ˆ Le scribe dans l’Égypte ancienne 28 _________________________________________

ˆ Le scribe dans l’Égypte ancienne 28 _________________________________________________________________________ Le scribe royal Hésirê, , Ancien Empire, vers 2660 avant notre ère, contemporain du pharaon Djeser, Saqqara, Musée égyptien du Caire. Le “scribe accroupi”, Ancien Empire. Paris, Musée du Louvre. Base d’une statue brisée du pharaon Djéser sur laquelle figure le début des titres d’Imhotep : “ Le trésorier du roi de Basse - Égypte”, Ancien Empire, règne du pharaon Djéser, IIIe dynastie 2668-2649 avant notre ère (Source : P. A. Clayton, Chronique des pharaons, Paris, Casterman, 1995, p. 33). _________________________________________________________________________ ANKH n°16 année 2007 ˆ Le scribe dans l’Égypte ancienne 29 _________________________________________________________________________ ˆ Le scribe dans l’Égypte ancienne Yoporeka SOMET _________________________________________________________________________ Résumé : A partir des figures d’Imhotep et d’Hésirê, scribes royaux de la IIIème dynastie pharaonique, (vers 2650 avant J-C), cet article esquisse un aperçu du statut de la science et des savoirs dans l’Égypte ancienne. Il expose ensuite, à partir des sources disponibles, l’étendue des connaissances que devaient maîtriser les scribes, l’élite intellectuelle de cet État, le premier dans l’histoire de l’humanité. Pour finir, il propose la prise en compte de cette dimension intellectuelle dans la définition habituelle du terme “scribe”, qu’il conviendrait désormais de remplacer par celui de “savant ”. Abstract : Ancient Egypt’s Scribes - From notorious names recorded in history such as Imhotep and Hesire, two great royal scribes during the IIIrd dynasty (ca. 2650 B.C.), this paper presents an overview of the key position of science and precise knowledge within Ancient Egyptian society and, on the basis of primary sources available, the author gives in detail an impressive account of the range of knowledge that Egyptian scribes and the intellectual elite should have to conquer and master. Finally, rating the intellectual magnitude in Ancient Egyptian society, the author is proposing to replace the term “scribe” by that of “scientist” in our modern translations of the Egyptian word “sesh”. Prologue rdi.i mry.k sSw r mwt.k Je ferai que tu aimes les écrits plus que ta mère rdi.i aq nfrw(.sn) m Hr.k Je ferai que leur beauté entre en ton visage (en toi) wrt swt grt r iAt nbt Car elle (la fonction de scribe) est plus grande que toute autre fonction nn wn mitt st m tA Il n’y a pas son pareil sur terre… D’après Hellmut Brunner, Die Lehre des Cheti, Sohnes des Duauf, Ägyptologische Forschungen, Heft 13, Hamburg, Verlag, 1944, p.105-107. _________________________________________________________________________ ANKH n°16 année 2007 ˆ Le scribe dans l’Égypte ancienne 30 _________________________________________________________________________ 1. Introduction Le mot égyptien qui est habituellement traduit en français par « scribe » est sS. Écrit avec un idéogramme représentant le matériel d’écriture (une palette, un godet et un porte-calame), ce hiéroglyphe signifie littéralement « celui qui écrit ». On sait que l’invention de l’écriture remonte à la fin du IVe millénaire avant notre ère. Des découvertes récentes faites par l’égyptologue allemand Günter Dreyer1 permettent d’en fixer le foyer en Haute-Égypte, voire en Nubie. Cela signifie que les premières tentatives relatives à l’écrit doivent être situées plus au Sud. En soi, cela n’a rien d’étonnant puisqu’il s’agit précisément de la zone de naissance et d’habitat de l’homme moderne. D’ailleurs, les Égyptiens eux-mêmes attribuaient l’invention de l’écriture, des sciences, des arts et des lettres au dieu Thot : , encore écrit : DHwty, avec le hiéroglyphe d’un ibis blanc monté sur un support . Cet oiseau est réputé d’origine éthiopienne. Son parèdre est la déesse Séchat : : sSAt, représentée en jeune femme parfois vêtue d’une peau de léopard2. Patronne des bibliothèques, des archives, des annales, mais aussi des mathématiques et de l’écriture, son nom signifie « celle qui écrit ». Selon une version donnée par Platon dans le Phèdre et par l’historien Diodore de Sicile dans sa Bibliothèque Historique, les hommes étaient encore réduits, comme les animaux, à ne manifester leurs sensations que par des cris confus et sans liaison, quand Thot leur apprit une langue articulée. Il donna, par la même occasion, à chaque individu le moyen de communiquer ses pensées et de s’approprier celles des autres. Mieux encore, il enseigna à les fixer d’une manière durable, en inventant l’art de l’écriture. Il organisa de même l’état social, établit la religion et régla les cérémonies du culte. Il fit connaître aux hommes l’astronomie et la science des nombres, la géométrie, l’usage des poids, des mesures et de la monnaie. Il inventa aussi la musique, fabriqua la lyre et institua les exercices gymnastiques. Enfin, c’est ce même dieu qui fit connaître aux hommes l’architecture, la sculpture, la peinture et tous les arts utiles3. Comme institution sociale, l’origine de l’écriture semble ainsi remonter à une époque si lointaine qu’elle est assimilée à une création divine. De fait, l’écriture égyptienne se dit mdw-nTr, « paroles divines ». Il y a ici la conscience, non seulement de l’ancienneté de cette institution, mais aussi de son importance sociale, comme en atteste la palette de Narmer. Ce document, conservé actuellement au Musée du Caire, est une magnifique 1 ANKH, n°8/9, 1999-2000, p. 86-94. 2 Attribut royal et/ou sacerdotal dans l’Égypte ancienne, la peau de léopard reste encore aujourd’hui associée à l’autorité, à l’honneur et au mérite dans toute l’Afrique, malgré le dévoiement qui en a été fait par le folklorique Maréchal Mobutu, plus apte à satisfaire les appétits voraces de sa tutelle occidentale qu’à entendre la clameur de son peuple… Dans la Nation Xhosa, à l’extrême sud du continent, ce symbole, associé à une plume d’oiseau rare (une grue bleue) et appelé Isithwalandwe/Seaparankoe, servait à récompenser la bravoure au combat. Le nouvel Etat Sud- africain en a fait, à la suite de l’ANC, sa plus haute distinction. Elle n’a été décernée, à ce jour, qu’à une vingtaine de personnalités au nombre desquelles Lilian Ngoyi, Helen Joseph, Albert Luthuli, Yusuf Dadoo, Moses Kotane, Walter Sisulu, Oliver Tambo, Chris Hani, Joe Slovo, Nelson Mandela… _________________________________________________________________________ ANKH n°16 année 2007 3 Voir Jean François Champollion, Panthéon égyptien. Collection des personnages mythologiques de l’ancienne Égypte, d’après les monuments, Paris Inter-livres, 1992, édition d’Olivier Tano. ˆ Le scribe dans l’Égypte ancienne 31 _________________________________________________________________________ plaque d’environ soixante centimètres de haut finement taillée, avec des dessins en relief, le tout sculpté avec finesse dans une pierre très dure, le schiste vert. Sur le recto de la palette, au niveau supérieur, se trouve inscrit dans un serekh (qui est la représentation de la façade d’un Palais) le nom du roi Narmer, considéré comme l’unificateur du pays et donc le fondateur de l’État égyptien. Dans la partie immédiatement inférieure apparaît Pharaon, habillé de vêtements sacerdotaux et coiffé de la couronne rouge de Basse-Égypte. Il porte en outre une massue dans la main gauche et un flagellum dans la main droite. Il est précédé de quatre porte-étendards et d’un scribe, le porte-sandales fermant la marche. Ainsi entouré, Pharaon est dans ses fonctions de chef politique et religieux. Le scribe apparaît donc, dès la fondation de l’État égyptien, comme l’un des personnages clé de cette institution. Il précède directement le roi. Cela est en soi révélateur du rapport de la civilisation égyptienne, souvent qualifiée de « bureaucratique », avec l’écrit. « Le scribe, écrit Georges Posener, c’est avant tout le bureaucrate et dans un État aussi paperassier que celui des pharaons, le bureaucrate est roi »4. Une étude récente5, uniquement consacrée à l’Ancien Empire, est parvenue, à partir de la documentation disponible, à recenser un peu plus d’un millier de scribes, ayant tous vécu entre la Ire et la VIe dynastie, c’est-à-dire des environs de –3200 jusque vers –2340. Qui étaient ces scribes, quel était leur rôle dans la société égyptienne, comment étaient-ils formés ? Et d’abord, qu’en est-il du système éducatif de ce pays nilotique ancien ? 2. Le modèle éducatif de l’Égypte pharaonique Avant d’être un centre d’instruction, : at- sbA nt sSw, autrement dit « une école des écrits », l’école égyptienne est d’abord un « lieu de vie ». Il n’y a qu’à considérer les efforts consentis en ce sens par le système éducatif français actuel pour comprendre l’importance et particulièrement l’intérêt de faire de l’école un lieu de vie, aussi plaisant qu’attractif. Il est d’ailleurs remarquable qu’en langue égyptienne, le mot « école » se traduise par l’expression « maison de vie » : , pr-anx. L’apprentissage des savoirs et des savoir-faire n’est pas déconnecté de la vie de tous les jours, de la réalité sociale, en un mot, de la vie en société. L’école n’a donc pas seulement pour mission d’instruire, mais bien plus et bien mieux, d’éduquer. Cette éducation, qui n’était pas uniquement réservée à quelques privilégiés, devait en outre commencer dès le plus jeune âge, à la maison. Et, chose exceptionnelle en ces temps-là, elle concernait aussi bien les garçons que les filles : « Quel que soit le sexe de l’enfant, à la maison on lui inculque toutes sortes de règles de bonne conduite et de bienséance qui doivent lui permettre de vivre dans le respect de Maât, déesse symbolisant la vérité, la justice, l’ordre universel et l’équilibre cosmique voulus lors de la création ; uploads/Litterature/ ankh-16-y-somet-le-scribe-en-egypte-ancienne-pdf.pdf

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