www.comptoirlitteraire.com André Durand présente Charles BAUDELAIRE (France) (1

www.comptoirlitteraire.com André Durand présente Charles BAUDELAIRE (France) (1821-1867) Cette troisième partie est consacrée à son esthétique Bonne lecture ! 1 Situé par sa génération en plein cœur du XIXe siècle, au point de contact et de conflit des forces qui animaient alors le mouvement des arts et de la littérature, le romantisme et le réalisme, toujours déchiré, écartelé, par des aspirations contraires dont I'incessant conflit constitue la matière même de son œuvre, constituant une synthèse plus ou moins paradoxale des courants qui l’avaient précédé, de ceux qui le côtoyaient ou de ceux qui allaient le suivre, Baudelaire vécut au plus profond de lui-même un drame esthétique, dont il reste pour nous à la fois la conscience, la victime et le héros. Pour lui, l’art ne relevait pas seulement du dilettantisme ou de la technique, encore moins d'on ne sait quelle recherche démagogique de la popularité. Il était, non seulement réponse à une vocation, mais peut-être, contre les menaces de l'ennui, de l'angoisse, de I'impuissance et de l'échec, exigence de salut, itinéraire de rédemption, exercice spirituel. Romantique par tempérament, mais jouissant d’assez de lucidité critique pour être conscient des limites, des insuffisances, des déviations, des impasses et des décadences du romantisme dans I'art et dans la littérature, contemporain des réactions antiromantiques, il entreprit de clarifier, pour sa propre édification et celle de ses contemporains (peut-être aussi celle de la postérité), les données mêmes du problème esthétique, tel qu'il se posait à ses yeux en ce milieu du XIXe siècle. Car il avait été amené à s’intéresser aux arts, et à se manifester d’abord en tant que critique d’art et que critique littéraire, écrivant de nombreux articles sur ses contemporains (peintres et écrivains). Comme au centre de sa pensée, comme au centre de sa vie, se plaçait I'idée de I'art, la vérité de l'art, la sainteté de l'art, sinon la religion de I'art, et qu’il était porté à la réflexion, que nul mieux que lui peut- être n’avait réfléchi aux problèmes artistiques et littéraires de son époque, il put concevoir toute une esthétique. Et, évidemment, le poète l’appliqua dans ses œuvres, surtout ‘’Les fleurs du mal’’. L'oeuvre critique Dans ‘’Richard Wagner et ‘’Tannhäuser’’ à Paris’’, Baudelaire indiqua : «Tous les grands poètes deviennent naturellement, fatalement critiques […] Une crise se fait infailliblement où ils veulent raisonner leur art, découvrir les lois obscures en vertu desquelles ils ont produit, et tirer de cette étude une série de préceptes dont le but divin est I'infaillibilité de la production poétique». Ailleurs encore, il déclara : «Il est impossible qu’un poète ne contienne pas un critique». En fait, dans son cas, cette épreuve du goût et du jugement lui fut imposée par les aléas de I'existence, et particulièrement la gêne financière. Il l’exerça d’abord avec une certaine désinvolture, puis de plus en plus sérieusement, montrant une intelligence pénétrante, une fermeté et une sérénité de jugement, qui témoignent amplement de son équilibre intellectuel. Au fil des ans, ses comptes rendus d'exposition firent de lui un critique d'art d'un flair et d'une subtilité prodigieuses, à I'esthétique originale et profonde. Il devint en effet un professionnel de l'écriture, qui évolua dans un monde d'éditeurs, de directeurs de revues et de théâtres, d'artistes et de littérateurs. Mais, n’écrivant pas des dissertations, des discours «sur», livrant plutôt des confidences personnelles, n’ayant que des amours, des passions, s’appuyant sur son intuition et son instinct inné de I'originalité plutôt que sur la conception réfléchie d’une esthétique, il pratiqua, selon sa propre formule, une critique «partiale, passionnée, politique», dont il pensait qu'elle est la plus «juste» : critique d'admiration ou d'irritation, selon les cas, mais qui se fonde sur une dialectique vigoureuse de refus et d'adhésion, dépassant l'épiderme de I'actualité pour construire une esthétique précise et rigoureuse. Il se soucia peu des écoles, ironisa sur «romantisme», ce «mot de ralliement», et sur «réalisme», ce «mot de passe», sur ces «canards» [fausses nouvelles] qu’on lance et auxquels il faut croire. Longtemps négligée, la somme de ses écrits journalistiques et critiques (‘’Salons de 1845, de 1846 et de 1859’’, ‘’L’exposition universelle de 1855’’, ‘’Le peintre de la vie modeme’’, ‘’Réflexions sur quelques-uns de mes contemporains’’, ‘’Curiosités esthétiques’’) apparaît aujourd'hui décisive pour la bonne compréhension de son oeuvre poétique que, chronologiquement, elle précéda pour une bonne part. Elle fut indiscutablement à I'origine de la rigueur et de la maîtrise qui caractérisent sa propre esthétique. 2 La critique d’art Dans ’Mon coeur mis à nu’’, il indiqua : «Goût permanent depuis l’enfance de toutes les représentations plastiques» - «Glorifier le culte des images (ma grande, mon unique, ma primitive passion)». Il avait été entraîné par son père à la finesse de la perception visuelle, à l’analyse de la sensation. Il fut dessinateur, grand amateur de peinture, ami de plusieurs peintres, se définissant comme «un homme qui, à défaut de connaisances étendues, a l’amour de la peinture jusque dans les nerfs». Il accorda toujours une place privilégiée aux représentations plastiques ; d’un bout à I'autre de son existence, il ne cessa d'exercer son jugement sur elles. C'est même à propos de peinture, de sculpture ou d'architecture qu'il exprima le plus librement ses idées sur le beau. Quand il dut s’improviser critique, profitant de sa connivence avec des peintres, il leur accorda une place primordiale. Grâce à son ouverture d'esprit, il mit au point une méthode originale : devant un tableau, il ne s’employait pas à décrire sa superficie, mais cherchait à remonter à sa source cachée, pensant que : «Les considérations et les rêveries morales qui surgissent des dessins d’un artiste sont, dans beaucoup de cas, la meilleure traduction que le critique en puisse faire» (‘’Le peintre de la vie moderne’’). Exerçant une pénétration exceptionnelle du symbolisme de l’oeuvre, il s’intéressait à ce qu’il nommait «l’idée mère», à la philosophie centrale et implicite d’une oeuvre, à la vision du monde du créateur, à cet accord profond entre une sensibilité, une morale, une perspective et un choix essentiel qui définit un esprit. En partant de I'analyse directe des oeuvres, et en retrouvant un certain nombre de principes, simples et absolus, il prononça sur les peintres de son temps des jugements qui, pour la plupart, restent valables. Il eut le très rare mérite de reconnaître et de détacher de la masse les artistes de premier ordre, devançant pour certains d'entre eux le choix de la postérité. Il appréciait surtout, chez des peintres contemporains, la qualité qui, pour lui, devait être au coeur de toute création : le mouvement, cette essentielle énergie qui «dynamise» I'œuvre, et bouscule l'état émotionnel de qui la contemple. Et il allait la retrouver d'ailleurs plus tard chez certains musiciens, dans les envolées de Liszt, dans les grandes «houles» des symphonies de Beethoven, dans les «extases» de Wagner, surtout, dont il dit, dans sa ‘’Lettre à Wagner’’, qu’il excelle à «peindre I'espace et la profondeur». S’il parla de la peinture avec toute la compétence d'un praticien, en revanche, il ne comprit pas la sculpture, qui I'«ennuyait» parce que «brutale et positive comme la nature», trop immédiate et trop esclave de I'objet auquel elle s'attache. Il commit sans doute à son propos ses seules graves fautes de jugement, y voyant d’abord un «art de Caraïbes», puis sous-estimant Rude ou Pradier, ignorant curieusement Carpeaux. Parmi ses contemporains, s'il salua le talent d'Ingres (pour refuser cependant son culte abusif de la ligne, et glorifier au contraire le colorisme symbolique) et de David, s’il sut distinguer dès leur apparition le talent de jeunes peintres, tels Courbet, puis Manet, dont pourtant l'oeuvre était en opposition avec certains points essentiels de son esthétique, il célébra surtout celui dont, à force de I'observer, de le commenter et de le «remodeler» dans son commentaire, il partagea la même conception de l’art, considérant comme lui qu’un tableau est la nature réfléchie par un artiste : Eugène Delacroix, qui trouva en lui son meilleur critique, le plus fervent, le plus dévoué. Le poète le définit dans ‘’Les phares’’ comme un «lac de sang hanté des mauvais anges», ailleurs comme «peintre complet et homme complet», doté d’une ultra-sensibilité. L'auteur des ‘’Femmes d'Alger’’, moderne par sa volonté de rester passionné tout en maîtrisant dans l'oeuvre le jeu des passions, le confirma dans son espérance d'une esthétique nouvelle, lui fit écrire : «Un bon tableau, fidèle et égal au rêve qui l'a enfanté, doit être produit comme un monde» (‘’La vie et l'oeuvre d'Eugène Delacroix’’). Chez lui, en effet, I'art semblait se refuser à toutes les servitudes de I'imitation d'une nature que Baudelaire jugeait aussi laide que «coupable», pour se faire expression, ou plutôt suggestion, d'une émotion et d'une spiritualité résolument individuelles et originales. «La peinture de Delacroix, écrivit-il, est revêtue d’intensité, et sa splendeur est privilégiée. Comme la nature perçue par des nerfs ultra-sensibles, elle révèle le surnaturalisme.» Il voyait en lui un peintre «suggestif ; ce qu'il traduit c'est I'invisible, I'impalpable, c'est le rêve, c'est les nerfs, c'est l'âme». Autrement dit, le vrai sujet, c'est le peintre lui-même et ses émotions. Ce n'est pas que I'artiste, salué aussi par uploads/Litterature/ 431-baudelaire-son-esthetique.pdf

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