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HAL Id: hal-01624187 https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01624187 Submitted on 26 Oct 2017 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. À quoi bon ? Les pouvoirs de la littérature selon Barthes Alexandre Gefen To cite this version: Alexandre Gefen. À quoi bon ? Les pouvoirs de la littérature selon Barthes. Ponzio, d’Augusto. Con Roland Barthes : alle sorgenti del senso, Meltemi, pp.594–604, 2006. ￿hal-01624187￿ « À quoi bon ? Les pouvoirs de la littérature selon Barthes » La critique littéraire contemporaine veut replacer au centre du débat la question des fonctions et pouvoirs de la littérature, qu’elle tente d’apprécier du côté des savoirs produits par la fiction (théories issues des sciences cognitives) ou du côté des valeurs véhiculées par les œuvres (pensons par exemple à la vaste sphère des « études culturelles » qui réintroduit l’idée de responsabilité de la fiction comme production de modèles et d’exemples opératoires). La critique contemporaine pense moins « où est la littérature ? », « comment la littérature ? », que des questions tout aussi globales, mais plus pragmatiques, au double sens du mot : « à quoi sert la littérature ? », « que produit-elle ? », « comment pouvons nous l’utiliser ? ». Puisqu’il s’agit d’évaluer l’apport de Barthes à la critique contemporaine (le « à quoi sert Barthes ? » si l’on veut) et de lui faire répondre à des questions qu’il n’a pas explicitement posée, j’ai voulu me demander quelle serait la réponse barthésiennes à ces préoccupations qui sont désormais les nôtres. La première remarque que je ferai, c’est de constater que, loin d’être rejeté au non d’une pensée structuraliste et immanente de « l’être littéraire », l’enquête sur les fins (particulières) ou les fonctions (historico-sociales) de la littérature est centrale dans l’œuvre critique de Roland Barthes, qui semble tout entière lutter contre la tentation d’un nihilisme esthétique renvoyant toute entreprise littéraire à son éternelle inutilité et à son insondable vanité (ainsi de la litanie des « À quoi bon » adressés à Chateaubriand qui rythment la préface à la Vie de Rancé1). La constance de cette question par delà l’hypersensibilité de Barthes aux modes théoriques (qui font varier, on le sait, année après année, ses méthodologies) tient assurément à son rôle stratégique : statuer ou redéfinir sur les fonctions et finalités du littéraire, c’est articuler la question de la définition et de l’évaluation, l’ontologique et le politique, et, en reliant le texte commun à ses usages particuliers, institue un rapport immédiat entre théorisation et consommation du texte. En sorte que le problème des fonctions du littéraire est à la fois dépendant de questionnements anthropologiques et sociologiques de grande ampleur situés en deçà de la responsabilité de l’auteur ou du critique (le problème du langage, la notion d’auteur, etc.) et des vacillements du cœur barthésien, toujours prêt une épochè critique limitant le fonctionnel à une pluralité de micro-usages personnels, locaux, concrets, non reproductibles et non généralisables du texte (pensons aux variations qui opposent la critique platonicienne de la mimèsis littéraire dans La Chambre claire et sa réhabilitation dans la Préparation du roman). Ce feuilletage de différents ordres hétérogènes de réponse à la question des fonctions et des fins est perceptible dans la réponse faite en 1969 au Corriere de la serra qui demandait à Barthes « à quoi sert l’écriture ? » : Je puis seulement énumérer les raisons pour lesquelles j’imagine écrire : 1. pour un besoin de plaisir, qui, on le sait bien, n’est pas sans rapport avec l’enchantement érotique ; 2. parce que l’écriture décentre la parole, l’individu, la personne, accomplit un travail dont l’origine est indiscernable ; 3. Pour mettre en oeuvre un « don », satisfaire une activité distinctive, opérer une différence ; 1 Barthes, R., « Chateaubriand : Vie de Rancé », Préface à la Vie de Rancé, Paris, UGE., coll. « 10/18 », 1965 ; texte repris dans Nouveaux essais critiques, in Œuvres complètes de Roland Barthes éditées par É. Marty, t. II, Paris, Seuil, 1994, pp. 1359-1376. Alexandre Gefen 4. pour être reconnu, gratifié, aimé, contesté, constaté ; 5. pour remplir des tâches idéologiques ou contre-idéologiques ; 6. pour obéir aux injonctions d’une idéologie secrète, d’une distribution combattante, d’une évaluation permanente ; 7. pour satisfaire ses amis, irriter ses ennemis ; 8. pour contribuer à fissurer le système symbolique de notre société ; 9. pour produire des sens nouveaux, c’est-à-dire des forces nouvelles, s’emparer des choses d’une façon nouvelle, ébranler et changer la subjugation des sens ; 10. enfin, comme il résulte de la multiplicité et de la contradiction délibérées de ces raisons, pour déjouer l’idée, l’idole, le fétiche de la Détermination Unique, de loa Cause (causalité et « bonne cause »), et accréditer ainsi la valeur supérieure d’une activité pluraliste, sans causalité, finalité ni généralité, comme l’est le texte lui-même.2 Si nous sommes autorisés à replier la question des fins de l’écriture sur celle des fins de la littérature, c’est que l’écriture est une sorte d’activation, de remise en mouvement de l’œuvre morte du livre. « L’écriture », au sens barthésien, est autant un aval (la genèse) qu’un amont de la littérature. Car Roland Barthes ne se voit pas comme un « passeur » de textes, un exégète ou encore un philologue (rôle dévolu à Raymond Picard) pouvant se contenter de s’inscrire dans des usages académiques établis du texte, mais, au contraire, comme le producteur de méthodologies ou de cheminements intellectuels « incidents » et « indirects » pour employer le vocabulaire barthésien, souvent forcés ou inattendus : comme un critique qui serait le co-auteur de l’œuvre qu’il étudie. Selon un des thèmes centraux de Critique et vérité (1966), la lecture active et créatrice est un travail obligé puisqu’il n’existe pas de vérité native de l’œuvre et qu’il n’y a pas d’évidence textuelle : pour Roland Barthes, toute herméneutique philologique ou essentialiste n’est qu’une instrumentalisation et la reproduction de superstructures idéologiques ; au contraire, le critique doit se transformer en fabricateur de possible et « retrouver les problèmes brûlants de toute énonciation3 » et rendre le texte « scriptible . Comme cette renarration du « déjà fait » qu’est le commentaire, le métalangage théorique doit être assumé par le critique comme une couche herméneutique propre, au risque de l’obscurité et de la folie tautologique. Le critique est, à ce titre, un écrivain de deuxième degré, dont l’écriture peut s’autonomiser jusqu’à devenir œuvre (rien n’interdit de suggérer que Barthes n’ait pas pensé sa propre production critique sur le modèle des littératures constituées par les utopies idéologico-linguistiques de Sade, Fourrier et Loyola). Essayons maintenant de mieux comprendre les réponses, délibérément contradictoires, données par Roland Barthes : I. « Par où commencer ? » : commençons par la dernière des propositions barthésiennes, déterminante dès que nous ouvrons un texte de l’auteur du Degré Zéro de l’écriture, au moins par rapport à des siècles de glose critique confiante dans ses pouvoirs d’élucidation herméneutique et de fixation pédagogique. C’est celle d’un soupçon, d’une méfiance, d’un refus : la littérature, cela sert doit servir contre l’idée de Littérature, la lecture doit servir contre la lecture (Barthes parle de « contre-lisible4 »), l’écriture contre l’écriture (Barthes parle d’une « contre-communication ». Si l’on regarde de près cette offensive, on y perçoit 2 « Dix raisons d’écrire », Corriere della sera, 29 mai 1969, repris dans Œuvres complètes de Roland Barthes, op. cit., t. II, p. 541. 3 Ibid., p. 431. 4 Ibid., p. 541. moins un refus de la littérature bourgeoise (comme un système qui reproduit et garantit les valeurs) qu’une défiance à l’égard du langage dont l’ampleur philosophique n’a pas que peu d’égal en dehors des attaques de Platon ou de Nietzsche contre le langage littéraire. J’en rappelle l’argument : le langage est un véhicule d’ordre, subséquemment, tout usage du langage est la reconduction d’une oppression (sa « grégarité5 ») parce que le langage « nous oblige à parler malgré nous » – toute énonciation est un fascisme, selon une formule célèbre, parce qu’elle est une attribution inégale d’autorité. Si la littérature est en cause, c’est parce qu’elle est un langage du langage ou une supraorganisation que l’on doit déconstruire pour faire parler le texte. Tout cela est bien connu, comme les conséquences qu’en tire Barthes : la nécessité d’une démythification, d’une démystification (le démontage du réalisme), voire d’un retournement des textes contre leurs buts (par exemple, utiliser les logothètes de Sade, Fourrier ou Loyola pour leur faire dire le contraire de ce qu’elle disent et en faire « l’index de notre dépouvoir »). Ici, Barthes veut jouer l’instrumentalisation contre l’instrumentalisation. Comment ? en s’appuyant sur l’instabilité herméneutique uploads/Litterature/ a-quoi-bon-la-litterature-selon-roland-b-pdf.pdf

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