Adab La prose littéraire dans la culture arabe classique Toutes les versions de

Adab La prose littéraire dans la culture arabe classique Toutes les versions de cet article : ]عربي[[français] Sommaire  Retour sur quelques questions de sémantique  Contours de l’adab au IIe /VIIIe siècle et naissance de la prose littéraire  L’âge d’or de l’adab  Les transformations tardives de l’adab  Bibliographie sommaire Au milieu du VIIIe siècle, à cheval sur les dynasties umayyade et abbasside, certaines grandes figures dans le cercle particulièrement sélectif des kuttâb (secrétaires) engagèrent une réflexion sur la représentation du monde, des valeurs, de l’éthique, de l’esthétique, de la culture, de l’exercice du pouvoir, des professions et fonctions y afférant, des comportements et des relations entre pairs, souverains et subordonnés, élite et vulgaire. Cette réflexion et ses corollaires, comportementaux, textuels ou idéologiques allaient donner naissance à la prose littéraire et connaître d’importants développements et transformations. Ils constituent sous l’appellation d’adab un fondement majeur de la culture arabo-musulmane classique, surtout abbasside (750-1258). Quoique le corpus des sources premières de l’adab classique n’ait pratiquement pas varié dans les dernières décennies, il est nécessaire de faire un bilan critique des approches qui en ont été proposées jusqu’ici par les chercheurs et d’esquisser une nouvelle synthèse des connaissances disponibles. En l’état actuel de la recherche, cela constitue l’étape indispensable précédant le traitement informatique du corpus numérisé des sources et l’étude de ses résultats, encore à faire, et dont on présage qu’il sera en tout cas fructueux. La présente contribution et son auteur sont donc directement redevables aux travaux antérieurs sur le sujet, y compris quand ils s’en écartent, particulièrement à ceux entrepris durant la première moitié du XXe siècle dont émanent, dans une très large mesure et bien souvent sans distance critique, les travaux ultérieurs. Dans les limites de cet article, seuls seront signalés les traits saillants de l’adab, ses représentants les plus prestigieux et leurs œuvres les plus emblématiques. Le lecteur pourra se reporter à la bibliographie indicative proposée suite à cette étude pour plus de détails. Retour sur quelques questions de sémantique L’usage, auquel nous nous conformons, consiste à introduire les études sur l’adab par une approche définitionnelle, traitant de l’histoire du terme même, dans ses emplois communs et sa polysémie, afin d’établir comment l’adab dessine un univers clos dans lequel l’élite abbasside se représente l’art de bien vivre, de bien dire et de bien faire comme les constituants entremêlés d’un même ensemble. Ce récapitulatif définitionnel, serait-il ponctuellement rébarbatif, permettra de pointer les limites de certaines affirmations considérées comme acquises. C’est le préalable indispensable pour réorganiser les données selon l’approche que nous proposons ici de l’adab comme une structure dynamique. Aujourd’hui, adab (ou dans sa forme littérale complète : ’adabun) est un terme ayant conjointement divers usages courants et spécialisés dans la langue arabe (littérale et dialectale). Le parti-pris cumulatif de la lexicographie arabe, qui privilégie une approche achronique du sens, juxtaposant les emplois ayant eu cours depuis la période préislamique à nos jours, confère au terme une grande polysémie confinant à l’inflation sémantique. Ainsi, quoiqu’il désigne le plus souvent de nos jours la littérature ou la bonne éducation, adab a aussi les emplois admis de coutume, règles morales, politesse, courtoisie, savoir-vivre, urbanité, culture générale dans toutes ses branches et sa pluridisciplinarité, raffinement, connaissances et savoir-faire permettant de remplir une charge ou une fonction... Il conserve également son acceptation archaïque d’invitation, passible à tout moment d’être réactivée, sa désuétude étant considérée comme purement contingente par les lettrés mais, plus largement, dans la représentation de la langue dans la mémoire collective. Aux origines virtuellement reconstituées du terme adab L’histoire du terme adab court donc sur près de quinze siècles et n’est pas, on s’en doute, facile à cerner. Si elle est intéressante, c’est parce qu’au-delà des données étymologiques et sémantiques, l’approche linguistique diachronique révèle, comme nous le verrons, des interprétations ou connotations relevant de l’histoire des idées. Deux traditions lexicographiques concurrentes visent à retracer l’histoire lointaine du terme avec pour objectif de mettre en évidence une continuité (selon le cas, logique, étymologique, sémantique, morphologique, métaphorique…) entre ses divers emplois. Adab et ses origines selon la tradition lexicale arabe : données définitionnelles La tradition lexicale arabe relie ’adabun au verbe ’adaba, dont il serait un nom verbal (masdar) secondaire ; ’adaba et son premier nom verbal ’adbun auraient pour sens : « inviter à un festin (ma’dubatun) ». C’est l’unique explication donnée par le Kitâb al-‘ayn (Le Livre [classé en partant de la consonne] ‘ayn), considéré comme le premier dictionnaire de la langue arabe, peut-être composé (tout ou partie) par al-Khalîl Ibn Ahmad al-Farâhîdî (m. 169/791) ou inspiré par son enseignement. Cette explication passe au second plan, deux siècles plus tard, dans al-Muhît fî al-lugha (L’Intégral de la langue), un dictionnaire que l’on doit au vizir, homme de lettres et grand mécène, al-Sâhib Ibn ‘Abbâd (m. 385/995). Il introduit en effet l’entrée « adaba » par : « al- adab, [terme] connu (ma‘rûf) », suggérant donc que l’usage courant du mot est si notoire qu’il est inutile de le définir. L’évolution du terme ’adabun de sa signification première d’invitation vers d’autres acceptions ultérieures se serait faite par glissement du sens propre au sens figuré, comme l’expliquent al-Jawâlîqî (m. 539/1144) dans Sharh Adab al-kâtib (Commentaire de [l’ouvrage] Adab du secrétaire), ou plus tardivement encore Ibn Manzûr (m. 711/1311) dans son célèbre dictionnaire Lisân al-‘arab (La Langue des Arabes) : « On l’appelle ’adabun car il invite (ya’dibu) les gens à la vertu et leur interdit les vilenies. À l’origine, ’adbun, c’est le fait d’inviter. » Ibn ‘Abbâd et son maître Ibn Fâris (m. 395/1004) dans Maqâyîs al-lugha (“Normes morphologiques” de la langue), associent à adaba le terme idb, défini comme ‘ajab (merveilleux). Or, al-Jawâlîqî paraît avoir substitué adab à idb et propose, en plus de l’explication mentionnée plus haut, une autre : adab avec l’acception « merveilleux », en serait venu à désigner métonymiquement « la chose qui émerveille, par son excellence, ou parce que l’homme dont elle est l’attribut émerveille par sa vertu ». Ibn Manzûr reproduit à son tour cette explication, puis ‘Abd al-Qâdir al-Baghdâdî (m. 1093/1682), auquel l’orientaliste italien Carlo-Alfonso Nallino (1872-1938) la reprendra. Les tentatives définitionnelles d’al-Jawâlîqî méritent attention. Elles attestent qu’il avait déjà lui-même, au Ve/XIIe siècle, maille à partir avec l’adab de ses prédécesseurs. Il ajoute, en effet, aux informations présentées plus haut deux définitions supplémentaires : « L’adab que connaissaient les [anciens] Arabes, c’est la belle moralité, les actions nobles et généreuses, renoncer aux bassesses, faire des efforts, savoir être accueillant » « Longtemps après les débuts de l’Islam, les gens se sont accordés par convention (istalaha) à appeler adîb celui qui a un savoir sur la syntaxe, la poésie et les [autres] disciplines des Arabes, et à désigner ces disciplines par adab. C’est un mot qui ne figure pas dans la langue la plus ancienne (kalâm muwallad), ces disciplines étant nées postérieurement à l’Islam. » Adab et ses origines selon la tradition lexicale orientaliste : quelques données La tradition lexicale orientaliste reprend ces définitions, mais considère qu’expliquer l’origine du sens d’adab par des glissements du sens propre au sens figuré revient à proposer une étymologie erronée. Elle en propose une autre fondée sur une remarque de l’orientaliste allemand Karl Vollers (1857-1909). Pour lui, à l’époque préislamique, ’adabun aurait été un nom singulier forgé à partir du pluriel ’âdâbun. Ce dernier aurait initialement constitué le pluriel correspondant au singulier da’b (radical D’B), signifiant « avoir coutume de… » ou « suivre le chemin/l’usage de… ». Pour des raisons phonétiques, ’âdâbun se serait substitué à ’ad’âbun, le pluriel morphologiquement attendu pour da’b. Quant au nouveau singulier, ’adabun, il aurait été secondairement rattaché au radical ’DB et allait connaître sa propre évolution ; par voie de retour, ’âdâbun allait en (re-)devenir le pluriel. La démonstration s’appuie donc sur le fait que dans les systèmes morphologique et phonologique de l’arabe archaïque, ’âdâbun peut être aussi bien le pluriel de da’bun que celui de ’adabun, cette ambivalence étant favorisée par la présence d’une hamza dans les radicaux ’DB et D’B, dont l’un se trouve être la métathèse de l’autre. Récapitulons ; pour Vollers : PHASE I [rattaché au radical D’B] Da’Bun (sing.) *’aD’âBun (pl.)/ ’âDâBun (pl.) ’aDaBun (sing.) PHASE II [rattaché au radical ’DB] ’aDaBun (“néologisme” sing.) ’âDâBun (pl.) Cette explication est plausible et cohérente. Rien ne permet pour autant d’affirmer qu’elle correspond à la réalité, ni de l’infirmer. Simple remarque chez Vollers, inscrite logiquement dans le cadre de ses travaux sur les langues sémitiques ou sur le Coran, elle sera imposée par Nallino, auquel on doit la première étude détaillée du terme adab et de son histoire. Présentée en arabe au Caire dans les années 1930, publiée en italien en 1948 et traduite en français en 1950, cette étude a soulevé peu de contestations. Signalons les réserves de l’orientaliste hollandais Seeger Adrianus Bonebakker (1923–2005) qui, pour sa part, préconisait (peut-être trop) prudemment de restreindre la définition d’adab à « the literary scholarship of a cultivated man ». La dernière suggestion s’appuie sur quelques rares sources premières, mais uploads/Litterature/ adab.pdf

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