Lucien Bernot Hommage à André Leroi-Gourhan In: L'Homme, 1986, tome 26 n°100. p
Lucien Bernot Hommage à André Leroi-Gourhan In: L'Homme, 1986, tome 26 n°100. pp. 7-20. Citer ce document / Cite this document : Bernot Lucien. Hommage à André Leroi-Gourhan. In: L'Homme, 1986, tome 26 n°100. pp. 7-20. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/hom_0439-4216_1986_num_26_100_368657 Hommage à André Leroi-Gourhan André Leroi-Gourhan et l'ethnologie par Lucien Bernot « If these different interests [...] (for the Asian tools of all ages) [...] could be combined with an ethnological competence such as Leroi-Gour- han's something valuable would begin to emerge», écrivait en 1965 J. Needham dans Science and Civilization in China1. 1965, c'était aussi l'année de la publication du livre Le Geste et la parole, que Needham ne connaissait pas encore. Trente ans auparavant, en 1935, A. Leroi- Gourhan commençait son métier d'ethnologue. Est-il possible, en quelques pages, de rappeler ce que fut ce maître à qui nous devons tant ? Comment évoquer la richesse de l'enseignement qu'il dispensait au musée de l'Homme, allant d'une table où s'entassaient des objets à un tableau noir recouvert de dessins ? Comment rendre la chaleur humaine de ses cours qui n'ignoraient aucun des aspects d'un groupe humain, les « objets » n'étant là que comme témoins ; chaleur qui se manifestait ensuite lors de repas pris en commun, un peu « sur le tas », épicés d'informations concernant l'histoire d'une plante, la chronologie des saveurs dans un repas japonais ou français, « le rôti » et « le bouilli », le tout accompagné d'humour et de bons mots... ? Outre les quarante années d'enseignement, il faudrait rappeler les quelque deux cents publications2, la formation d'équipes (comme celle du département de Technologie du musée de l'Homme), la création de centres (tels le Centre de Formation aux Recherches ethnologiques) ; et puis les recherches, ethnologiques (nous y reviendrons) ou davantage orientées vers la préhistoire — comme le rappelle ici même J. Garanger — et l'archéologie, ou encore la paléo-anthropologie. Enfin, il faudrait citer les noms des centaines de chercheurs, étrangers et français, qu'il a formés. Cette diversité d'intérêts, cette pluridisciplinarité maîtrisée rendent le personnage difficilement saisissable. Dans les lignes qui suivent, je me L'Homme 100, oct.-déc. 1986, XXVI (4), pp. 7-20. Hommage limiterai à poser quelques jalons : vieux souvenirs pour ceux qui l'ont connu ; points de repère pour ceux qui le découvriront. En 1935-1936, dans ses premières publications — André Leroi- Gourhan, né en 1911, avait vingt-deux ou vingt-trois ans quand il commença à écrire — , cette diversité et cette pluridisciplinarité caractéri sent déjà ses travaux, l'auteur étant marqué, et il le restera, par deux de ses maîtres, Marcel Granet et surtout Marcel Mauss, l'un et l'autre main- teneurs de ce que représentaient, à la fin du xixe siècle et au début du xxe, cette École des sciences humaines en France et son Année sociologique dont Claude Lévi-Strauss a souligné « l'universalisme » fécond3. De ces premiers travaux nous isolerons le chapitre I, intitulé « L'homme et la nature », du tome VII, première partie de Y Encyclopédie française : l'Espèce humaine, publiée en 19364. Avant de nous attarder sur « L'homme et la nature », nous souhaite rions replacer le livre dans son contexte , qui devait beaucoup à Paul Rivet, directeur de ce tome VII, ainsi qu'à Lucien Febvre, auteur de l'Avant-propos et directeur général de V Encyclopédie. C'est à l'époque le seul ouvrage présentant une vue générale de l'ethnologie des cinq parties du monde (à l'exception de quelques traductions et de rares travaux déjà vieillis comme le Deniker5). Paul Rivet en a rédigé l'Introduction générale sous le titre « Ce qu'est l'ethnologie » (7.06-1 à 7.08-16). Excellente occa sion pour rappeler qu'en France cette discipline n'est enseignée que depuis 1925, que le support matériel de cet enseignement sera le musée de l'Homme — « le premier musée de France mis réellement à la disposition de la collectivité » (7.08-3) — qui sera inauguré en 1937. Dans cette Intro duction, dont les sous-titres sont évocateurs — « Solidarités : anthro pologie, ethnographie, linguistique » (7.06-5) ou « Solidarités : histoire, géographie, pathologie » (ibid.) — , Rivet souligne la nécessité pour les ethnologues de se tenir au courant du développement de sciences comme la biologie, la géologie, la zoologie, la botanique, la minéralogie, la physique, la chimie et l'astronomie (7.06-7). Lucien Febvre rend hommage à cet éclectisme et « au Docteur Rivet [. . .] qui réalise cette symbiose de Panthropologiste, de l'ethnologue, du lin guiste, de l'historien et du médecin » (7.04-10). Mais Lucien Febvre est aussi historien et, comme tel, l'auteur de La Terre et l'évolution humaine a son mot à dire en prologue à l'Espèce humaine : « Notre histoire est une grande maîtresse d'illusions, qui veut commencer seulement avec l'écriture [...]. Précédant les peuples que de rares documents nous laissent localiser, faut-il évoquer la masse profonde des Innommés [...] leurs efforts pour transformer la nature [...] pour créer la famille humaine, la maison humaine, l'agriculture, l'élevage, et puis l'art, et puis la religion » (7.04-7). Hommage C'est sur ces oubliés de l'histoire, sur « leurs efforts pour transformer la nature », que Leroi-Gourhan va se pencher. Effaçant les frontières entre les sciences humaines — « il n'y a pas des sciences sociales mais une science des sociétés », écrivait Mauss en 19276 — , il s'efforcera d'appré hender les sociétés dans leur totalité, ne privilégiant l'étude des techniques que comme moyen pour entamer une enquête, ce à quoi il s'emploie dans « L'homme et la nature » (et dans les deux livres qui suivirent), en visant l'exhaustivité, qu'il atteindra dans le Geste et la parole. L'objet — mieux, l'outil — sera pour Leroi-Gourhan le meilleur témoin pour étudier un groupe humain, principalement lorsque « l'homme ne peut plus parler parce qu'il est absent ou mort, [que] les archives font défaut [et quand seulement] deux témoignages subsistent, celui de l'Art et celui des Techniques »7. Mais il ajoutera aussi — et ce n'est pas une contradiction — que, pour étudier les sociétés actuelles, « l'étude de la vie matérielle des hommes n'a de signification que si le technologue possède une lucide conscience sociologique des faits étudiés, et ses matériaux ne prendront vie que s'ils sont élaborés en fonction des rapports économiques, esthétiques et sociaux qui les unissent, non seul ement à l'artisan, mais à la collectivité plus ou moins large à laquelle il appartient »8. Dans V Encyclopédie, en quelques pages — dix-huit exactement, dont quatre ou cinq de planches et de tableaux (7.10-8, 15 ; 7.12-1, 2, 3, 4) — , Leroi-Gourhan présente le plan de sa technomorphologie fondée sur les matières premières, d'où le titre « L'homme et la nature ». C'est le pro logue à L'Homme et la matière (1943), suivi de Milieu et techniques (1945), qui seront réédités en 1971 et 1973 après avoir été légèrement remaniés. Ces deux livres furent écrits à son retour du Japon où il fut chargé de mission de 1937 à 1939. C'est la grande typologie devenue un classique — Joseph Needham s'y réfère souvent — , offrant une véritable systématique des matières premières, gestes, outils, instruments, objets qu'utilisent les peuples sans machinisme, ainsi que des analyses péné trantes sur des notions comme l'« invention » ou l'« emprunt ». L'ouvrage est construit à partir d'un corpus d'environ 40 000 fiches — « quantité [...] assez faible » ajoute l'auteur (avec une pointe de coquett erie) — et d'une bibliographie si riche que son impression aurait entraîné la publication d'un troisième volume. Ainsi qu'il aimait à le raconter, ce sont là deux livres dont il aurait eu besoin au début de ses études, et il s'était contenté d'écrire ce qu'il n'avait pas trouvé... En 1945 la guerre s'achève, André Leroi-Gourhan assure un enseigne ment de technologie à l'Institut d'Ethnologie du musée de l'Homme dont il est aussi l'un des sous-directeurs. Paul Rivet et Jacques Soustelle sont 10 Hommage alors appelés à d'autres fonctions, et Claude Lévi-Strauss ne rentrera en France qu'en 1947. Le musée de l'Homme permet à son jeune sous-direc teur, qui maintenant doit administrer et gérer, de réunir une dizaine d'élèves avec lesquels il organise des campagnes de fouilles préhistoriques, ou qu'il regroupe dans le Centre de Formation aux Recherches ethnolo giques (CFRE) qu'il vient de créer. Cette initiative va donner à l'ethno logie française un véritable essor, l'enseignement de la discipline étant complété par l'apprentissage du métier. Bien sûr, il y a toujours des « cours » assurés par Leroi-Gourhan et ceux qui, avant la guerre, étaient plus ou moins ses condisciples : Denise Paulme, André Schaeffner, Jac ques Faublée, André-G. Haudricourt, Raoul Hartweg..., mais on apprend aussi la photographie, le cinéma, le dessin, la muséographie. Le stage se termine par un séjour d'une ou deux semaines « sur le terrain » donnant lieu à des rapports et exposés, voire à quelques synthèses et réflexions9. Avec Pierre Def fontaines, Leroi-Gourhan fonde en 1948 la Revue de Géographie humaine et d'Ethnologie, publiée chez Gallimard, et dont la secrétaire générale fut Mariel Jean-Bruhnes-Delamarre. Dans le premier numéro, il uploads/Litterature/ andre-leroi-gourhan.pdf
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- Publié le Mar 07, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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