Le masculin et le féminin dans l'exégèse de Rachi sur la Genèse À la mémoire d
Le masculin et le féminin dans l'exégèse de Rachi sur la Genèse À la mémoire de mon maître, le Grand Rabbin Max Warschawski 1« Et que dit Rachi ? » C’est la question rituelle, presque incantatoire, qui a scandé et qui continue de scander l’accès au savoir biblique et talmudique dans le monde juif tout entier. 2Rachi, Rabbi Chlomo Yitshaqi (1140-1205), a vécu et a enseigné à Troyes, en Champagne, où il est mort. C’est le seul exégète dont le nom soit devenu inséparable de la notion même d’étude, le seul dont le commentaire est désormais l’accompagnement obligé du texte biblique et talmudique, à travers le monument universellement connu qu’est le « Houmach Rachi ». 3Une des traditions qui nous sont parvenues concernant ce grand Sage d’Israël évoque ses relations avec ses trois filles, Myriam, Yochebed et Rachel, auxquelles, dit-on, il transmettait son enseignement à une époque où l’accès au savoir pour les femmes n’était guère à l’ordre du jour [1] [1]Avraham Grossmann, « Haicha bemichnato chel Rachi » (« La femme… . 4Notre enquête se limitera au commentaire que fait Rachi des trois premiers chapitres de la Genèse, chapitres cruciaux, il est vrai, puisque c’est là, dans les récits de l’apparition du premier couple, de la transgression et du « châtiment », que l’Occident chrétien, développant un courant minoritaire de l’interprétation juive, va enraciner pour deux millénaires l’évidence du statut inférieur des femmes. 5Rappelons quelques éléments importants du récit biblique. Le premier chapitre de la Genèse relate les étapes de la création du monde en six jours ; c’est dans ce cadre que se situe l’apparition de l’être humain : il est créé le sixième jour dans sa double dimension de masculin et de féminin et se voit confier la tâche de peupler la terre et de la dominer [2] [2]Genèse I, 27-28. . Le deuxième chapitre raconte en détail la création de la femme : le projet divin de faire une « alliée face à lui », la nomination des animaux par le premier homme et le constat de sa propre solitude, le prélèvement opéré par Dieu, à la faveur d’un profond sommeil, d’une côte ou d’un côté, la suture, la « construction » du côté prélevé en femme, l’exclamation de soulagement de l’homme et l’institution du mariage [3] [3]Genèse II, 18-24. . Enfin, dans le troisième chapitre, prennent place la transgression de l’ordre divin entraînée par le serpent et les « châtiments » qui frappent les trois coupables [4] [4]Genèse III, 14-19. . 6Que dit Rachi du masculin et du féminin dans le commentaire qu’il fait de ces trois chapitres ? 1 – Genèse I, 27-28 : L’être humain 7 « D. créa l’être humain à son image ; c’est à l’image de D. qu’il le créa. Masculin et féminin il les créa. D. les bénit en leur disant : Croissez et multipliez ! Remplissez la terre et soumettez-la ! Commandez aux poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux qui se meuvent sur la terre ! » Masculin et féminin 8Voici le commentaire de Rachi sur le verset 27 : 9 « Plus loin, en Genèse II, 21, il est dit : il prit l’une de ses côtes ou un de ses côtés ; le Midrach nous enseigne que Dieu l’a créé à deux visages dans un premier temps et qu’ensuite il l’a séparé en deux. Quant au sens littéral, au “pchat”, le verset vient nous enseigner que les deux ont été créés le sixième jour et non pas comment ils ont été créés, ce qui est expliqué ailleurs. » (en Genèse II, 21) 10Rachi est alerté tout d’abord par une contradiction interne au verset, celle que constitue le passage du singulier au pluriel pour le complément du verbe « créer » (« à l’image de Dieu il le créa… masculin et féminin il les créa ») : comment comprendre que le verset puisse parler en même temps d’un être et de deux ? Cette contradiction, il la souligne, et la résout en même temps, en faisant appel à un verset du deuxième chapitre, qui semble, lui aussi, être en contradiction avec notre texte [5] [5]Cette contradiction a incité les tenants de la critique… : ici, dans le premier chapitre, le texte semble parler d’une création simultanée de l’homme et de la femme, alors que dans le deuxième chapitre, la femme apparaît dans un second temps, tirée de l’adam premier. La réponse de Rachi s’articule en deux étapes : il commence par nous transmettre un enseignement midrachique pour aboutir au sens littéral. Or, ce qui d’abord compte pour Rachi, ce qui l’intéresse au premier chef, comme il le dit à maintes reprises, c’est le sens littéral : « Il y a de nombreux midrachim et les Sages les ont recueillis. Quant à moi, je ne suis venu que pour préciser le sens littéral du texte ; j’ai recours au midrach quand il en établit le vrai sens selon son contexte [6] [6]Rachi sur Genèse 3, 8. Cf. aussi Rachi sur Genèse 3, 24.. » Si Rachi, comme il le fait parfois, introduit son commentaire par un midrach, c’est donc que ce dernier éclaire « le vrai sens du texte » : pour le maître de Troyes, la création de l’homme et de la femme se fait en deux temps distincts ; dans un premier temps, l’humanité apparaît sous une forme bisexuée, l’être humain est une créature à deux visages – le midrach que reprend notre exégète parle d’un être « androgyne [7] [7]Genèse Rabba, 8, 1. » – et ce n’est que dans un deuxième temps que cet androgyne primitif est coupé en deux êtres sexuellement distincts. On pourrait également dire, en reprenant autrement le propos de Rachi, que le premier récit rend compte, sur le mode de la généralité, de l’apparition d’une humanité caractérisée par son « double visage », sa double dimension masculine et féminine. C’est d’ailleurs ce que dit explicitement le maître de Troyes dans son commentaire du Talmud [8] [8]Traité Berakhot 61a du Talmud de Babylone. : « Au début, il [l’être humain] était d’un côté masculin et féminin de l’autre côté. » Rachi choisit précisément, dans l’ensemble des commentaires du midrach, cet enseignement-là, laissant délibérément de côté d’autres interprétations [9] [9]Le terme tsela’est interprété également dans le sens bien connu… ; il ne rapporte pas cet autre texte [10] [10]Genèse Rabba 18, 2. qui, au nom de Rabbi Yehochoua de Sikhnin, commente longuement, sur le mode satirique ou peut-être humoristique, l’ablation de la côte d’Adam et son utilisation comme matériau pour la création de la première femme, et qui conclut, sur un registre commun à nombre de littératures populaires, que les femmes décidément sont bien redoutables, puisque, en dépit de toutes les précautions prises par le Créateur, elles concentrent en elles tous les défauts du monde [11] [11]Cf. infra, Michèle Bitton, « Lilith et Adam : une légende sans… ! Rachi ne rapporte pas non plus cet autre texte du midrach selon lequel « Satan a été créé en même temps que la femme [12] [12]Genèse Rabba 17, 6 : « Rabbi Hanina a dit au nom de Rabbi Idi :… ». En privilégiant parmi tant d’autres commentaires celui qui pose la création d’une humanité à « double visage », Rachi souligne cette évidence fondamentale que l’homme et la femme sont à la fois semblables et différents, mieux, que leur différence s’ancre dans la similitude, sans laquelle ils ne pourraient se reconnaître et que c’est dans cette similitude et cette différence assumées à la fois que s’enracine la capacité du dialogue et de la rencontre. 11Rachi nous livre ensuite le sens littéral ou pchat, celui qui, nous l’avons dit, lui semble le plus important, et l’enseignement fondamental qu’il distingue dans le verset concerne non pas la manière dont la création du masculin et du féminin s’est effectuée, et qui sera précisée ultérieurement, mais le fait qu’elle se soit effectuée le même jour : le commentateur insiste, semble-t-il, sur ce qui est au fondement de leur unité et de leur égalité. Ils ont été créés tous deux le même jour, ils sont venus tous deux couronner la création et le verset 28, dans sa lecture immédiate, ne fait que confirmer cette approche : c’est à tous les deux, conjointement, qu’est confiée la tâche de peupler le monde. Homme et femme sont créés le sixième jour : Rachi lui-même, dans un autre passage, nous fournit matière à commenter cette précision. 12Dans son exégèse du verset qui clôture le récit de la création [13] [13]Rachi sur Genèse I, 31. , il s’interroge sur la présence de l’article dans l’expression yom hachichi, le sixième jour [14] [14]Pour les autres jours mentionnés dans le texte, il n’y a pas…, et il explique qu’il y a là une allusion au 6 Sivan, date du don de la Tora au Mont Sinaï. Dire que le masculin et le féminin ont été créés le sixième jour, c’est proclamer que l’humain, dans sa dimension masculine comme uploads/Litterature/ recherches-pour-retraite-bonoua.pdf
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- Publié le Jui 30, 2022
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