anéantir DU MÊME AUTEUR H.P . Lovecraft – contre le monde, contre la vie, Le Ro
anéantir DU MÊME AUTEUR H.P . Lovecraft – contre le monde, contre la vie, Le Rocher, 1991 ; J’ai Lu, 1999. Rester vivant – méthode, La Différence, 1991. La poursuite du bonheur, La Différence, 1991. Extension du domaine de la lutte, Maurice Nadeau, 1994 ; Flam- marion, 2021. Le sens du combat, Flammarion, 1996. Rester vivant suivi de La poursuite du bonheur (édition revue par l’auteur), Flammarion, 1997. Interventions, Flammarion, 1998. Les particules élémentaires, Flammarion, 1998 ; 2021. Renaissance, Flammarion, 1999. Lanzarote, Flammarion, 2000. Plateforme, Flammarion, 2001 ; 2021. La possibilité d’une île, Fayard, 2005. Ennemis publics (avec Bernard-Henri Lévy), Flammarion/Grasset, 2008 ; J’ai Lu, 2011. Interventions 2, Flammarion, 2009. Poésie (Rester vivant, Le sens du combat, La poursuite du bonheur, Renaissance), J’ai Lu, 2010. La carte et le territoire, Flammarion, 2010. Configuration du dernier rivage, Flammarion, 2013. Non réconcilié – anthologie personnelle 1991-2013, Gallimard, 2014. Soumission, Flammarion, 2015. Sérotonine, Flammarion, 2019. Interventions 2020, Flammarion, 2020. www.michelhouellebecq.com michel houellebecq anéantir flammarion Il a été tiré de l’édition originale de cet ouvrage deux cents exemplaires sur vélin Rivoli des papeteries Arjowiggins numérotés de 1 à 200. © Michel Houellebecq et Flammarion, 2022. ISBN : 978-2-08XX-XXXX-X un 1 Certains lundis de la toute fin novembre, ou du début de décembre, surtout lorsqu’on est célibataire, on a la sensation d’être dans le couloir de la mort. Les vacances d’été sont depuis longtemps oubliées, la nouvelle année est encore loin ; la proximité du néant est inhabituelle. Le lundi 23 novembre, Bastien Doutremont décida de se rendre au travail en métro. En descendant à la station Porte de Clichy, il se retrouva en face de cette inscription dont lui avaient parlé plusieurs de ses collègues les jours précédents. Il était un peu plus de dix heures du matin ; le quai était désert. Depuis son adolescence, il s’intéressait aux graffitis du métro parisien. Il les prenait souvent en photo, avec son iPhone désuet – on devait en être à la génération 23, il s’était arrêté à la 11. Il classait ses photos par stations et par lignes, de nombreux dossiers sur son ordinateur y étaient consacrés. C’était un hobby si l’on veut, mais il préférait l’expression en principe plus douce, mais au fond plus brutale, de passe-temps. Un de ses graffitis préfé- rés était d’ailleurs cette inscription, en lettres penchées et 11 précises, qu’il avait découverte au milieu d’un long cou- loir blanc de la station Place d’Italie, et qui proclamait avec énergie : « Le temps ne passera pas ! » Les affiches de l’opération « Poésie RATP », avec leur étalage de niaiseries molles qui avaient un temps submergé l’ensemble des stations parisiennes, jusqu’à se répandre par capillarité dans certaines rames, avaient suscité chez les usagers des réactions de colère désaxées, multiples. Il avait ainsi pu relever, à la station Victor Hugo : « Je revendique le titre honorifique de roi d’Israël. Je ne peux faire autrement. » À la station Voltaire, le graffiti était plus brutal et plus angoissé : « Message définitif à tous les télépathes, à tous les Stéphane qui ont voulu perturber ma vie : c’est NON ! » L’inscription de la station Porte de Clichy n’était à vrai dire pas un graffiti : en lettres épaisses énormes, de deux mètres de haut, tracées à la peinture noire, elle s’étendait sur toute la longueur du quai en direction Gabriel Péri- Asnières-Gennevilliers. Même en passant sur le quai opposé, il lui avait été impossible de la cadrer entière- ment, mais il avait pu découvrir le texte dans son intégra- lité : « Survivances de monopoles / Au cœur de la métropole ». Cela n’avait rien de très inquiétant, ni même de très explicite ; c’était pourtant le genre de choses qui pouvaient susciter l’intérêt de la DGSI, comme toutes les communications mystérieuses, obscurément menaçantes, qui envahissaient l’espace public depuis quelques années, qu’on ne pouvait attribuer à aucun groupuscule politique 12 clairement répertorié, et dont les messages Internet qu’il était chargé d’élucider en ce moment étaient l’exemple le plus spectaculaire et le plus alarmant. Sur son bureau, il trouva le rapport du laboratoire de lexicologie ; il était arrivé à la première distribution du matin. L’examen par le laboratoire des messages attestés avait permis d’isoler cinquante-trois lettres – des carac- tères alphabétiques, et non des idéogrammes ; les espace- ments avaient permis de répartir ces lettres en mots. Ils s’étaient ensuite attachés à établir une bijection avec un alphabet existant, et avaient fait leur première tentative avec le français. De manière inespérée, cela semblait pou- voir correspondre : si l’on ajoutait aux vingt-six lettres de base les caractères accentués et ceux dotés d’une ligature ou d’une cédille, on obtenait quarante-deux signes. Traditionnellement, on recensait par ailleurs onze signes de ponctuation, ce qui permettait d’obtenir un total de cinquante-trois signes. Ils se retrouvaient donc face à un problème de décryptage classique, consistant à établir une correspondance biunivoque entre les caractères des messages et ceux de l’alphabet français au sens large. Malheureuse- ment, après deux semaines d’efforts, ils s’étaient retrouvés face à une impasse totale : aucune correspondance n’avait pu être établie, par aucun des systèmes de cryptage connus ; c’était la première fois que cela se produisait, depuis la création du laboratoire. Diffuser sur Internet des messages que personne ne parviendrait à lire était 13 évidemment une démarche absurde, il y avait forcément des destinataires ; mais qui ? Il se leva, se prépara un expresso et marcha jusqu’à la baie vitrée, sa tasse à la main. Une luminosité aveuglante se réverbérait sur les parois du tribunal de grande instance. Il n’avait jamais trouvé aucun mérite esthétique particulier à cette juxtaposition déstructurée de gigan- tesques parallélépipèdes de verre et d’acier, qui dominait un paysage boueux et morne. De toute façon le but pour- suivi par les concepteurs n’était pas la beauté, ni même vraiment l’agrément, mais plutôt l’étalage d’un certain savoir-faire technique – comme s’il s’agissait, avant tout, d’en mettre plein la vue à d’éventuels extraterrestres. Bastien n’avait pas connu les bâtiments historiques du 36, quai des Orfèvres, et n’en éprouvait par conséquent aucune nostalgie, contrairement à ses collègues plus âgés ; mais il fallait bien reconnaître que ce quartier du « nouveau Clichy » évoluait jour après jour vers le désastre urbain pur et simple ; le centre commercial, les cafés, les restau- rants prévus dans le plan d’aménagement initial n’avaient jamais accédé à l’existence, et se détendre en dehors du cadre de travail pendant la journée était devenu, dans les nouveaux locaux, presque impossible ; on n’avait, par contre, aucune difficulté à se garer. Une cinquantaine de mètres plus bas, une Aston Martin DB11 pénétra dans le parking visiteurs ; Fred était arrivé, donc. C’était un trait étrange, chez un geek comme Fred, qui aurait logiquement dû acheter une Tesla, cette fidélité aux charmes désuets du moteur à 14 explosion – il restait parfois des minutes entières à rêvas- ser en se berçant du ronronnement de son V12. Il finit par sortir, claqua la portière derrière lui. Avec les procé- dures de sécurité de l’accueil, il serait là dans dix minutes. Il espérait que Fred avait du nouveau ; c’était même, à vrai dire, son dernier espoir de pouvoir faire état d’une avancée quelconque lors de la prochaine réunion. Lorsqu’ils avaient, sept ans auparavant, été embauchés comme contractuels par la DGSI – à un salaire plus que confortable pour des jeunes gens dépourvus du moindre diplôme, de la moindre expérience professionnelle – l’entretien d’embauche s’était résumé à une démonstra- tion de leurs capacités d’intrusion dans différents sites Internet. Devant la quinzaine d’agents de la BEFTI et d’autres services techniques du ministère de l’Intérieur réunis pour l’occasion, ils avaient expliqué comment, une fois entrés dans le RNIPP , ils pouvaient, d’un simple clic, désactiver ou réactiver une carte Vitale ; comment ils procédaient pour pénétrer sur le site gouvernemental des impôts, et de là pour modifier, très simplement, le mon- tant des revenus déclarés. Ils leur avaient même montré – la procédure était plus lourde, les codes étaient changés régulièrement – comment ils parvenaient, une fois intro- duits dans le FNAEG, le fichier national automatisé des empreintes génétiques, à modifier ou à détruire un profil ADN, même dans le cas d’un individu déjà condamné. La seule chose qu’ils avaient estimé préférable de passer sous silence, c’était leur incursion sur le site de la centrale nucléaire de Chooz. Pendant quarante-huit heures ils 15 avaient pris la main sur le système, et ils auraient pu déclencher une procédure d’arrêt en urgence du réacteur – privant ainsi d’électricité plusieurs départements fran- çais. Ils n’auraient par contre pas pu déclencher d’incident nucléaire majeur – il demeurait pour pénétrer au cœur du réacteur une clef de cryptage à 4096 bits, qu’ils n’avaient pas encore craquée. Fred avait un nouveau logi- ciel de craquage, qu’il avait été tenté de lancer ; mais d’un commun accord ils avaient décidé, ce jour-là, qu’ils étaient peut-être allés trop loin ; ils étaient ressortis, effa- çant toutes les traces de uploads/Litterature/ ane-antir-michel-houellebecq.pdf
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- Publié le Nov 13, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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