Annie Ernaux Un engagement d'écriture Pierre-Louis Fort et Violaine Houdart-Mer
Annie Ernaux Un engagement d'écriture Pierre-Louis Fort et Violaine Houdart-Merot (dir.) Éditeur : Presses Sorbonne Nouvelle Lieu d'édition : Paris Année d'édition : 2015 Date de mise en ligne : 7 mars 2017 Collection : Fiction/Non fiction XXI ISBN électronique : 9782878547412 http://books.openedition.org Édition imprimée ISBN : 9782878546767 Nombre de pages : 215 Référence électronique FORT, Pierre-Louis (dir.) ; HOUDART-MEROT, Violaine (dir.). Annie Ernaux : Un engagement d'écriture. Nouvelle édition [en ligne]. Paris : Presses Sorbonne Nouvelle, 2015 (généré le 05 mai 2019). Disponible sur Internet : <http://books.openedition.org/psn/134>. ISBN : 9782878547412. © Presses Sorbonne Nouvelle, 2015 Conditions d’utilisation : http://www.openedition.org/6540 Sigles utilisés pour les œuvres d’Annie Ernaux AV, Les Armoires vides CQD, Ce qu’ils disent ou rien FG, La Femme gelée Pl, La Place F, Une femme PS, Passion simple JDD, Journal du dehors H, La Honte JNS, Je ne suis pas sortie de ma nuit VE, La Vie extérieure Év, L’Événement SP , Se perdre Oc, L’Occupation ÉC, L’Écriture comme un couteau Uph, L’Usage de la photo An, Les Années AtN, L’Atelier noir AF, L’Autre Fille EVQ, Écrire la vie (Quarto) RL, Regarde les lumières mon amour VL, Le Vrai Lieu 7 Introduction D ans ses entretiens1 comme dans ses écrits littéraires, Annie Ernaux fait souvent référence au désir d’agir sur le monde par l’écriture. Ainsi, en 2011, dans la postface apportée à L’Écriture comme un couteau, elle insiste sur la « conviction profonde » qu’« écrire n’est pas une activité hors du monde social et politique2 ». Tout récemment encore, en 2014, dans ses entretiens avec Michelle Porte, elle déclare : « J’ai toujours senti qu’écrire était intervenir dans le monde 3 ». Cette « intervention dans le monde » a même été formulée de façon assez proche de l’idée sartrienne de l’écrivain « en situation dans son époque » dans « Littérature et politique » (1989) où Annie Ernaux avance que « l’écriture, quoi qu’on fasse, “engage”, véhiculant de manière très complexe […] une vision consentant ou non à l’ordre social ou au contraire le dénonçant », avant d’affirmer : « Il n’y a pas d’apolitisme au regard de l’histoire littéraire4 ». Si on peut retrouver chez Annie Ernaux des éléments relevant d’une « écriture engagée » (« responsabilité politique, fonction de dévoilement, incitation à agir5 »), peut-on pour autant, en reprenant une catégorie attendue, dire qu’elle est un « écri- vain engagé », au strict sens sartrien ? Assurément pas. Aucune des critiques portées à l’essai qui a fait de Sartre le théoricien de la littérature engagée, dans Qu’est-ce que la littérature ?, ne peuvent la concerner : la littérature instrumentalisée, réduite à un moyen au service d’une cause ; la dimension esthétique considérée comme secon- daire par rapport à la finalité éthique ou politique6 ; le langage conçu comme transpa- rent7. L’écrivaine ne partage en rien la définition que le philosophe donne de la prose : « il y a prose quand, pour parler comme Valéry, le mot passe à travers notre regard comme le verre au travers du soleil8 ». Nous sommes là bien loin du travail exigeant d’Annie Ernaux sur la langue, qui la conduit à écrire, corriger, raturer jusqu’à trouver la « juste » expression pour atteindre l’expression « juste », aux antipodes même, pour être plus précis, de sa vision des mots « comme des objets, comme des pierres qu’il faut remonter à la surface9 ». Comme le notent Thomas Hunkeler et Marc-Henry Soulet, 1 Voir ici même « Les silences et la colère », p. 201 sq. 2 Annie Ernaux, 2002, L’Écriture comme un couteau, Paris, Stock, réed. Gallimard, coll « Folio », 2011, p. 108. 3 Annie Ernaux, 2014, Le Vrai Lieu, Paris, Gallimard, p. 108. Nous soulignons. 4 Annie Ernaux (1989), « Littérature et politique », Écrire la vie, Gallimard, coll. « Quarto », 2011, p. 550. 5 Jean Kaempfer, Sonya Florey, Jérôme Meizoz, 2006, Formes de l’engagement littéraire (XV-XXIe siècles, Lausanne, Antipodes, p. 8. 6 « Au fond de l’impératif esthétique nous discernons l’impératif moral » (J.-P . Sartre, Situations II ). 7 Voir à ce sujet l’ouvrage de Benoît Denis, 2000, Littérature et engagement, Paris, Seuil, coll. « Points ». 8 Jean-Paul Sartre, 1948, Qu’est-ce que la littérature ?, Paris, Gallimard, coll. « Folio », 1985, p. 25-26. 9 VL, p. 72. Un « engagement d’écriture » Pierre-Louis Fort Violaine Houdart-Merot Annie Ernaux Un engagement d’écriture 8 si « Ernaux se met en gage pour dire le monde, c’est précisément en tant qu’écrivaine : dans la recherche, toujours renouvelée, d’une forme capable de modifier la perception du monde qui est le nôtre1 ». Est-il par ailleurs encore possible, au XXIe siècle, de parler d’« écrivain engagé » si l’on considère que ce personnage a eu une existence restreinte dans l’histoire littéraire, que le terme même d’engagement, issu de l’existentialisme chrétien, s’explique dans un contexte historique et littéraire circonscrit, bien différent du nôtre ? Peut-on le remplacer, chez Annie Ernaux et d’autres écrivains contemporains, par la notion d’engagement littéraire, comme le proposent les auteurs de l’ouvrage du même nom dirigé par Emmanuel Bouju, soucieux de rendre compte, non seulement de la présence de l’écrivain dans le champ social, mais aussi et surtout de « la spécificité des phénomènes littéraires – écriture, réception, traduction2 » ? Faut-il à l’inverse, à la suite de Bruno Blanckeman, renoncer à cette notion trop entachée de militantisme pour lui préférer celle d’« implication » qui échappe à la position de surplomb et qu’il définit de la sorte : « Par implication, j’entends donc un type d’engagement qui, n’étant pas validé par une quelconque situation de force dans la Cité, fait sans protocole ostentatoire, sans scénographie du coup d’éclat, sans activisme insurrectionnel3 » ? Est-il préférable, enfin, d’avoir recours, comme le fait ici Barbara Havercroft, au concept d’agentivité élaboré par des théoriciennes américaines pour tenter de saisir la manière dont l’œuvre d’Annie Ernaux peut agir sur le monde par l’écriture ? Sans nul doute, comme l’écrit Dominique Viart, Annie Ernaux produit « une œuvre de son temps, celle d’une écrivaine engagée dans son siècle, une œuvre sécu- lière4 ». Qu’il s’agisse en effet de relater son avortement clandestin, de penser son histoire de transfuge de classe, d’interroger son existence de femme, de rédiger un « journal du dehors » de sa vie à Cergy ou, plus largement, d’« écrire la vie », la volonté permanente d’Annie Ernaux est de se confronter au réel, d’interroger et de bousculer l’ordre du monde. C’est, comme elle le précise au cours d’un entretien, « décharner la réalité pour la faire voir5 ». Annie Ernaux participe finalement elle-même de ce que des auteurs comme Beauvoir – « sur la condition des femmes » – ou Bourdieu – « sur la structure du monde social » – lui ont permis de ressentir : « l’irruption d’une prise de conscience sans retour6 ». Il y a peu encore, dans Le Vrai Lieu, elle confiait qu’« écrire c’est intervenir dans le monde » et ajoutait : « Je ne peux pas écrire sans cette pensée d’être utile7 ». 1 Thomas Hunkeler et Marc-Henry Soulet, 2012, Annie Ernaux, Se mettre en gage pour dire le monde, Genève, MétisPresses, p. 17. 2 Emmanuel Bouju (éd), 2005, L’Engagement littéraire, Rennes, PUR, p. 11. 3 Bruno Blanckeman, (2013), « L’écrivain impliqué : écrire (dans) la cité », in Bruno Blanckeman & Barbara Havercroft (éds), Narrations d’un nouveau siècle. Romans et récits français (2001-2010), Paris, Presses de la Sorbonne Nouvelle, 2013, p. 73. 4 Dominique Viart (2014), « Annie Ernaux, historicité d’une œuvre », in Francine Best, Bruno Blanckeman, Francine Dugast-Portes (éds), Annie Ernaux : le Temps et la Mémoire, Paris, Stock, 2014, p. 27. 5 Annie Ernaux, 2002, L’Écriture comme un couteau, op. cit, p. 81. 6 Annie Ernaux (2002), « Bourdieu : le chagrin », Le Monde, 2 février 2002. 7 VL, p. 108. 9 Introduction Que ce soit au niveau du social, du politique ou de l’intime, l’écriture d’Annie Ernaux, est sans conteste « utile » car déplaçant les frontières et « engageant » le sujet, celui de la mémoire, celui du rapport au temps et à l’époque, celui de la relation aux autres et à soi : « Je ne peux pas concevoir de faire des livres qui ne mettent pas en cause ce que l’on vit, qui ne soient pas des interrogations, des observations de la réalité telle qu’il m’est donné de la voir, de l’entendre ou de la vivre, ou de m’en souvenir. Une littérature qui m’engage et qui engage le lecteur1. » La grâce de cette écriture et la force de cet engagement résident, pour partie, dans cette collectivité embrassée, dans ce « nous » qui apparaît régulièrement : il s’agit de « raconter la vie », celle de cette « communauté 2 » que nous constituons, ce « on » et ce « nous » des Années que nous faisons nôtre, le « je transpersonnel » qui résonne en nous, « ce temps vécu, de l’avoir été, qui uploads/Litterature/ annie-ernaux-en-engagement-d-x27-e-criture.pdf
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- Publié le Jui 24, 2021
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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