Guy de Maupassant : précurseur du roman colonial ou anticonformiste ? Abdelkade
Guy de Maupassant : précurseur du roman colonial ou anticonformiste ? Abdelkader Sadouki. Lecteurs chevronnés et lecteurs amateurs ont lu Boule de Suif, cette longue nouvelle de Guy de Maupassant dénonçant sans complaisance la lâcheté de la bourgeoisie bonaparto- républicaine et du clergé, lors de la débâcle face aux Prussiens qui défilent, fin 1870, sous l’Arc du Triomphe au rythme de La marcha militar de Franz Schubert ; dans ce climat de défaite, ce sont les humbles : paysans, prostituées et Français de condition modeste qui représentent l’esprit français de résistance. Usagers des manuels scolaires de français du monde ont découvert avec saisissement dans la nouvelle La ficelle le mensonge et la jalousie du paysan normand causant même la mort de son frère. Amateurs du roman psychologique ne peuvent qu’oublier La Princesse de Clèves à la lecture de Pierre et Jean ; ce roman court mais pénétrant tel un brouillard qui décrit avec méticulosité flaubertienne les souffrances liées à une naissance illégitime. Passionnés du roman policier se sont étonnés de l’absence d’un policier dans la nouvelle La petite Roque ; un récit, pourtant, débutant avec un crime, dévoilant un criminel et finissant par un jugement. Romantiques et réalistes fervents ont voyagé en Corse sauvage à travers Le bonheur et Une vendetta. Enfin, dans la nouvelle L’héritage, Paris pouvait-il être si arriviste, calculateur et opérant sans scrupule ? Mais, en dehors de cette cohérence thématique et idéelle gérées par une narration souvent linéaire et un discours facile d’accès, Maupassant reste, à travers un certains nombre de récits1, un auteur contesté à la fois par ses compatriotes Normands pour son ton acerbe à leur 1Récits longs, récits courts et récits de voyages. égard, par les ex-colonisés d’Afrique pour ses portraits trop négatifs, aussi, par les politiciens de différentes obédiences pour avoir été Communiste, Soviétique, Résistant2…etc. Nous respectons ces avis car Maupassant est profondément Français si nous prêtons attention à centaines de ses œuvres. Cependant, il a parfois de la gêne d’être Français si nous nous référons à d’autres de ses œuvres. A posteriori, les marques d’un anticonformisme maupassantien ne sont pas sans lucidité. A titre illustratif, il fut séduit par les paysages du Maghreb, dur de ton avec les Maghrébins, admirateur de l’hospitalité corse, déçus par ses rochers, louangeur des communautés minoritaires (Mozabites, Kabyles, Corses), acerbe à l’égard des Turques et des Juifs, défenseur de la colonisation, critique à l’égard de cette dernière, bref, le docteur Blanche chez qui il fut interné pouvait-il faire quelque chose pour lui? C’est pour toutes ces raisons que nous essayerons dans cet article de confirmer la présence d’un anticonformisme de Maupassant à travers un certain nombre de fictions centrées sur l’Algérie colonisée. Or, il nous a semblés intéressant de faire précéder le cœur du sujet par les interrogations suivantes : Guy de Maupassant a-t-il soutenu et défendu l’idéologie coloniale de son propre pays la France ? Son œuvre romanesque étant antérieure à celle des œuvres de fiction officiellement3 coloniales d’un Louis Bertrand ou d’un Robert Randau, a-t-elle mis en place un fondement idéel exploité par ces auteurs ou épigones ? Enfin, l’anticonformisme maupassantien est-il dû à une conscience intellectuelle ou plutôt à son aliénation mentale ? Mais avant de répondre à ces questions, nous avons jugé utile de rappeler, dans une intention de rapprochement ou d’éloignement par rapport à Maupassant, quels sont les écrivains 2L’un des axes d’un colloque sur Maupassant organisé à Rouen en 2010 par l’association : Les Amis de Flaubert et de Maupassant. Axe : la récupération idéologique à des fins de propagande politique (Union soviétique, Résistance française au nazisme, communisme...). 3Appelées œuvres coloniales par l’histoire de la littérature. français du XIXe et du XXe siècle ; une période coïncidant avec les années de la colonisation de l’Algérie, qui se sont intéressés au pays du Fennec. Ces littératures, donc, appelées souvent roman colonial sont, selon l’ouvrage intitulé : le roman colonial en Algérie avant 1914, d’Alain Calmes, enseignant à l’université de Rennes II, les suivantes : les écrits d’auteurs français du XIXe siècle venus en Algérie tels que André Gide et Alphonse Daudet et dont le thème central est des souvenirs de voyages où un sentiment peu soucieux de l’avenir des colonies domine. « [EnAlgérie] nul aliment à leur peine ; un grand calme sur leur pensée. Ici, plus voluptueuse est la vie, et moins difficile la mort. » (Gide, André. 1905 : 23). Le grand roman colonocentriste développé par Louis Bertrand et dont le sujet majeur est l’antériorité sacrée de la culture latino-chrétienne en Algérie par rapport à la culture arabo- islamique et le droit d’existence de la première. « Je crois avoir introduit dans la littérature romanesque l’idée d’une Afrique latine toute contemporaine, que personne, auparavant, ne daignait voir. » (Bertrand, Louis. 1927 : 06). « Les conquérants arabes n’ont rien ajouté à l’héritage de Rome […] après avoir tout saccagé, ils n’ont rien su reconstruire. » (Bertrand, Louis. 1933 : XVI). Le roman ultracolonocentriste où plusieurs auteurs se sont illustrés, appelés aussi épigones colonocentristes, comme Victor Margueritte, Mlle Barbaroux, Guy de Teramond et Angèle Maraval-Berthoin et dont le sujet majeur des fictions est la supériorité de la race nordique en général et française en particulier ayant comme mission cardinale de civiliser les barbares sudistes. « Les français tirent du sol beaucoup plus que nous n’en tirons ; mais ils le cultivent aussi beaucoup plus […] Les colons ont une foule de choses excellentes dont ils font bénéficier les indigènes. Ce brave Louvier a renouvelé la race de nos mulets avec ses grands bourriquots de France […] Au fond de tout Arabe, il y a un admirateur de la France. » (Ben-el-Outa, Seddik. 1902 : 11, 12). Le roman colonocentriste éclairé ou roman algérianiste fondé par Robert Randau et qui, à l’opposé des écrits génocidaires de Louis Bertrand, est moins abject vis-à-vis de l’indigène mais demeure, par son discours légèrement réducteur, le texte romanesque le plus défenseur de la nécessité coloniale. « [La colonisation] est l’action autoritaire d’un peuple sur un peuple moins évolué, dans le but de hâter son évolution, matérielle, morale et sociale au bénéfice de la collectivité humaine. » (Monheim, Christian. 1939 : 15). Le roman indigénophile qui s’est voulu un défenseur courageux de l’indigène considéré par les romans précédents, sauf ceux de Gide et de Daudet, comme une main d’œuvre soumise à l’épanouissement du colonisateur. « Malgré tous leurs défauts et […] l’obscurité où ils vivent, les […] bédouins sont bien supérieurs et surtout bien plus supportables que les imbéciles européens qui empoisonnent le pays de leur présence. » (Eberhardt, Isabelle. 1923 : 273). En somme, ce sont, grosso modo, les idées développées sur l’Algérie par les Ecoles littéraires citées. Nous verrons leur conjonction ou disjonction avec un recueil de voyage titré Au Soleil et une nouvelle intitulée Allouma de Maupassant. Nous verrons par la suite leur liaison littéraire (inspiration) avec ces textes et relevons, enfin, les marques de l’anticonformisme maupassantien. Nous avons préféré exploiter un peu plus Au Soleil qui est un récit de voyage car dans de tels textes littéraires, le je de la première personne domine et n’est indéniablement que le je de l’écrivain lui-même par opposition à un je d’un roman qui n’échappe point à la question de l’illusion réaliste : nous pensons, évidemment, au référent vrai et au référent fictif dans un récit et son discours. Pour débuter, voici un passage sur une personnalité historique algérienne présentée effectivement comme héroïque par le discours officiel algérien mais aucunement par Maupassant. « Bien malin celui qui dirait, même aujourd’hui, ce qu’était Bou-Amama. Cet insaisissable farceur, après avoir affolé notre armée d’Afrique, a disparu si complètement qu’on commence à supposer qu’il n’a jamais existé. Des officiers dignes de foi, qui croyaient le connaître, me l’ont décrit d’une certaine façon ; mais d’autres personnes non moins honnêtes, sûres de l’avoir vu, me l’on dépeint d’une autres manière. Dans tous les cas, ce rôdeur n’a été que le chef d’une bande peu nombreuse poussée sans doute à la révolte par la famine. Ces gens ne se sont battus que pour vider les silos ou piller des convois. Ils semblent n’avoir agi ni par haine, ni par fanatisme religieux, mais par faim. » (Maupassant, Guy de. 1902 : 45). Néanmoins, Bou-Amama, la tribu des Oulad sidi Cheikh et la confrérie Rahmaniya, selon les historiens des guerres et occupations militaires, ont, entre 1864 et 1871, menée contre la France des insurrections très longues et dures bien que sporadiques. Ces révoltes farouches éteintes difficilement par la fille aînée de l’église ont imposé à la France le recours à une répression sans précédent et la nécessité d’une nouvelle expédition en 1870. Concernant les indigènes, Maupassant connaît, non seulement, les communautés qui peuplent l’Algérie, en plus, il les sépare culturellement et dresse pour chacune d’elle un portrait psychologique et social intéressant. Au sujet des Mozabites et des juifs, il nous dit : « Les Mozabites et les Juifs sont les seuls marchands, les seuls négociants, les seuls êtres industrieux de toute cette uploads/Litterature/ abdelkader-sadouki-guy-de-maupassant-precurseur-du-roman-colonial-ou-anticonformiste.pdf
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- Publié le Nov 08, 2022
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