Orientation lacanienne III, 9. Jacques-Alain Miller Première séance du Cours (m
Orientation lacanienne III, 9. Jacques-Alain Miller Première séance du Cours (mercredi 15 novembre 2006) I Je vous apporterai aujourd'hui une perspective, à partir d'un point qui est d’après-coup. Inopinément, ce qui ne veut pas dire de façon inopportune, même si cela vous a importuné, je me suis trouvé l'an dernier par trois fois marquer, et de façon non feinte, la distance que je prenais ou plutôt qui se prenait, de ce Je qui vous parle, à la disance lacanienne. J'écris ces deux mots, voisins : Distance et disance. Je dis la disance. Ça n'est pas un mot que j'ai forgé, c’est un terme qui a été introduit par Damourette et Pichon, dans leur Essai de grammaire de la langue française où Lacan a puisé. Il a d'ailleurs eu un rapport personnel avec Édouard Pichon qui était, outre grammairien, psychanalyste, et qui a accueilli le jeune Lacan dans le milieu, favorablement. Il lui a consacré un article où il déplore néanmoins, déjà, son caractère incompréhensible. Alors qu'est-ce que la disance ? C'est la langue telle qu'elle est parlée par les gens d'un métier. Comme le note avec bon sens nos auteurs il y a des habitudes professionnelles. Les termes techniques, ici, désignent les actes, les outils, les produits, d'un mode de l'activité humaine qui sont assez souvent ignorés du gros de la nation. Je dis disance lacanienne car cette langue me semble aujourd'hui d'une extension suffisante pour qu'on lui épargne le nom de jargon, qui est plus péjoratif, bien entendu. Un jargon, c'est la langue parlée qui décide par un de ces milieux, du recours soit par intérêt, soit par fantaisie, soit par tradition particulière, à des tours ou des vocables incompréhensibles par les non-initiés. Donc je préfère disance. Alors la distance dont je parlais, la distance où j’ai été à un moment de la disance lacanienne, s'est l'an dernier suturée, puisque, vous en êtes témoin, j’ai repris mon train-train et celui-ci nous a mené jusqu'à la fin de l'année, a couvert le Séminaire D'un Autre à l'autre. Si je rappelle cette distance de la disance, où j'ai été, c'est qu'en définitive elle m’est précieuse et c'est sur elle que je voudrais maintenant fixer ma position de cette année. Oh ! En fait, le dis-je, peut-être sans le savoir depuis toujours, ai-je été dans cette distance de la disance. Et peut- être, peut-être est-ce cela le secret de ce qu'on appelle - c'est de l'extérieur que je le reçois - le secret de ce qu'on appelle ma clarté. Elle tient peut-être à ce qu’en définitive je m’efforce de ne pas me laisser porter par la disance des psychanalystes. Et aussi à distance de la disance que je laisse à Lacan, son dire, la responsabilité de son dire, le trait singulier de son dire, qui est toujours amorti dans la disance. Lacan l’a formulée, assumée, sa singularité, d’une façon évidemment énigmatique quand il disait, dans son Séminaire sur Joyce, intitulé Le sinthome, ceci, qui est page 132 : « C'est dans la mesure où Freud a vraiment fait une découverte - à supposer que cette découverte soit vraie - que l'on peut dire que le réel [j’ajoute la catégorie du réel, dont il est question dans ce Séminaire] que l'on peut dire que le réel est ma réponse J.-A. MILLER, - Orientation lacanienne III, 9 - Cours n°1 – 15/11/2006 - 2 symptomatique. » La découverte supposée vraie, en l'occurrence c'est celle de l'inconscient. Lacan dit aussi dans la même page « Disons que c'est dans la mesure où Freud a articulé l'inconscient que j'y réagis ». Le réel serait ainsi une réaction d'Un, d’Un seul, à l'articulation freudienne de l'inconscient. Les deux mots sont dits réaction et réponse. La réponse est évidemment d'un ordre plus complexe que celui de la réaction. Mais peut-être n’est-ce pas le terme le moins significatif, significatif de ce que Lacan est là, se suppose être, dans un traumatisme. Comment l’entendre ? De cette façon-ci, qui est simple, que la découverte de Freud fait trou dans le discours universel. C’est au moins la perspective que Lacan a adoptée d'emblée concernant Freud. Et on peut dire que ce que nous appelons par convention « l'enseignement de Lacan » constitue dans son ensemble une réponse à ce trou. Sous des modes variés Lacan démontre incessamment que cette découverte ne trouve à se loger dans aucun discours qui l’ait précédée. C'est ce trou dans le discours universel qui est la perspective qu’il a prise sur Freud, qui l’a précipité dans l'élaboration multiple du discours analytique, supplémentaire, pour donner un logis à la découverte de Freud. Lacan a parlé de l'événement Freud, signalant par ce terme la coupure que Freud introduisait, ce qui a pu s'en répandre, mais je dirais volontiers le traumatisme Freud. Parce que l'événement - et Lacan y revient tant et plus à chacun de ses tours et détours - l'événement Freud a été d'emblée méconnu, tamponné, au point que Lacan puisse dire, dans un texte auquel je viendrai, que la peste, la fameuse, que Freud s'imaginait apporter, sur le chemin des États-Unis d'Amérique, s'est en fait révélée anodine. Le public s'en arrange. Eh bien, ce qui nous reste comme enseignement de Lacan est ce qui provient de quelqu'un qui ne s’en est pas arrangé. On peut dire que cet enseignement, qui est là présent ici, entre nous, que cet enseignement, son ambition est de répercuter le traumatisme Freud, enfin ce qu'on prendre dans les rets d'une dialectique c'est en fait, dans cette perspective, les répercussions d'un traumatisme. Et, Lacan, au fond l’a dit, dans la même page que je citais tout à l'heure, à propos de l'énoncé du réel sous la forme d'une écriture, des nœuds ; l’énoncé du réel sous cette forme, dit-il, a la valeur d'un traumatisme. Il le tempère, il l’explique, en parlant du forçage d’une nouvelle écriture. Voilà qui donne à nos sages études un dramatisme dans lequel je ne compte pas vous installer. Je préfère vous installer dans la difficulté. Précisément en visant, autant que je puisse le repérer, je le repère par rapport à moi bien entendu, je repère ce qui n'est pas passé dans la disance. Et pour vous installer, nous installer dans la difficulté, je prendrai ce que j'ai fait ici photocopier, le dernier texte si bref, du recueil que j'ai confectionné des Autres écrits, que vous trouvez dans le livre pages 571 à 573. Il m’est arrivé d'y venir rapidement quelquefois. Il est daté du 17 mai 1976 alors que le Séminaire du Sinthome est clôt le 11 mai. Il est donc écrit dans la suite immédiate de ce Séminaire et il mérite d'être lu de près. Comme je ne vous l’ai pas annoncé vous n’avez pas ce texte sous les yeux, il va donc falloir que je vous le débite soigneusement. D'abord son début. J'abrège quand il faut ; je vous demande d’écouter comment raisonne la première phrase de ce texte. C'est fait pour couper court et aller au centre de la question. J’ai l’intention d'être bref aujourd'hui. « Quand l'espace d'un lapsus, n’a plus aucune portée de sens [entre parenthèses] (ou interprétation), alors seulement on est sûr qu’on est dans l'inconscient ». On peut croire que c'est connu puisque la valeur, les non-sens, est depuis toujours par Lacan soulignée, mise en fonction, néanmoins ce que J.-A. MILLER, - Orientation lacanienne III, 9 - Cours n°1 – 15/11/2006 - 3 cette phrase très surprenante, si on la remarque de près, comporte, c'est la disjonction entre l'inconscient et l'interprétation. Une exclusion entre ces deux fonctions, je dis fonction pour inconscient puisque dans le même texte Lacan parle en effet de la fonction inconsciente. Une disjonction entre l'inconscient et l'interprétation. Ça, c'est de nature à faire vaciller ce que nous croyons savoir de l'articulation de l'inconscient. C'est par exemple tout à l'envers de la thèse selon laquelle - thèse développée dans le Séminaire VI de Lacan, Le désir et son interprétation - thèse selon laquelle le désir – inconscient - c'est son interprétation. Ici, au contraire, nous avons à placer une double barre qui indique la coupure, la déconnexion entre le signifiant du lapsus et le signifiant de l'interprétation. Et, nous nous trouvons là atteindre, à son point, à sa jonction, d'un lien, du fameux S1 et du fameux S2, qui sont de notre disance - signifiant premier, signifiant second - le minimum inscriptible de la chaîne signifiante et qui comporte, quand elle embraye, quand S1 embraye sur S2, que le signifiant 1 représente le sujet pour l'autre signifiant, le S2. Or ce qui dans cette phrase peut être imperceptible, d'être placée en ouverture, pas en ouverture de ce texte mais en clôture du Séminaire sur Joyce, cette phrase comporte, si on aligne comme je le fais ici, que S1 ne représente rien. Vous n’avez pas un signifiant représentatif. Ça, ça attaque ce qui est pour nous le principe même de l'opération psychanalytique, pour autant que la psychanalyse a son départ dans l'établissement minimal, S1-S2, dans l'établissement du transfert. uploads/Litterature/ 2006-2007-le-tout-dernier-lacan-ja-miller-pdf.pdf
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