1 Charles Edmond Chojecki et Gustave Flaubert, parcours d'une amitié par Emmanu
1 Charles Edmond Chojecki et Gustave Flaubert, parcours d'une amitié par Emmanuel Desurvire1 I- Introduction Le nom de Charles Edmond Chojecki2 (Figure 1) est familier des connaisseurs de la littéra- ture française du XIXème, ainsi que des polonais, à la fois comme figure patriotique et littéra- teur bilingue. Auteur méconnu, certes, d’autant plus qu’il comptait parmi ses amis intimes des génies tels que Frédéric Chopin, George Sand et Gustave Flaubert, pour ne citer que trois noms emblématiques, car la liste en est assez longue. Nous tenterons ici de retracer le parcours d’une amitié de trente ans, laquelle aurait bien pu se prolonger de deux décennies, n’eût été la disparition prématurée de Flaubert. Sur les neuf- cent correspondances de Charles Edmond retrouvées à ce jour, seulement 26 concernent leurs échanges3. C’est bien peu, mais il existe heureusement d’autres correspondances de Flaubert où il s’agira de Charles Edmond4, ainsi que l’incontournable journal des Goncourt Le premier historien du XXème siècle à s’être intéressé à cette amitié fut Zygmunt Zaleski, en 19325. Il faut attendre 1967 pour que soit publiée, par Zygmunt Markiewicz, la première étude systématique de leur correspondance6. On doit à ce dernier d’avoir fait renaître la notion d’une réelle intimité entre les deux hommes, qui n’hésitaient pas à s’appeler mutuellement « ma petite vieille » ! Bien que les sources n’aient pas évoluées depuis, nous connaissons beaucoup mieux la per- sonnalité de Charles Edmond à travers sa première historiographie détaillée7. Nous retraçons ici les étapes marquantes d’une amitié ineffable, sublime par son naturel, sa bienveillance chaleureuse, et enfin par sa fidélité. II- Charles Edmond Chojecki, patriote polonais Avant de découvrir les conditions dans lesquelles le destin rapprochera Flaubert et Chojecki, il est utile de rappeler brièvement quelques éléments biographiques de ce dernier. Né le 16 novembre 1822 à Wiski en Podlasie, Karol Edmund est le fils d’Andrej-Ksawery Chojecki, homme très instruit et grand propriétaire-éleveur de moutons à Mowojev/Groudek (Jablonna-Lacka, près de l’actuelle frontière ukrainienne), et notable de la voïvodie (pro- vince). A huit ans, Karol Edmund connaîtra les affres de la première insurrection polonaise et de la russification forcée (1830). Il fera ses études au collège de Varsovie (1834), avec pour professeur de français, un certain Mikolaj Chopin, père du maestro. A seulement 18 ans, il est secrétaire du conseil d’Administration des théâtres de Varsovie, et il édite un petit supplément littéraire de la Gazeta Warszawska, intitulé ECHO (pour Edmund CHOjecki !). Il traduit des pièces, s’essaye même sur la scène, et publie son premier recueil de poèmes (Halina). Mais très rapidement, il va contribuer à la presse nationaliste (1842). A 21 ans, il étudie à Berlin « Polonais et Russes dans l'entourage de Flaubert et de Maupassant », colloque de l’association des Amis de Flaubert et de Maupassant en partenariat avec l’association POL’ART et l’Opéra de Rouen-Haute-Normandie, Hôtel des Sociétés savantes, Rouen, 23 novembre 2013 2 avec le philosophe Schelling, où il rencontre Tourguéneff ; puis il accompagne le comte Fran- çois-Xavier Branicki dans un voyage de six mois en Crimée. Entre temps, son activisme poli- tique l’aura fait remarquer des autorités russes… A 22 ans (1844), sous la menace d’une condamnation à mort imminente, il fait le choix pru- dent de « s’éclipser » à Paris, où il est accueilli par la communauté des polonais en exil. Ceci ne l’empêche pas de se rendre à Prague (1845), où il rencontrera Bakounine et Speznev. Lors de l’insurrection de Cracovie de 1846, il est établi à Dresde. Il correspond avec sa cousine germaine Maria Trembicka, l’amie intime de la comtesse Kalergis – elle-même élève préférée et maîtresse de Franz Liszt. Karol Edmund Chojecki y fréquente « l’immortel chevelu » et c’est aussi à travers ce cercle d’amis qu’il se rapproche d’un grand poète polonais, Cyprian Norwid, qui deviendra pour lui comme un frère. Sa production littéraire polonaise s’enrichit encore de recueils poétiques (Hanna, Gesla), du récit de son voyage en Crimée, et d’un essai sur la Tchéquie et les tchèques. A 25 ans (1846), Chojecki se fixe enfin à Paris, où il gagne modestement sa vie comme pro- fesseur au collège polonais des Batignolles. Une aventure avec une amie du cercle de Norwid et intime de Chopin, la comtesse Laura Czosnowska, jeune veuve esseulée, fait de lui le père d’une petite Maria Chojecka8, qu’il sera le seul à reconnaître, mais dont la garde lui sera cruellement déniée pour longtemps. Cette même année 1847, il aura entreprit une œuvre peu commune : la traduction, __ du français en polonais, __ de l’imposant Manuscrit trouvé à Sa- ragosse de Jan Potocki, dont il aura su, mystérieusement, soit retrouver des cahiers man- quants, soit les recomposer lui-même… Une énigme non encore résolue à ce jour. Les évènements du Printemps des Peuples de février 1848 remettent Chojecki en selle pour une grande bataille patriotique. Elu député de Lwow (alors polonaise), il se rend à la Diète de Prague. L’insurrection écrasée, il échappe de peu à une arrestation par les autorités autri- chiennes, laquelle lui vaut une seconde condamnation par contumace à la peine capitale. En sécurité provisoire à Paris, il se rapproche de Proudhon, contribue activement au Peuple et à la Voix du Peuple (financé par Herzen), y signe même des articles dans une rubrique de poli- tique étrangère. Un an plus tard (février 1849), il convie pour un banquet dans son propre ap- partement, Adam Mickiewicz et Herzen, pour le lancement de la Tribune des Peuples (financé par Branicki), et dont il sera secrétaire de rédaction. En juin, le journal sera suspendu, tout comme celui de Proudhon, et après de nombreuses persécutions policières, Chojecki se voit rapidement contraint de quitter le territoire avec Herzen ; nous sommes alors en mai 1850. Chojecki, très éprouvé par le double échec de la « révolution de février 48 » et de la presse sociale-démocratique de Proudhon et de Mickiewicz, forcé de s’éloigner de sa fille qu’il n’aura toujours pas revue, poursuivra sa route incertaine vers l’Egypte. On comprendra main- tenant les circonstances de sa première et fugace rencontre avec Flaubert en Egypte. III- Rencontre à Alexandrie Nous sommes à Alexandrie, au début du mois de juillet 1850. Un certain Karol Edmund Chojecki, vient juste d’y débarquer, au terme d’une fuite rocambolesque l’ayant conduit de Paris à Marseille, avec Alexandre Herzen, tous deux échappant à un avis d’expulsion pour leurs activités politiques, et d’une semaine de croisière. Pour leur exil, Herzen avait choisi Nice, et Chojecki, l’Egypte. Muni de lettres de recommandation pour s’établir au Caire (dont une de Victor Hugo), ce dernier ne compte pas séjourner très longtemps dans cette ville, « emmerdante », « pleine d’européens en botte et chapeaux », « à la porte de Paris moins 3 Paris.» Celui qui l’affirme, c’est Gustave Flaubert, de retour avec Maxime du Camp d’une expédition dans le haut-Nil, et en route vers le Liban. Un problème de visa les retarde pour une quinzaine. A l’Hôtel d’Orient, Flaubert remarque ce grand jeune homme blond aux fines allures, d’un an son cadet, un « polonais nommé Koieski » (comme il consignera dans son carnet de voyage), s’apprêtant à rencontrer au Caire le saint-simonien Charles Lambert-Bey, auquel lui-même avait juste rendu visite sur le retour. Une rencontre en Orient autant fortuite que passagère, donc, pour deux hommes que rien ne prédestinait à se revoir, ni encore à se rapprocher ! IV- Retrouvailles à Paris, et le procès de Mme Bovary Six ans se sont écoulés depuis. De retour d’Orient, Flaubert aura travaillé pendant cinq ans à Madame Bovary, lequel paraîtra en feuilleton dans la Revue de Paris, en automne 1856. Quant à Chojecki, la vie commence enfin à lui sourire, un apaisement et une nouvelle car- rière conquis tous deux de haute lutte. D’abord, en 1853, Proudhon lui permit de retrouver sa fille Marie. Les Herzen voulaient même la prendre chez eux en famille d’accueil !... L’actrice célébrissime Rachel Félix s’en occupera durant l’été 1853. A l’Odéon, il donne première lec- ture de la Florentine. En 1854, il rencontre Julie, qui sera la compagne d’une vie. Las ! le conflit de Crimée le voit s’embarquer pour une mission patriotique aux accents suicidaires, bien que nommé aide de camp du général Omer-Pacha sur le front du Danube __ et dont il reviendra sauf, disons miraculé, après une attaque de paludisme normalement fatale. Nous ne savons pas comment il trouva la force d’achever son premier grand roman polonais, Alkhadar, fresque historique de plus de mille pages de la grandeur et décadence de la jeune aristocratie du début du XIXème. En 1855, celui qui s’appellera désormais Charles Edmond entre à la Presse. Emile de Girardin le directeur, et son épouse Delphine (écrivain et amie de Rachel), comme le prince Napoléon, l’auront pris sous leur amicale protection. C’est dans leur cercle qu’il se lie d’amitié avec George Sand9. L’odéon crée la Florentine, un succès très remarqué. Charles Edmond est alors non seulement devenu rédacteur au plus grand quotidien de Paris, un ami de personnalités très influentes de Paris, et un dramaturge français. L’amitié uploads/Litterature/ 2013-rouen-desurvire-cec-amp-gf-parcoursamitie-v14-final-article.pdf
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- Publié le Nov 07, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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