DeGau e mpidon Constantin Melnik présente LE DUEL DE GAULLE - POMPIDOU DU M1tME

DeGau e mpidon Constantin Melnik présente LE DUEL DE GAULLE - POMPIDOU DU M1tME AUTEUR A la Librairie Arthème Fayard L'ÉLYSÉE EN PÉRIL 2 • 30 mai 1968 PHILIPPE ALEXANDRE LE DUEL DE GAULLE - POMPIDOU ÉDITIONS BERNARD GRASSET 61, rue des Saints-Pères PARIS-VIe Tous droits dc traduction, de reproduction et d'adaptation réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S. © Éditions Bernard Grasset, 1970. A Nathalie, à Nino. Prologue Le général de Gaulle s'est retiré du monde. Huit heures par jour, dans le petit cabinet de travail qu'il a fait aménager, au premier étage de la tour de sa maison de Colombey, il écrit. La table est encombrée de brochures, de journaux, de feuillets qu'il noircit de sa longue écriture, avec d'innombrables ratures et tons les signes d'un labeur méticuleux. Chaque mot fait l'objet de soins extrêmes: «Je graticule», dit le Général. En face de lui, la fenêtre s'ouvre sur la pelouse, sur le ciel bas de la Champagne. sur des arbres cente- naires. Plus loin, derrière le mur de la propriété, deux gendarmes montent une garde inutile. Aucun bruit. De Gaulle travaille. L'Histoire, qu'il revit, est ce qui restera de son action, le prolongement naturel de son œuvre. C'est une besogne qu'il mène avec acharnement: elle l'occupera pendant six ans, peut-être sept. Le temps d'une présidence. Comme naguère à l'Elysée, il s'épouvante du temps qui lui est encore nécessaire. Même en travaillant aussi régulièrement et avec le concours des trois collabora- teurs qui, une fois par semaine, lui apportent de Paris des notes et des documents, il n'est pas assuré d'aller au bout de sa tâche. Il va avoir quatre-vingts ans. « Fasse le Ciel, dit Mme de Gaulle, qu'il puisse écrire toute la vérité. C'est son seul but, son unique devoir envers la France et envers lui-même. Il y a tant de men- songes, tant de romans et de légendes à effacer. Que Dieu lui en donne la force!» 10 PROLOGUE Le Général garde jalousement son secret. Lorsqu'il s'est mis à l'ouvrage, au début de l'été 1969, il envisa- geait de ne laisser publier ce dernier appel qu'après sa mort. Il a changé d'avis. Il confie, avec une sorte de gourmandise : «Oui, il y aura beaucoup de choses à dire. Mais je parlerai aussi de quelques hommes: je mettrai un peu de " ragoût ". » Quelles choses, et quels hommes? Mai 1968, Pompidou et la rupture, l'exil? A Paris, des compagnons du Géné- ral se livrent à de savantes suppositions. Certains ima- ginent que de Gaulle, en usant de sa plume, exercera sa vengeance et dénoncera tous les hommes qui l'ont abandonné. L'Histoire est une longue suite de trahisons et d'ingratitudes. Pendant trente ans, de Gaulle en a souffert dans son cœur et sa chair. Mais voici qu'il aper- çoit, «au soir de sa vie », l'occasion de se montrer tel que l'éternité le changera: seul, sans ami, entouré d'adversaires et d'envieux, suivi d'un cortège d'ambi- tieux, portant à bout de bras ce peuple si souvent découragé et décourageant. « Les Français, a confié le Général après son départ, étaient fatigués de marcher sur les sommets. Ils avaient envie de redescendre dans la vallée, pour y pêcher à la ligne, les pieds dans l'eau.» Aujourd'hui, les rumeurs, les querelles, les passions n'atteignent pas Colombey. Dans sa tour, de Gaulle se presse d'achever ses Mémoires d'outre-tombe, construit avec application le portrait - ou la statue - de lui- même qu'il entend léguer à l'Histoire. Sa mémoire est sans faiblesse, sans pitié. Redoutable. Tranquille, Georges Pompidou assume l'héritage. Il était le second, il est le premier: cette ascension ne l'a pas surpris. Il se défend de vouloir imiter - «singer », dit-il - le Général, ou même d'être hanté par son image. Ses journées sont sans angoisses, ses nuits sans cauchemars. A l'Elysée, il y a eu beaucoup de change- ments : les meubles, les tableaux, les usages, les visages. Mais dès qu'il s'agit de la France, de l'Etat, du pouvoir, PROLOGUE 11 Pompidou retrouve instinctivement les pas de son pré- décesseur. Il lui arrive de dépouiller son masque débonnaire et de tonner, à la façon du Général: «Que personne ne se trompe de République!» De Gaulle était l'homme des tempêtes, les recher- chait, les exploitait, y puisait son ardeur. Pompidou les évite. A un ancien ministre du Général, il confesse: «Je ne suis pas un personnage historique. Je n'ai pas d'équation personnelle. J'ai mon style, ma manière, mes méthodes: là est la différence. Mais sur l'essentiel, je ne dévierai pas d'un pouce: l'indépendance de la France, son rôle dans l'Europe, sa place dans le monde, voilà ce qui compte. Et la participation, je la fend petit à petit, jour après jour, sans secousse et sans drame. Mais je la ferai.» La solitude lui pèse. A cent mètres des Champs- Elysées et de leur vacarme, l'Elysée est un îlot de silence. Parfois, Pompidou s'arrête un instant devant la fenêtre, le parc ensoleillé, et soupire: «Dire que je ne peux même pas faire un petit tour à pied dans Paris.» Il sait comment le Général organisait ici son temps, faisant la part de l'essentiel et celle du secondaire. Tant de fois il s'est installé dans ce fauteuil, face à ce bureau qui est désormais le sien. A chaque instant, il se heurte au passé. Il s'efforce de ne pas en être impressionné. De Gaulle est au loin, vivant et invisible, présent et muet; le fil est à jamais rompu. C'est mieux ainsi: «Il ne peut pas y avoir de rencontre ni de relations entre le Général et moi, confie-t-il. Il serait tenté de donner des conseils, et moi de ne pas les suivre. Il me suffit de savoir que je suis profondément gaulliste. C'est cela qui me guide. Et m'oblige.» Entre ces deux hommes, le silence n'est pas vide. Pendant des années, ils ont partagé les chagrins et les espérances du pouvoir. Admiration de Pompidou, bien- veillance du Général: au total une espèce d'amitié, ou d'affection. Avec, naturellement, des arrière-pensées, 12 PROLOGUE des colères, des accrocs, des dépits - les vicissitudes de la complicité. ,Que s'est-il passé? Aucun d'eux ne veut le dire. Le Général a emporté à Colombey son «mystère». Pom- pidou est tenu, à l'Elysée, à la pudeur et au respect. La plupart des gaullistes ferment les yeux: de Gaulle est parti, son dauphin est venu. C'est tout simple. Voilà pour le présent. «Ne cherchons pas dans le passé, recommandent-ils. Il est encore trop proche.» Mais, de temps en temps, un témoin imprudent trahit cette loi du silence. Des faits, des épisodes, des détails surgissent. Et la belle « amitié» pour imagerie d'Epinal retrouve alors les couleurs changeantes de la vie. «Bah, dit encore un ministre, c'est trop difficile. On ne saura jamais. Pompidou est indéchiffrable. Le Géné- ral s'exprime par allusions ou par provocations - pour forcer les réactions de son interlocuteur. Si l'on s'en tient aux réalités, ces deux hommes ont travaillé côte à côte, vécu ensemble des jours roses, des jours sombres. Puis ils se sont séparés.» Pour parler désormais des hommes qui ont en charge les affaires de la France, le Général emploie un pluriel hautain: «ils ». Aux compagnons qui viennent lui rendre visite dans sa retraite, il refuse de révéler ses impressions sur ce qui se fait «là-bas», à Paris. «Ne s'en prendre à personne, a-t-il fixé pour règle, ni en public, ni en privé.» Couve de Murville, Jeanneney, Malraux - tous reti- rés de la vie publique - vont à Colomhey. De Gaulle leur parle des saisons, de l'état des chemins, des forêts voisines, ou même des fromages qu'il aime, ceux qui sont onctueux. Et de la France, celle de Louis XIV, celle de Napoléon, celle de l'an 2000. Mais pas de la France de M. Pompidou. Puis il raccompagne ses invités jusqu'à leur voiture et insiste une dernière fois, comme il le fera devant Malraux: «Je suis à l'écart. A l'écart. J'y resterai. C'est la seule chose que l'on peut faire savoir.» Les ministres, qui sont maintenant ceux de Pompidou, lui envoient des lettres, pour son anniversaire, pour le nouvel an, pour le 18 juin. Ou pour protester de leur PROLOGUE 13 fidélité. Il leur répond, soit de sa main, soit par les soins de son secrétaire Xavier de Beaulaincourt. Mais il se borne à des amabilités et des remerciements. Entre les gaullistes, une compétition attendrie se livre: cha- cun parle, en faisant de grands mystères, du «message» que le Général lui a envoyé. Et les vieux fidèles guettent la ligne bleue de la Champagne en espérant que de Gaulle leur fera un signe. En vain. · Aux hommes qui ne font pas de politique, notamment à des militaires, le Général adresse des pages un peu plus longues, mais en se gardant toujours de laisser apparaître une allu- sion quelconque à son successeur. Soldat, il a appris à se taire à Saint-Cyr. Ainsi cultivé, le silence est un geste. Dans les premiers mois de son exil, le Général s'aban- uploads/Litterature/ alexandre-p-le-duel-de-gaulle-pompidou.pdf

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