1 André Bazin : « Qu’est-ce que le cinéma ? » Néoréalisme Chapitre 1 : Le réali

1 André Bazin : « Qu’est-ce que le cinéma ? » Néoréalisme Chapitre 1 : Le réalisme cinématographique et l’école italienne de la Libération On a fréquemment opposé du reste le réalisme des films italiens actuels à l’esthétisme de la production américaine et partiellement de la française. Une nouvelle phase de l’opposition déjà traditionnelle du réalisme et de l’esthétisme à l’écran se dégage avec des films comme Cuirassé de Potemkine (1925 Russie), Paisa, Sciuscia ou encore Rome ville ouverte. Ce qu’il est important de retenir c’est la forme particulière qu’a pris ce conflit esthétique, les solutions nouvelles auxquelles le réalisme italien doit, en 1947, sa victoire. Les précurseurs Il est important d’approfondir les causes de cette renaissance. La Libération et les formes sociales, morales et économiques qu’elle a prises en Italie ont joué un rôle déterminant dans la production cinématographique. Si on en juge par l’importance et la qualité de l’édition cinématographique, il se pourrait que l’Italie soit aujourd’hui le pays où l’intelligence cinématographique est la plus aigüe. Le Centre Expérimental du Cinéma de Rome a précédé de plusieurs années notre Institut des Hautes Etudes Cinématographiques. Contrairement à chez nous, la séparation radicale entre la critique et la mise en scène n’existe pas dans le cinéma italien. Le fascisme qui laissa subsister un certain pluralisme artistique s’intéressa tout spécialement au cinéma. En mettant en place par exemple, le Festival de Venise à l’ère du Dulce. Aujourd’hui encore on mesure le prestige de cette idée de Festival international. C’est d’ailleurs le capitalisme et le dirigisme fascistes qui ont équipé l’Italie en studios modernes. S’ils lui ont valu la production de films ineptes, mélodramatiques et munificents, ils n’ont pourtant pas empêché quelques hommes intelligents de réaliser des œuvres de valeur qui préfigurent leurs œuvres actuelles. Le film Couronne de fer est une confirmation de la pérennité des prétendues caractéristiques nationales : gout et mauvais gout du décor, idolâtrie de la vedette, puérile emphase du jeu, intrusion de l’appareil traditionnel du bel canto et de l’opéra, scénarios influencés par le drame… Beaucoup de productions et de bons metteurs en scène ont cédé à cette caricature et exigence commerciale de films qui furent exportés. Pourtant, il existait une autre veine artistique pratiquement réservée au marché national comme le film Quatre pas dans les nuages. Un film réalisé en 1942 donc 2 ans après Couronne de fer et par le même metteur en scène : Blasetti. Des réalisateurs comme Vittorio de Sica se sont toujours attachés à faire des comédies très humaines, pleines de sensibilité et de réalisme. La tendance réaliste, l’intimisme satirique et social, le vérisme sensible et poétique n’ont été jusqu’au début de la guerre que des qualités mineures. Ensuite, ces qualités commencent à prendre de l’importance. Déjà dans la Couronne de fer, le genre semble se parodier lui-même. Rosselini, Lattuada, Blasetti s’efforcent déjà à un réalisme de classe internationale. C’est pourtant bien à la Libération qu’il appartiendra de libérer ces volontés esthétiques pour qu’elles puissent s’épanouir dans des conditions nouvelles qui ne seront pas sans en modifier sensiblement le sens et la portée. 2 La Libération, rupture et renaissance Plusieurs éléments de la jeune école italienne préexistaient donc à la Libération : hommes, techniques et tendances esthétiques. Mais conjoncture historique, sociale et économique a brusquement précipité une synthèse où s’introduisent d’ailleurs des éléments originaux. La Resistance et la Libération ont fourni les principaux thèmes de ces deux dernières années. Cependant, les films italiens ne se bornent pas à peindre des actions de résistance proprement dite. Pour eux la Libération ne signifiait pas un retour à la liberté d’avant, mais révolution politique, occupation alliée, bouleversement économique et social. Cette Libération a très fortement affecté la vie économique, sociale et morale du pays. Le cinéma italien se caractérise par son adhésion à l’actualité, ces films sont d’abord des reportages reconstitués où l’action se déroule dans un contexte spécifique qui ne saurait être neutre. Cette adhérence parfaite et naturelle à l’actualité s’explique et se justifie intérieurement par une adhésion spirituelle à l’époque. Pour le cinéma italien, la guerre n’est pas une parenthèse, mais une conclusion comme la fin d’une époque. Le cinéma italien est certainement le seul qui sauve, au sein même de l’époque qu’il dépeint, un humanisme révolutionnaire. Amour et refus du réel Les films italiens récents sont prérévolutionnaires : tous refusent, implicitement ou explicitement, par l’humour, par la satire ou par la poésie, la réalité sociale dont ils se servent. Mais ils savent, jusque dans les prises de positions les plus claires, ne jamais traiter cette réalité comme moyen. Ils n’oublient pas qu’avant d’être condamnable le monde est. Lorsque le film est réduit à l’intrigue ce ne sont que des mélodrames moralisants, mais dans le film tous les personnages existent avec une vérité bouleversante. Le personnage apporte de l’humanisme et exclut la terreur. L’amalgame des interprètes Ce qui frappe le public c’est l’excellence des interprètes. Avec Rome ville ouverte le cinéma mondial s’est enrichi d’une actrice de premier plan, Anna Magnani. Rossellini tournait beaucoup avec des figurants occasionnels trouvés sur les lieux même de l’action. Ce recrutement des interprètes s’oppose aux habitudes du cinéma, mais ne constitue pas une méthode nouvelle. C’est une constante à travers toutes les formes du cinéma réaliste. Avant dans le cinéma russe on retrouvait cette méthode, prendre des acteurs non professionnels auxquels on faisait tenir le rôle de leur vie quotidienne. Aucune grande école cinématographique entre 1925 et le cinéma italien actuel ne se réclamera de l’absence d’acteurs, mais parfois un film hors-série en rappellera l’intérêt. Ce sera toujours une œuvre de reportage social. La loi de l’amalgame : ce n’est pas l’absence d’acteurs professionnels qui peut caractériser historiquement le réalisme social au cinéma non plus que l’école italienne actuelle, mais très précisément la négation du principe de la vedette et l’utilisation indifférente d’acteurs de métier et d’acteurs occasionnels. Ce qui importe, c’est de ne pas placer le professionnel dans son emploi habituel pour ne pas avoir un déjà vu des rôles qu’il joue. Les non-professionnels sont choisis pour leur adéquation au rôle qu’ils doivent tenir. Les professionnels profitent de l’authenticité des non professionnels et ces derniers de l’expérience des professionnels. 3 L’amalgame est réussi quand on obtient une impression de vérité. Mais cet équilibre est instable, il évolue jusqu’à reconstituer le dilemme esthétique de base : la servitude de la vedette et documentaire sans acteur -> les acteurs non professionnels sont consacrés vedette, et l’acteur professionnel reste malgré lui enfermé dans son premier rôle. Esthétisme, réalisme et réalité Le mérite du cinéma italien est d’avoir rappelé qu’il n’était pas de « réalisme » en art qui ne fut d’abord profondément « esthétique ». Le réel comme l’imaginaire n’appartient, en art, qu’au seul artiste. Quand l’invention et la complexité des formes ne portent plus sur le contenu même de l’œuvre, elles ne cessent pas pour autant de s’exercer sur l’efficacité des moyens. Si le film Potemkine a pu bouleverser le cinéma, ce n’est pas seulement à cause de son message politique, mais parce qu’Eisenstein était le plus grand théoricien du montage de son temps et aussi parce qu’à cette époque la Russie était le centre de la pensée cinématographique et que les films « réalistes » qu’elle produisait recelaient plus de science esthétique que les décors, les éclairages et l’interprétation des œuvres artificielles de l’expressionnisme allemand. Il en va de même aujourd’hui pour le cinéma italien. Son réalisme n’entraine pas une régression esthétique, mais au contraire un progrès de l’expression, une évolution conquérante du langage cinématographique, une extension de sa stylistique. Depuis la fin de la doctrine expressionniste et surtout depuis le parlant, on peut considérer que le cinéma n’a cessé de tendre au réalisme. Ce cinéma veut donner au spectateur une illusion aussi parfaite que possible de la réalité. Par là, le cinéma se rapproche du roman et s’oppose à la poésie, la peinture et le théâtre. Mais le réalisme en art utilise des artifices, toute esthétique même pour donner l’illusion du réel constitue une contradiction inacceptable et nécessaire. L’art cinématographique se nourrit de cette contradiction, il utilise au mieux les possibilités d’abstraction et de symbole que lui offrent les limites temporaires de l’écran. Cette utilisation peut être faite au service ou aux dépens du réalisme, il peut accroitre ou neutraliser l’efficacité des éléments de réalité capturés par la caméra. Nous appellerons réaliste tout système d’expression, tout procédé de récit tendant à faire apparaitre plus de réalité sur l’écran. On a substitué à la réalité initiale une illusion de réalité faite d’un complexe d’abstraction, de conventions et de réalité authentique. Cette illusion entraine la perte de conscience de la réalité elle-même qui s’identifie dans l’esprit du spectateur à sa représentation cinématographique. Quant au cinéaste, il en vient à ne plus distinguer clairement lui-même où commencent et finissent ses mensonges (l’illusion du réel). De « Citizen Kane » à « Farrebique » Les toutes dernières années auront fait grandement évoluer l’esthétique du cinéma vers le réalisme. 2 évènements qui marquent incontestablement l’histoire du cinéma depuis 1840 : Citizen uploads/Litterature/ andre-bazin-chapitre-1.pdf

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