FAÉERIA L.V. Cervera Merino Publication: 2013 Catégorie(s): Fiction, Anthologie

FAÉERIA L.V. Cervera Merino Publication: 2013 Catégorie(s): Fiction, Anthologies, Fantasy, Humour, Nouvelles Tag(s): anthologie fantaisie humour 1 L'illustration de couverture est de Tom Robberts. 2 Faéeria est un recueil de mes nouvelles fantastiques, fantasy, ou oni- riques, publiées dans divers fanzines ou revues semi-pros à différentes époques de ma vie, mais j'y ai placé aussi une nouvelle que j'ai publiée dans un blog et d'autres écrits qui l'ont été dans plusieurs anthologies. É- galement — last but not least — une nouvelle totalement inédite, « Schweezbee ». Il s'y trouve, je pense, une évolution naturelle, de la pre- mière à la dernière en date, et il n'est rien de plus naturel que cela à mon sens. Je ne renie donc absolument rien de mes premiers récits, bien au contraire : je les chéris tendrement, comme de petits enfants. Vous avez devant vous un panel assez varié de mes écrits dans le domaine de la nouvelle, j'espère qu'elles vous conviendront autant que j'ai eu de plaisir à les rédiger. 3 LES TROIS SORCIERES Un jour que la Petite Princesse Coeur-de-Pomme et son amie Jezabelle, la tortue au caractère revêche et aux yeux bleus saphir, sur laquelle elle était montée, s'en revenaient d'un lointain voyage et se trouvaient fort lasses, la fatigue finit par s'emparer de la Princesse de manière irrémé- diable et elle s'en ouvrit aussitôt à sa compagne aux traits ridés. Cette dernière en dépit de ses récriminations lui suggéra seulement une courte halte, suffisante lui affirma-t-elle pour recouvrer les forces qui lui man- quaient. D'ailleurs, l'endroit n'était-il pas plaisant, en vérité ? lui demanda-t-elle. Immédiatement la fillette juchée sur la carapace de l'imposante tortue s'emporta en agitant ses petits poings roses : elle souffla bruyamment en même temps qu'elle descendait sur l'herbe verte du royaume de l'Arkaal, au ciel opalescent éclairé de noires étoiles et au centre duquel flottait un soleil sombre dégageant des flots d'obscure chaleur. La Petite Princesse était aussi menue et ravissante qu'une poupée de porcelaine, avec des traits délicats et pâles à l'éclat marmoréen, des sour- cils arqués joliment sous une chevelure brun doré tombant en mèches parfumées sur ses frêles épaules. Elle portait une robe au rose tendre dont l'ourlet de tissu blanc lui arrivait aux mollets, des mocassins de cuir crème piétinant sans remords l'herbe douce qui ployait silencieusement sous elle. La tortue massive qui l'avait transportée jusqu'à lors à une allure se- reine possédait un long cou ridé qui élevait sa tête grincheuse aux yeux de saphir à hauteur des épaules de Coeur-de-Pomme. Sa carapace à la brillance du jais et de l'onyx était bombée et renflée, parcourue de sillons d'or s'entrecroisant et s'entremêlant dans le désordre le plus harmonieux, le fouillis le plus esthétique qui se put concevoir. Ses griffes luisaient telle de l'émeraude et mordaient l'herbe en même temps qu'elle écoutait les remontrances et les plaintes de sa jeune maîtresse, la Petite Princesse Coeur-de-Pomme. Coeur-de-Pomme tempêta à tue-tête en faisant les cent pas sur l'herbe fraîche de l'Arkaal, afin de se détendre d'un si long voyage. La fillette et 4 la tortue qui l'accompagnait eurent une discussion agitée dans laquelle Jezabelle ayant mis en avant la prudence et la sécurité nécessaires à toute entreprise, la Petite Princesse lui répliqua par le pressant désir qu'elle avait d'un bon lit et d'un repas consistant. Alors Jezabelle lui demanda d'attendre un jour encore, car tel était le laps de temps nécessaire pour pouvoir rejoindre leur demeure qui était le Castel d'Armor. Mais la pe- tite fille s'y refusa, d'autant qu'elle venait de distinguer un toit de chaume perdu dans l'immense forêt recouvrant l'Arkaal. ― C'est peut-être dangereux, Princesse, lui souffla la tortue qui l'escortait en observant comme elle, à présent, la toiture de paille émer- geant d'entre les arbres. Nous ne connaissons en aucune manière ses ha- bitants, et s'ils se montraient agressifs à notre égard ? ― Tu es trop méfiante, Jezabelle, lui assura la fillette en marchant vers la demeure enfouie parmi la végétation. Je suis certaine que cela te rend désagréable, et t'aigris le caractère. La tortue aux yeux bleus de mer se contenta dès lors de suivre la Prin- cesse avec une grimace maussade. Elle se dandina avec plus de lenteur encore qu'à son habitude, et à la suite de cela son cou plissé positionna sa tête presque aussi haut que celle de sa maîtresse. La forêt était téné- breuse et le ciel grandement assombri par l'astre noir et son cortège d'obscures étoiles l'aurait rendue d'une opacité stygienne si beaucoup d'arbres de la forêt, à l'image de toutes les sylves de l'Arkaal, n'avaient été dotés de baies lumineuses et rondes, ou bien ovales, en sus de leurs propres baies ou fruits. Il se dressait également à profusion des arbres tout à fait normaux, comme des chênes et des pins, des hêtres, mais la grande proportion de ce qui était appelé des arbres-à-lumière rendait la vision de chaque chose aisée et naturelle. C'est donc au sein d'une clairière dont les arbres, dans leur majorité, étaient nanti de douces luminescences, que la Petite Princesse et son cha- peron Jezabelle détaillèrent de plus près la chaumière isolée vers laquelle elles avançaient. Celle-ci n'était faite que de bois dans ses murs de ron- dins et même son porche d'entrée, dans la véranda sur laquelle courait également le toit de chaume. Et une vive agitation s'échappait de la mai- sonnée, dont il provenait des cris perçants et des exclamations, des la- mentations geignardes. ― Il semble que nous venons à un mauvais moment, murmura son- geusement la Petite Princesse par-devers soi. J'espère qu'il nous sera fait bon accueil… Qu'en penses-tu, Jezabelle ? 5 ― Que pourrais-je dire qui ne puisse être entaché par mon mauvais caractère ? Maugréa cette dernière, qui était visiblement d'une humeur massacrante. Je préfère encore me taire ! ― Jezabelle, tu es fâchée ? Lui demanda Coeur-de-Pomme avec de grands yeux. Tu sais très bien que je t'aimerai toujours ! Et pour se faire pardonner, car la petite fille voyait bien qu'elle avait blessé son amie, elle avait serré sa tête à la mine austère contre son coeur. ― Toujours, toujours, toujours ! avait poursuivi la Princesse en étrei- gnant Jezabelle de toute la force de ses petits bras. ― Il n'empêche ! lança son chaperon à présent quelque peu rassuré. Désagréable, moi ! Voilà qui est blessant au possible ! Et tandis que la fillette vêtue de rose frappait à la porte, la tortue aux yeux bleus n'avait pu s'empêcher de poursuivre pour elle-même : ― Si j'étais aigrie et désagréable, je le saurais, tout de même ! Mais déjà la Petite Princesse avait donné des coups vifs sur la porte vermoulue de l'entrée et une repoussante vieille femme s'était glissée dans l'entrebâillement. Celle-ci, aussi curieux que cela puisse paraître, ne se montra aucunement surprise par l'apparition des deux amies et avec un large sourire ─qui dévoilait d'infâmes chicots noircis ─appela aussi- tôt celles qu'elle nommait ses soeurs. Autour des deux voyageuses, brus- quement envahies d'un léger malaise devant la désagréable déconvenue que constituait leur découverte, se placèrent Laiderette, Laideronne et Laiderosse, ainsi qu'elles se présentèrent. Ces dernières étaient toutes trois vêtues de noir comme il sied aux sinistres personnes de leur acabit et de lourdes capes les enveloppaient, certaines, deux d'entre elles du moins, arborant des chapeaux pointus à large bord dès qu'elles sortirent à l'extérieur. Elles étaient fort laides avec des nez rouges identiques à des courges malsaines, des yeux petits et cruels et des cheveux dégoulinant en mèches sales sur leurs épaules. En bref, de véritables et authentiques sorcières, à n'en pas douter, assurément. ― Une tortue ! s'exclamèrent-elles en choeur dès qu'elles eurent obser- vé attentivement Jezabelle. ― Et de belle taille, en plus ! précisa l'une d'elles. Elles ne se gênèrent pas pour informer la Petite Princesse que la pré- sence de Jezabelle les arrangeait grandement, étant donné qu'elles avaient justement besoin d'une tortue. Jezabelle prit alors la parole, lais- sant volontairement planer un doute inquiétant sur des amis imaginaires lancés à leur recherche, mais les trois sorcières semblaient être d'une plus grande dureté de coeur qu'elles ne se l'imaginaient. Car elles ne parurent nullement indisposées, mais proposèrent plutôt aux deux amies de se 6 reposer quelques instants, en attendant la venue des personnes en ques- tion. Et Coeur-de-Pomme qui n'avait plus aucune envie comme bien l'on s'en doute de demander le gîte et le couvert ─sa fatigue et son appétit s'étant brusquement envolée ─fut très effrayée à la vision de l'antre des sorcières, qui était obscur et puant, enfumé comme un chaudron infernal. D'ailleurs dans l'âtre d'une cheminée il se trouvait sur un feu de bois une marmite de cuivre, cabossée et noircie, dans laquelle bouillonnait une mixture malsaine. Des os y flottaient, parmi des ingrédients divers : et de curieux dessins ornaient le sol en carreaux de terre cuite. Les sorcières proposèrent une chaise à la Petite Princesse, et cette der- nière malgré ses dénégations finit par se plier à leur volonté, uploads/Litterature/ faeeria.pdf

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