Quelques pistes pour « enseigner » la lecture de consignes Jean-Michel Zakhartc

Quelques pistes pour « enseigner » la lecture de consignes Jean-Michel Zakhartchouk1, IUFM d’Amiens, France La question de la compréhension des consignes est essentielle pour tout enseignant. Mais les réponses aux difficultés des élèves ne se résolvent pas seulement par une amélioration des consignes (plus de clarté, d’explicitation notamment). Il s’agit de mettre en place un véritable ensei- gnement méthodologique, mais aussi « stratégique », en conjuguant des activités méta et un entraî- nement aux bons automatismes, sans jamais opposer ces deux composantes de l’apprentissage. Ce travail se situe tout autant en cours ordinaire que lors d’activités spécifiques, certaines concernant davantage les élèves en difficulté. Les enseignants ont pour cela besoin d’un accompagnement et de moments de formation où ils peuvent, en situation active, réfléchir à ces questions. Le thème de la lecture de consignes a émergé ces vingt dernières années dans le champ de la littérature pédagogique, même si, malheureusement, il a donné lieu à assez peu de vraies recherches scientifiques. Des manuels de toutes disciplines2 lui consacrent une place non négligeable sous la forme d’exercices ou de fiches méthodologiques. Des stages de formation sont organisés. On ne peut plus parler de travail dans le secondaire sur la lecture sans prendre en compte des activités sur cet aspect particulier qu’est la lecture de consignes. La publication en 1987 de mon ouvrage Lecture d’énoncés et consignes3 s’est inscrit dans ce contexte et j’ai eu plaisir à constater qu’il rencontrait un fort écho dans le milieu professionnel. Est-ce à dire pour autant qu’il s’agit là d’un problème nouveau apparu avec la démocratisa- tion de l’enseignement fin des années 70 ? Et, d’autre part, est-ce que la prise de conscien- ce de ce problème a permis de mettre en place des activités efficaces qui permettent de le régler ? Et de quel « problème » s’agit-il vraiment ? Il convient de répondre à ces questions en préalable aux propositions qui suivront. Problème nouveau ? Il n’est pas vraiment certain que les élèves « d ’ a v a n t » étaient des lecteurs de consignes performants et efficaces. Il est vrai que leur travail était souvent facilité par l’oralisation (dans l’enseignement primaire) ou par le caractère stéréotypé des consignes données. Formation et pratiques d’enseignement en questions N° 1 / 2004 / pp. 71-80 1. Professeur de lettres, formateur à l’IUFM d’Amiens et rédacteur aux Cahiers pédagogiques. Contact : jeanmichel.zakhartchouk@wanadoo.fr 2. Il s’agit cependant surtout du français et des mathématiques. 3. Zakhartchouk (1987). L’ouvrage a été réédité dans une version fortement remaniée et augmentée. Voir Zakhartchouk (1999). 71 Quelques pistes pour « enseigner » la lecture de consignes Jean-Michel Zakhartchouk 72 Lorsqu’on doit citer une liste de dieux grecs ou lorsqu’on est confronté aux mêmes ques- tions grammaticales, formulées de façon similaire tout le long de l’année, les problèmes rencontrés dans la compréhension de ce qui est demandé restent très limités. Pourtant, ici ou là, on peut retrouver des lamentations d’enseignants trouvant que leurs élèves « fonçaient tête baissée » dans les consignes, à peine lues ou que décidemment, ils ne comprenaient pas l’énoncé du problème ou la formulation d’une question un tant soit peu complexe. On peut dire que la question des consignes a pris de l’importance pour deux raisons assez différentes : – la présence accrue dans le secondaire d’élèves ne maîtrisant pas les « codes » de l’éco- le, mal à l’aise avec l’implicite, peu aptes à saisir le sens de ce qui leur était demandé et restant trop souvent prisonniers d’une lecture superficielle des consignes de travail ; – parallèlement, la montée en puissance de l’idéologie de l’« a u t o n o m i e » : les élèves doivent être autonomes, on ne doit pas les assister ; c’est après une lecture silencieuse, seuls, face à la consigne, qu’ils doivent pouvoir agir en se « débrouillant ». A des élèves moins préparés à l’autonomie, on a demandé plus d’autonomie, plus de maî- trise. Exigence fort louable, mais qui nécessite pour le moins un accompagnement, un apprentissage, et c’est cet apprentissage que nous voudrions ici appeler de nos vœux, celui-ci passant par un « enseignement », sous des formes spécifiques et adéquates. Où en est-on ? Désormais, la majorité des enseignants en sont convaincus, au moins ceux de français : il faut se préoccuper de la question des consignes. Ce thème de travail est une composante incontournable de toutes les activités de soutien et remédiation, de toute aide méthodolo- gique. D’autre part, nombre d’enseignants ont été amenés à réfléchir sur leurs propres consignes et sous-estiment moins les problèmes qu’elles peuvent poser, dès qu’elles ne sont pas assez claires ou explicites. Cependant, il n’est pas sûr que le problème soit suffisamment traité dans son ampleur. On voit dans certains manuels de français la question réduite à quelques exercices techniques, parfois dans le cadre d’un ensemble sur les textes prescriptifs-injonctifs. Certaines équipes se lancent dans des activités systématiques quelque peu déconnectées du cours au quoti- dien et ensuite abandonnent, peu convaincus du transfert par les élèves de ces activités vers la lecture des consignes ordinaires, au quotidien. Il semble que, trop souvent, la lectu- re de consignes reste isolée des autres questions pédagogiques, alors que la progression des élèves dépend d’une mise en musique avec d’autres aspects de la pédagogie (travail sur l’attention, réflexion sur les critères d’évaluation, sur les stratégies de lecture, métaco- gnition, etc.). Nous y reviendrons. Le danger qui nous guette aujourd’hui, c’est de tomber soit dans l’illusion que le problème est de toutes façons traité (la fameuse phrase « mais on le fait depuis longtemps ! » qu’enten- dent les formateurs présentant des innovations pédagogiques), soit dans l’impuissance (qui peut prendre la forme du non moins fameux : « il faudrait d’abord qu’ils sachent lire ! »). Nous proposerons donc ici de mieux délimiter le champ de la question des consignes sans pour autant le séparer des autres questions, et même de ne nous intéresser qu’à ce qu’on pourrait appeler un « enseignement » de la lecture de consignes, soit sous une forme systé- matique, soit sous une forme plus opportuniste, au fil du quotidien. Pour cela, nous nous demanderons d’abord pourquoi nous plaidons pour un tel « enseigne- ment », avant de suggérer des pistes pour le comment – pistes qui ne se réduisent pas aux exercices, bien entendu. Nous nous demanderons comment évaluer l’efficacité de cet enseignement, avant de terminer sur des perspectives de formation. Pourquoi est-ce nécessaire ? On connaît les objections à un enseignement méthodologique. On ne peut pas apprendre « à vide » des méthodes. D’ailleurs, celles-ci sont spécifiques à telle ou telle discipline et il est illusoire de penser qu’on puisse par exemple apprendre à lire des consignes « en général ». Mieux vaut aider les élèves à s’en sortir dans des situations concrètes et réelles, et bien sûr tenter d’améliorer en même temps nos propres consignes en les rendant plus claires, plus explicites. Il est bien certain qu’un enseignement détaché des pratiques ordinaires, débouchant pour- quoi pas sur des fiches méthodologiques à apprendre par cœur, avec interrogations écrites et notes de méthodes serait caricatural. Cela existe dans la pratique, mais n’est pas très fré- quent. Il ne s’agit pas de durcir des oppositions dans une logique binaire (cours de métho- dologie/pas de méthodologie spécifique), mais de trouver des entrées multiformes pour ces apprentissages dont on connaît l’importance. L’enseignement de la lecture de consignes, comme celui des bonnes méthodes pour apprendre une leçon ou pour prendre des notes, peut revêtir les aspects les plus variés, comme nous y invite d’ailleurs une conception de la différenciation pédagogique à laquelle nous adhérons pleinement (voir Zakhartchouk, 2000). Les fiches récapitulatives, les exer- cices techniques, les « g a m m e s » ont tout autant leur place que les moments « m é t a » comme nous le développerons plus loin. Cela implique un gros travail de coordination entre enseignants et notamment entre celui qui reste l’expert de la langue (le professeur de Lettres) et les autres. Cela implique un décloisonnement qui est, on le sait bien, difficile à mettre en place pour les autres composantes de l’activité du français. On présente trop souvent des caricatures d’enseignement méthodologique pour rejeter la spécificité de celui-ci. On pourrait faire la même chose de l’enseignement grammatical d’ailleurs. S’engager dans un enseignement stratégique de lecture de consignes est un long voyage qui n’aura pas vraiment de fin. Il s’agit là de permettre à des élèves de s’approprier des « postures » devant ces consignes écrites qui les entourent et qu’ils rencontreront, en outre, de plus en plus, dans leur vie professionnelle et sociale. Il convient aussi de dégager ce qui est vraiment indispensable, les « passages obligés » des variations individuelles, de distinguer, comme le dit Philippe Meirieu les « tu dois » des « tu peux ». Il faut aussi savoir conjuguer les apprentissages de nécessaires automatismes (les réflexes, les réactions programmées en quelque sorte) et la réflexion métacognitive, le recul non uploads/Litterature/ 2004-1-zahkartchouk-les-consignes-comment-les-lire.pdf

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