META: Research in Hermeneutics, Phenomenology, and Practical Philosophy – XI (1

META: Research in Hermeneutics, Phenomenology, and Practical Philosophy – XI (1) / 2019 302 META: RESEARCH IN HERMENEUTICS, PHENOMENOLOGY, AND PRACTICAL PHILOSOPHY VOL. XI, NO.1 / JUNE 2019: 302-306, ISSN 2067-3655, www.metajournal.org Le but est toujours plus haut Aníbal Pineda Canabal Groupe Humanitas, Universidad Católica de Oriente Ernst Bloch, La lutte, pas la guerre, Écrits pacifistes radicaux (1918), traduction de l’allemand et présentation par Lucien Pelletier, Paris : Éditions de la Maison des sciences de l’homme, 2018, 120 p. Title: The Goal is always higher Keywords: Ernst Bloch, war, struggle, socialism, Russian revolution, World War I, Germany, Zimmerwald Conference Aux commémorations à caractère divers qui ont eu lieu en Europe et ailleurs pour signaler le centenaire de l'Armistice de 1918, est venu se joindre la récente publication de La lutte, pas la guerre d’Ernst Bloch, qui reprend quelques textes écrits par l’auteur du Principe espérance vers la fin de la Grande Guerre. Le livre, édité et traduit par Lucien Pelletier, contient, en plus d’une introduction aux thématiques principales développées dans l’ouvrage, trois essais de Bloch qui mélangent les registres philosophique, littéraire et journalistique. Le volume offre aux lecteurs de langue française les parties les plus significatives du livre Kampf nicht Krieg, publié chez Suhrkamp, sous la direction de Martin Korol, en 1985. Il reprend des textes publiés par Bloch dans le bihebdomadaire Freie Zeitung, pendant son exil en Suisse. Il s’agit des essais « L’Allemagne a-t-elle à perdre ou à gagner d’une défaite militaire ? », « Vade-mecum pour les démocrates d’aujourd’hui » et « Sur quelques programmes et utopies politiques en Suisse ». Cette publication continue à combler le vide des œuvres de jeunesse de Bloch, qui n’avaient reçu guère d’attention pour la réception française de son œuvre. BOOK REVIEWS 303 Le premier des articles mentionnés, que Bloch signa sous le pseudonyme de Dr. Fritz May, sur un ton à la fois iconoclaste qu’admoniteur commence sur un appel au peuple allemand et à l’armée. Pour l’auteur, la défaite de ses militaires ne correspond automatiquement pas au déclin de l’Allemagne. Bien au contraire, cela constitue son salut, obtenu par l’intermédiaire de la perte des responsables de sa crise, c’est-à-dire de la caste des militaires et du pouvoir prussien. Les conséquences possibles de la défaite sont analysées au plan économique et moral et, du même coup, minimisées. Le pire est déjà fait ! La guerre a dévasté le pays de l’intérieur et ruiné sa réputation partout dans le monde. Face à un tel constat, la défaite, ne peut qu’assurer « la résurrection de l’Allemagne véritable » (p. 19). Cette résurgence de l’identité véritable du pays passe nécessairement par la rénovation de sa structure économique. Elle ne se produira que par la disparition de la destruction de la classe des grands propriétaires terriens, les hobereaux. La chute de cette noblesse foncière archi-réactionnaire et de l’empire sur lequel elle est sise, rendrait possible la très souhaitable instauration d’une république démocratique, solution fondamentale et nécessaire à la reconstruction du pays sur tous les plans. Dans cet effort se trouvent aussi, pour Bloch, les nations de l’Entente dont la victoire assurerait une réconciliation de l’Allemagne avec le monde entier. L’Allemagne véritable est reliée, dans la langue enflammée de l’auteur, aux traditions plus nobles de la piété et de l’aplomb chrétiens de ce pays, à son esprit gothique et à une substance spirituelle souterraine qui le traverse et le tire vers le haut. Ce sont ces saines solutions qui ont été momentanément ensevelies par le militarisme prussien et l’exiguïté des vues de sa classe dominante. Renouer avec cet héritage de liberté face à l’autoritarisme prussien est la tâche spirituelle principale qu’une défaite militaire rendra possible. La partie centrale du livre est occupée par le plus long des essais : le Vade-mecum, dont certaines idées donnent précisément son titre au livre. La distinction en effet entre lutte et guerre y est ainsi expliquée : « La guerre n’est pas simplement le fait que des hommes tuent ou soient tués, elle représente plutôt une attitude, une condition bien précise : exactement, celle où vie et société sont régies par le soldat » (p. 35). C’est à cet état META: Research in Hermeneutics, Phenomenology, and Practical Philosophy – XI (1) / 2019 304 de vie, que dans la géographie archétypale blochienne est identifié la Prusse et le luthéranisme, auquel l’auteur s’est farouchement opposé pendant sa jeunesse. Le sous-titre du livre, choisi par le traducteur ― Écrits pacifistes radicaux ― exprime ici, de toute sa force, son particulier et paradoxal pathos : le refus radical de la guerre ne se confond pas chez Bloch avec une sorte d’idéologie de la non-violence qui sacrerait à tout prix le refus de tout combat pour le bien. C’est pour cela que l’auteur prend soin d’affirmer que la distinction entre lutte et guerre « n’est pas un simple jeu de mots, simple recours à l’euphémisme pour éluder à peu de frais les difficultés posées par le pacifisme » (p. 38). Alors que la guerre est une affaire d’État, la lutte est en relation avec des concepts qui ne peuvent pas se circonscrire aux frontières nationales. La lutte est reliée à la sympathie pour une cause perçue comme juste et capable de faire bouger la volonté vers un but élevé. L’image utilisée par le langage philo-religieux de Bloch est celle d’une ecclesia militans que la lutte engendre, en tant que groupe combatif en faveur de ses idéaux. Et dans le contexte de son époque historique particulière, la lutte est avant tout un positionnement contre la guerre dont le rôle a échu de façon particulière aux États-Unis dans la personne du président Wilson. Le concept qui attire par sa sympathie est celui du pacifisme qui ne doit pas être confondu avec un irénisme outrancier mais qui vise la conscience de l’existence des luttes bien plus grandes et bien plus excellentes que celle qu’est en train de mener la Prusse pendant la Première guerre mondiale. Central dans cet essai est le contraste établi par Bloch entre les identités du Nord et du Sud de l’Allemagne. Le pays en général est considéré comme un ensemble de diverses couches culturelles où les mélanges raciaux ont été fréquents et généralisés. Mais, face à une Prusse protestante, nordique, militariste, presque sans peuple, face même à un Empire Austro-Hongrois dont les structures sociales et étatiques sont féodales et obsolètes, se dresse un Sud, une Bavière catholique, joviale à tendance démocratique dont Bloch est originaire et qu’il n’a pas honte d’encenser fièrement. Il faut en plus remarquer tout au long de l’ouvrage, le ton surprenant de liberté qu’emprunte Bloch à l’égard du marxisme. Il en critique le primat du motif économique qui veut faire BOOK REVIEWS 305 dériver toute chose à partir du fonctionnement de la structure, et veut ramener en même temps la superstructure aux dynamiques matérielles de la première. Cela conduit à une surestimation du pouvoir du capital qui étouffe la force de la subjectivité et méconnait d’autres aspects de la vie économique comme c’est le cas par exemple de la vie rurale, l’économie agraire ou des instances de nature symbolique ou religieuse qui interviennent activement à côté de la structure économique. Cette exigence d’un réexamen du marxisme « de fond en comble » (p. 114), s’étend aussi vers une critique de la Révolution Russe où Bloch entrevoit déjà, sous les oripeaux de la lutte pour la liberté, les vieux atavismes tsaristes et autoritaires qui la mettent en danger dès sa naissance. C’est peut-être la conséquence pratique du fait que l’analyse marxiste, pour le jeune Bloch, lorsqu’elle met en exergue les éléments quantitatifs de l’agir social, néglige en même temps d’autres aspects qualitatifs qui ne sont pas pour autant moins importants ou moins performatifs. Dans le sillage de Max Weber, il affirme, par exemple, que « [l]a situation économique conditionne après coup le facteur spirituel mais ne l’engendre pas, celui-ci s’élançant d’un bond par-dessus et donnant l’orientation ; ni la personne, ni les réalités morales, ni le mythe ne sont à exclure des forces motrices de l’histoire (…) » (p. 71s.). Cette défense du facteur subjectif libre à l’œuvre dans l’histoire est une conviction que Bloch a défendu sa vie durant et qui lui a valu le titre de marxiste hétérodoxe. Le troisième essai enfin explicite et reprend d’autres intuitions présentes déjà dans les textes antérieurs : la lutte, en tant que rempart contre la guerre n’est pas du tout une simple réprobation morale du conflit armé. La fin de la guerre doit pour Bloch entraîner la chute de l’ordre bourgeois et non pas le simple rétablissement ou la conservation du vieux statu quo. Le ton catastrophiste qu’il adopte dans son livre et qui est récurrent dans toute son œuvre de jeunesse doit être lu avant tout comme expression pathétique de son anticapitalisme qui s’exprime sous la forme d’un romantisme révolutionnaire. Dans le dernier des écrits, il passe en revue plusieurs formes de compréhension de la paix, critique les malentendus possibles du pacifisme et des postures des exilés et s’attaque aux uploads/Litterature/ anibal-pineda-canabal-le-but-est-toujours-plus-haut-pdf 1 .pdf

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