LES ALGÉRIENS AUX BAGNES DE GUYANE Michel Pierre Association Française pour l'H

LES ALGÉRIENS AUX BAGNES DE GUYANE Michel Pierre Association Française pour l'Histoire de la Justice | « Histoire de la justice » 2016/1 N° 26 | pages 171 à 187 ISSN 1639-4399 ISBN 9782110100542 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-histoire-de-la-justice-2016-1-page-171.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Association Française pour l'Histoire de la Justice. © Association Française pour l'Histoire de la Justice. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © Association Française pour l'Histoire de la Justice | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) © Association Française pour l'Histoire de la Justice | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) 171 Les Algériens aux bagnes de Guyane Michel Pierre Agrégé d’histoire, ancien diplomate à l’ambassade de France à Alger Lors de son siècle d’existence (1852-1953), le bagne de Guyane 1 a été essen­ tiellement vu, rêvé, étudié, envisagé comme un lieu de transportation et de relégation presque exclusivement peuplé de condamnés français, éventuellement européens. Par manque de témoignages ou de reportages médiatisés, de travaux de synthèse ou de recherches ponctuelles, l’oubli a couvert tous ces autres bagnards de l’ensemble des colonies françaises exilés en Guyane. Oubliés ceux des Antilles et ceux d’Indochine, dont proviennent 530 condamnés qui peuplent des sites du territoire de l’Inini à partir de 1931 2, et après qu’un premier convoi spécifique de 472 condamnés indochinois aient été débarqués en 1922. Oubliés aussi ceux venus de Madagascar, de la Réunion, de l’Afrique-Occidentale française (AOF), et même des comptoirs français de l’Inde détenus au pénitencier d’Obock 3 (dévolu, de 1879 à 1895, aux condamnés des juridictions de Pondichéry, Chandernagor et Karikal) et dont 94 sont ensuite transportés en Guyane en 1891 4. Ces différentes origines de la population pénale en Guyane démontrent combien les bagnes coloniaux, succédant aux bagnes portuaires et au temps des galères, appartiennent à une longue histoire liée à l’épopée maritime française et aux conquêtes coloniales. L’administration pénitentiaire qui gère les terres de grande punition à partir de 1852 est un service du ministère de la Marine et des Colonies, puis uniquement de ce dernier lorsqu’il devient autonome en 1894. À ce titre, cette administration partage une culture, des valeurs et des habitudes qui la mènent à parcourir les océans, de la Guyane à la Nouvelle-Calédonie, des geôles de Poulo-Condor en Indochine jusqu’aux rives de l’Ogoué (bagne de Ndjolé au Gabon, en fonction de 1898 à 1913). Parmi tous les territoires peu à peu conquis, l’Algérie tient une place à part en devenant un prolongement du territoire métropolitain, celui où les lois se rapprochent au mieux de celles de la mère-patrie, tout en conservant des pos­ sibilités de répression qui lui demeurent spécifiques. Ce sont ces lois qui sont à l’origine d’un important effectif de condamnés algériens vers la Guyane et vers la Nouvelle-Calédonie. 1. Pour une synthèse de l’histoire des bagnes de Guyane : D. Donet-Vincent, De soleil et de silences, Histoire des bagnes de Guyane, Paris, La Boutique de l’Histoire, 2003 ; M. Pierre, Bagnards, la terre de la grande punition, Cayenne 1852-1953, Paris, Autrement, 2000 ; Le Temps du bagne, no 64 de la revue L’Histoire, juill.-sept. 2014. 2. D. Donet-Vincent « Les bagnes des Indochinois en Guyane (1831-1963) », Revue française d’histoire d’outre- mer, 1er semestre 2001, pp. 209-221. 3. Pénitenciers coloniaux : Gabon, Obock, Poulo-Condor, Archives nationales d’outre-mer, ANOM, H 2026. 4. Projets de transportation dans diverses colonies, ANOM, H 3. © Association Française pour l'Histoire de la Justice | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) © Association Française pour l'Histoire de la Justice | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) 172 Justices en Guyane Ces flux partis d’Alger ont longtemps été occultés par celui venu de Saint- Martin-de-Ré, qui a nourri, pendant près d’un siècle, l’univers mythologique des Français de métropole. Fort naturellement, par la suite, historiens et chercheurs se sont attachés à explorer et décrire le destin des bagnards métropolitains, en oubliant ou en négligeant le plus important des effectifs de condamnés de l’Empire, celui des Algériens. Ce n’est que récemment, grâce au travail pionnier de Muriel Cohen, que commence à être mieux cernée l’importance numérique, symbolique et mémorielle de ces milliers de condamnés algériens ayant eu à subir leur peine en Guyane 5, et dont nous ne connaissons pas véritablement le chiffre exact. Par contre, nous connaissons bien l’effectif des Algériens envoyés en Nou­ velle-Calédonie, depuis le premier convoi de 1863 jusqu’au dernier de 1897, lorsqu’il fut décidé de ne plus envoyer de condamnés dans l’archipel. Grâce aux recherches de José-Louis Barbançon, les itinéraires des condamnés algériens qui y furent déportés, transportés ou relégués 6 sont connus et identifiés 7. Et ce avec d’autant plus de précision que leur mémoire est entretenue sur place par des associations locales de descendants (ainsi l’Association des Arabes et amis des Arabes de Nouvelle-Calédonie, à Bourail). De plus, à partir de 2005, le réalisateur algérien Saïd Oulmi a effectué un travail d’enquête orale qui complète les archives en donnant voix et visages à nombre des descendants de ces condamnés 8. Nous savons ainsi que la répression des révoltes kabyles a mené 116 déportés en Nouvelle-Calédonie, qui a reçu également, à partir de 1864, environ 2 000 « arabes » pour reprendre la dénomination de l’administration pénitentiaire. Une très grande majorité d’entre eux relevant de la loi sur la transportation de 1854 (1 822 dont 1 702 originaires d’Algérie) et 161 de celle sur la relégation des multirécidivistes de 1885. Pour la Guyane, un travail aussi précis et documenté demeure à accomplir. L’Algérie. Une colonie particulière Terre d’exils En une situation quelque peu particulière, l’Algérie a été une terre d’arrivée de condamnés originaires de métropole et une terre de départ d’exilés hors de leur patrie. L’idée de déporter massivement celles et ceux qui s’opposent à la conquête et à la présence française est ancienne et effleure même la pensée de certains, tel le 5. M. Cohen, chercheuse associée au centre d’histoire sociale du xxe siècle, UMR 8058, université Paris 1, « Les Maghrébins à Saint-Laurent-du-Maroni : enjeux et sources ». Rapport pour le Centre d’interprétation de l’architecture et du patrimoine de Saint-Laurent-du-Maroni, 2014. Une première approche avait été réalisée par C. Leobal, Les Maghrébins au bagne de Saint-Laurent-du-Maroni (1867-1949), CIAP Saint-Laurent-du-Maroni. 6. Sur la distinction entre ces trois catégories de condamnations, cf. D. Donet-Vincent, De soleil et de silences. Histoire des bagnes de Guyane. op. cit. 7. L.-J. Barbançon, L’Archipel des forçats. Histoire du bagne de Nouvelle-Calédonie (1863-1931), Lille, Presses universitaires du Septentrion, 2003 ; L.-J. Barbançon, C. Sand, catalogue-album de l’exposition Caledoun. Histoire des Arabes et des Berbères de Nouvelle-Calédonie, Bayeux, 2013. 8. Réalisation de Saïd Oulmi, consultant Seddik Taouti, producteur Fatiha Belhad, coffret de sept docu­ mentaires, Les Témoins de la mémoire, Agence Bestcom, Alger, 2004. © Association Française pour l'Histoire de la Justice | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) © Association Française pour l'Histoire de la Justice | Téléchargé le 01/11/2020 sur www.cairn.info via Université de Nanterre - Paris 10 (IP: 193.50.140.116) 173 Michel Pierre général Bugeaud qui envisage en 1843 l’idée de diriger vers la Guyane, « hommes, femmes, enfants et vieillards 9 » des tribus révoltés. Le principe de ce transfert massif de population n’est pas retenu, mais l’idée d’exil hors de la colonie de réfractaires à la conquête est fréquemment évoquée, et pour partie appliquée. A contrario, l’idée de transporter des condamnés métropolitains en Algérie figure dès la monarchie de Juillet sous la plume du baron Jean-Jacques Baude, commissaire du roi en Algérie en 1836 : « La garde des condamnés serait plus facile en Algérie qu’en France, et qu’au pied même du Fort-Neuf, ils trouveraient pour longtemps, dans la création du port, un aliment à leur activité 10. » Douze ans plus tard, cette idée de déportation devient effective pour certains insurgés de mai-juin 1848 (459 au total), non sans quelques réticences. Ainsi celles du général Daumas qui, en militaire respectueux, accepte la mesure mais demande de l’envisager avec prudence, en considérant que l’Algérie « peut servir à l’émigration de la population exaspérante de la France. Mais il ne faut pas se dissimuler qu’on marche au milieu de grandes difficultés qu’il ne faudrait pas encore compliquer par l’introduction sur ce sol où nous ne sommes les maîtres qu’à la condition d’une uploads/Litterature/ 2016-les-algeriens-aux-bagnes-de-guyane.pdf

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