, pro- logue, v. 11) et, dans le livre IV, il n’hésitera pas à proclamer sa supériorité sur son prédécesseur : « si Ésope a inventé cet ouvrage, c’est ma main qui l’a perfectionné7 ». On le voit, Phèdre a donc imité de plus en plus librement son modèle grec : sur les 135 fables qui nous sont parvenues, seules 47 étaient traitées dans le recueil des fables éso- piques. Parmi les autres fables, si Phèdre a pu puiser à d’autres sources, la plupart sont de son invention. C’est bien ce qu’il explique quand il écrit dans l’épilogue du livre II (v. 14‑15) : « Moi, du sentier d’Ésope j’ai fait une large route ; j’ai inventé plus de fables qu’il n’en avait laissé [...]. » Mais Phèdre ne s’est pas seulement inspiré d’Ésope. Il a aussi voulu égaler Horace dont il a développé les sujets (la fable « La grenouille crevée et le bœuf » en est un bon exemple : voir p. 93) et appliqué les principes. Ainsi cet engagement formulé dans l’épilogue du livre II (v. 25‑26) : « Mon intention n’est pas de flétrir 7. « Apostrophe à l’envie », IV, v. 8. 11 les individus, mais de montrer la vie elle-même et les caractères des hommes » est-il fidèle au précepte énoncé par Horace dans son Art poé- tique (v. 316‑318) : « Alors, sûrement, tu sauras donner à chaque personnage son vrai caractère, tu observeras la vie et les hommes comme en un miroir, tu reproduiras ce que tu auras vu ; ce sera le langage même de la vie. » Horace poursuit en soulignant la double ambi- tion de la poésie qui est d’instruire et de plaire (Art poétique, v. 333‑337) : « Les poètes veulent instruire ou plaire, et raconter en même temps à la fois ce qui est agréable et ce qui est utile à la vie. Pour instruire, sois concis ; l’esprit reçoit avec docilité et retient fidèlement un court précepte ; tout le superflu s’échappe d’un esprit trop plein. » Phèdre, qui multiplie les déclarations de briè- veté (parfois sans s’y tenir, comme on le verra), veut aussi mêler l’utile à l’agréable, comme il le déclare dès les premiers vers du prologue du livre I (v. 3‑4) : « Ce petit livre a un double avan- tage : il excite le rire et donne de sages conseils au sujet de la vie. » Mais ce qui rapproche peut-être uploads/Litterature/ 1a7b0f7c5faef001428171646d7cade44226ca3d88351a0c7bde497324710c4d.pdf

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