AUTOUR DU LIVRE DE PIERRE BOURDIEU LA DOMINATION MASCULINE Beate Krais La Décou
AUTOUR DU LIVRE DE PIERRE BOURDIEU LA DOMINATION MASCULINE Beate Krais La Découverte | « Travail, genre et sociétés » 1999/1 N° 1 | pages 214 à 221 ISSN 1294-6303 ISBN 2738478379 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-travail-genre-et-societes-1999-1-page-214.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour La Découverte. © La Découverte. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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Quand, en 1990, l'article est paru, j'étais impressionnée parce que je trouvais qu'il présentait une vision éclairante et nouvelle des rapports sociaux de sexe mais quelque chose me gênait. Comment exprimer cette ambivalence ? 1. L'analyse de Bourdieu fournit un solide fondement théorique à une proposition centrale de la sociologie des rap- ports sociaux de sexe. Depuis longtemps, les sociologues féministes ont critiqué le concept classique du rôle social comme incapable de saisir l'action du «facteur» sexe, puisque le concept de rôle - ici le rôle féminin ou masculin - se réfère à des situations spécifiques et bien définies, par exemple entre époux, entre parents ou dans les interactions sexuelles pro- prement dites. Le sexe, par contre, est une dimension de l'ac- tion sociale qui est toujours présente. Ce qu'on appelle, avec Candace West et Don Zimmerman (1987), doing gender est toujours en oeuvre : au travail, à la maison, en promenade, à l'école etc. Dans son article, en recourant à l'analyse de la société kabyle qui est caractérisée par un ordre social et cos- mique fondé sur la division des objets et des activités selon l'opposition entre le féminin et le masculin, Bourdieu explique comment fonctionne ce doing gender ou, plus pré- cisément, la domination masculine en tant que structure et activité quotidienne : une vision du monde sexuée s'inscrit dans nos habitus ; l'habitus est sexué et sexuant. C'est la notion d'habitus qui nous donne la clé théorique pour l'analy- se de la division du travail entre les sexes, décrit souvent et en détail dans les textes des sociologues féministes, et c'est certainement la clé la meilleure pour comprendre comment «le monde social construit le corps, à la fois comme réalité sexuée et comme dépositaire de catégories de perception et d'appréciation sexuantes» (Bourdieu 1990, p.11). 2. Bourdieu attire l'attention sur l'importance de la violen- ce symbolique «qui fait l'essentiel de la domination masculi- ne» (Bourdieu 1990, p.11). Développé plus tôt, surtout dans L'esquisse d'une théorie de la pratique (Bourdieu 1972), ce concept est particulièrement utile pour l'analyse des rapports sociaux de sexe puisqu'il ouvre au regard sociologique tout 214 s Travail, Genre et Sociétés n° 1 - Avril 1999 Controverses Beate Krais Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.107.232.200 - 13/01/2020 21:43 - © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.107.232.200 - 13/01/2020 21:43 - © La Découverte un éventail de phénomènes qui sans ce concept, resteraient en dehors de l'analyse systématique. Même si la violence physique, la contrainte, la coercition et l'intimidation sont loin d'être négligeables dans les interactions entre femmes et hommes, on aurait du mal à expliquer la puissance sociale de la domination masculine - et même les actes de violence phy- sique contre les femmes dans la vie quotidienne - sans recou- rir à la violence symbolique, cette violence qui n'est pas perçue en tant que telle parce qu'elle n'est rien d'autre que l'application d'un ordre social, d'une vision du monde enra- cinée dans l'habitus de la dominée et du dominant. Dans une interview lors de la publication allemande de «La domination masculine» (dans la version de 1990) Bourdieu expose la vio- lence symbolique - «une douce violence» - comme un modèle très général de domination et la domination masculine comme un cas particulier de ce modèle (Bourdieu 1997). Mais il est évident que c'est ce cas particulier qui l'a incité à réflé- chir sur l'importance de la violence symbolique comme moyen de domination "moderne", le cas par excellence où le fonctionnement de la violence symbolique peut être étudié. L'adoption du point de vue dominant par les femmes, soit une image négative, dévaluée, humiliée de la femme, serait difficile à comprendre sans ce concept. En même temps, cette soumission, voire incorporation du point de vue dominant, met fortement en lumière ce que domination veut dire - c'est toujours aussi porter en soi-même ce qui vous détruit. 3. J'ai trouvé enfin très éclairant dans l'article de 1990 le chapitre traitant de la femme-objet. Bourdieu y décrit avec une grande lucidité - on pourrait aussi dire : avec brutalité - l'exclusion quasi-totale de la femme des «jeux» sociaux des hommes, donc du monde social - d'un monde social construit selon les principes de la compétition et donc, si j'ai bien com- pris, de l'honneur. Ce chapitre est écrit de l'intérieur de cet univers masculin, dans la perspective de quelqu'un qui s'y connait et qui participe aux «jeux sérieux qui ...offrent à la libido dominandi ...des champs d'action possibles.» (Bourdieu 1990, p.26). Je ne vois pas de femme qui aurait pu porter ce regard lucide... et compréhensif sur ce monde social qui se veut masculin. Tandis que l'identification des points forts de l'analyse paraît plutôt facile, il n'en va pas de même avec ce «qui ne va pas». J'avais commencé à le percevoir quand j'étais arrivée aux derniers développements de l'article, ceux qui traitent de «la femme-objet». En général, les textes sur les rapports sociaux de sexe sont écrits par des femmes. Dans la plupart des cas, ils se situent dans une perspective de libération des femmes, que cela soit explicite ou implicite, convaincant ou Travail, Genre et Sociétés n° 1 - Avril 1999 s 215 autour du livre de Pierre Bourdieu La domination masculine Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.107.232.200 - 13/01/2020 21:43 - © La Découverte Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 41.107.232.200 - 13/01/2020 21:43 - © La Découverte non. Mais ces analyses témoignent d'un regard de femme sur la domination masculine et ses conséquences pour la condi- tion féminine. Dans l'analyse de Bourdieu, il est évident qu'il s'agit d'un regard d'homme, d'un homme éclairé sans doute qui est connu comme analyste rigoureux du monde social, mais d'un homme qui, traitant de ce sujet, reste cependant enfermé dans une vision masculine. Quand il parle de l'uni- vers social kabyle, c'est un univers d'hommes qu'il décrit, avec des définitions d'hommes de ce qui est «public» et «privé», et on cherche en vain à savoir ce qui se passe entre femmes, dans la maison ou autour du puits par exemple qui est sans doute un endroit public pour les femmes. D'autres recherches et récits montrent que dans les sociétés où la mai- son est le domaine des femmes, beaucoup d'affaires sociales sont négociées et réglées par les femmes avant que les hommes ne terminent par un acte «public» certaines «choses sérieuses» comme les cadeaux à échanger, les négociations lors d'un mariage. Qu'en est-il en Kabylie ? Et si l'univers social est un univers masculin, comme dit Bourdieu, où est l'univers des femmes, comment fonctionne-t-il, comment est- il structuré ? Bien qu'il s'agisse d'un univers dominé, il doit exister, surtout dans les sociétés qui pratiquent une sorte d'«apartheid» des sexes. Il serait absurde de présumer que Bourdieu n'était pas conscient du fait qu'ici, sa qualité d'homme n'était pas à négliger, avec toutes les limites que ce fait impose. Il le dit à plusieurs reprises dans le texte, et le choix même des cas qui fournissent le matériau de l'analyse en témoigne : il choisit deux cas exotiques, le cas kabyle et les cas de la famille Ramsay vue par Virginia Woolf. Mais ce qui, à première vue, paraît être un bon choix puisqu'il permet de saisir les rap- ports sociaux de sexe «à l'état pur», pose en même temps des problèmes. L'un de ces problèmes est simple à constater : je ne me retrouve pas dans le monde social que Bourdieu dessi- ne. Mes conditions de uploads/Litterature/ autour-du-livre-de-pierre-bourdieu-la-domination-masculine.pdf
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- Publié le Jui 16, 2021
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