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Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 1 1/3 Polanski: l’impossible séparation entre l’homme et l’artiste PAR IRIS BREY ARTICLE PUBLIÉ LE JEUDI 14 NOVEMBRE 2019 Le réalisateur Roman Polanski le 9 décembre 2017, à Paris. © Reuters La séparation entre l’homme et l’œuvre est l’argument dégainé par les soutiens de Roman Polanski et de son film J’accuse, en salles ce mercredi. Ce distinguo est de plus en plus difficile à faire, et précisément dans le cas de Polanski. Pour l’universitaire et critique de cinéma Iris Brey, cette affaire révèle un tournant culturel. La sortie du film de Roman Polanski, au moment où une sixième femme, Valentine Monnier, raconte en détail comment le cinéaste l’aurait violée en 1975, révèle un tournant culturel lorsque la critique décide de se poser la question de la séparation entre l’œuvre et l’artiste. Le distinguo entre l’homme et l’œuvre est l’argument dégainé par les soutiens du cinéaste et de son œuvre au moment de la sortie de son film J’accuse. Seulement, cette défense n’est pas assez mise en perspective. Lorsqu’un·e artiste est accusé·e d’agressions à caractère raciste, il ou elle disparaît de la sphère culturelle immédiatement. Comme si les violences sexuelles faites aux femmes étaient moins graves que le racisme. De plus, la vie personnelle des artistes est toujours évoquée lorsqu’il s’agit d’une cinéaste femme. Les critiques et journalistes n’hésitent pas à tisser des liens entre leur orientation sexuelle, leur choix d’être mère, et tous les sujets concernant l’intime pour parler de leur œuvre. Ces « réflexes » révèlent à la fois que les femmes ont moins de valeur (ce qui leur arrive est considéré comme étant moins important que le travail d’un homme), et que l’intime ne concerne que le deuxième sexe. Quant à la question de la censure, elle n’est jamais formulée non plus lorsqu’il s’agit d’œuvres de cinéastes femmes qui sont radiées de notre histoire du cinéma, ou qui ne sont pas produites, ou qui ne sont pas diffusées dans les festivals ou dans les salles. Les chiffres révèlent le sexisme qui opère à tous les niveaux de l’industrie. Nous passons de 50 % d’étudiantes en réalisation dans les écoles de cinéma à 23 % de cinéastes femmes réalisant un premier long- métrage et seulement 12 % des séries audiovisuelles sont réalisées par des femmes. Les récits de fiction ou de vie des femmes n’arrivent tout simplement pas jusqu’à nous. Le réalisateur Roman Polanski le 9 décembre 2017, à Paris, lors de l'hommage à Johnny Hallyday. © Reuters Dans le cas de Roman Polanski, la séparation de l’œuvre et l’artiste devient impossible puisque le réalisateur lui-même met en parallèle dans le dossier de presse du film le choix du sujet de son œuvre avec sa vie personnelle. Il explique que « connaissant bon nombre de mécanismes de persécution qui sont à l’œuvre dans ce film et que cela m’a évidemment inspiré ». Il précise : « Des histoires aberrantes de femmes que je n’ai jamais vues de ma vie et qui m’accusent de choses qui se seraient déroulées il y a plus d’un demi-siècle. » Roman Polanski discrédite les femmes qui ont parlé, comme si leurs paroles n’avaient aucune valeur. Être soupçonné de viols n’aurait aucune conséquence, puisque lui, accusé de violences sexuelles par six femmes mineures (adolescentes ou fillettes), vit en toute impunité. Alors que si l’on prend le temps de lire les témoignages de ces six femmes, on Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 2 2/3 comprend bien que les conséquences et les souffrances ne s’arrêtent pas aux faits dénoncés, au moment où l’agresseur présumé pénètre l’homme ou la femme. Extrait du dossier de presse officiel du film, avec un entretien de Roman Polanski. Cependant, ces derniers jours, on aperçoit un sursaut de la critique. Est-ce que pour la première fois en France, les accusations de viols transforment la manière dont la critique réceptionne une œuvre ? Pour les critiques Luc Chessel et Élisabeth Franck-Dumas de Libération, c’est le témoignage de Valentine Monnier dans Le Parisien, quelques jours avant la sortie de J’accuse, qui change la donne. Le changement de paradigme opère, en lisant le récit des femmes, impossible de les ignorer. Pour cela, il a fallu un alignement des planètes, comme le note la critique Camille Nevers dans Libération. L’enquête de Mediapart a démontré les rouages d’un système de silence dans le milieu du cinéma. Puis, le témoignage d'Adèle Haenel a permis une première prise de conscience. Elle a été crue. Personne n’a osé avancer les éternels arguments « elle fait cela pour avoir plus de travail » entendu, par exemple, s'agissant de l’actrice Sand Van Roy qui accuse le réalisateur Luc Besson de viols, ou encore « elle ne faisait pas son âge » entendu pour Samantha Geimer, âgé de 13 ans quand elle décrit des actes de pénétration forcés de la part de Polanski au tribunal en 1977 (lire notre article). La parole d’Adèle Haenel a fait sauter un cadenas dans l’imaginaire français : et si les victimes ne mentaient pas ? Nous avons pris conscience collectivement qu’en détournant notre regard d’elles, en détournant notre écoute, nous participions à notre tour à cette culture du viol où les agressions sexuelles sont minimisées et banalisées. Nous arrivons donc à un tournant culturel français car, pour la première fois, les récits des victimes présumées sont entendus. Ce n’est plus la version du présumé agresseur qui est retenue, mais la parole des femmes. Restent deux questions : la présomption d’innocence et le pardon. Pour ceux et celles qui veulent à la fois croire les victimes et en notre système judiciaire, rappelons qu’en France une seule plainte sur dix aboutit à une condamnation de l’agresseur (et un viol sur cent fait l'objet d'une condamnation). La plupart des femmes et d’hommes victimes d’agressions sexuelles ne portent pas plainte et les faux témoignages sont extrêmement rares (moins de 2 % des plaintes sont fausses en Angleterre selon Valerie Rey-Robert, l’autrice d’Une culture du viol à la française, aucun chiffre en Françe n’est disponible). Pourquoi est-ce que la parole d’une victime qui parle aurait moins de valeur que la présomption d’innocence ? Ne faut-il pas interroger en profondeur notre système judiciaire avant d’invoquer la présomption d’innocence si nous croyons les femmes ? Récemment sur le plateau de Mediapart, le réalisateur Costa-Gavras demandait « le pardon pour Polanski », parce que Samantha Geimer affirme avoir pardonné Polanski, donc nous devrions nous aligner sur la ligne de conduite de la victime. Selon Costa- Gavras, « le pardon est nécessaire dans la société, sinon il n’y a pas de démocratie ». Séparons les mots de la victime de notre attitude collective. Samantha Geimer a passé plus de quarante années à vivre avec ces événements attachés à son nom. Nous commençons à peine à nous intéresser à son témoignage, et à celui de nombreuses victimes. Avant donc de pardonner, écoutons les voix de celles et ceux qui essayent de se faire entendre. Pourquoi est-ce que l’écoute aurait moins de valeur que le pardon ? Est-ce que faire démocratie aujourd’hui n’est pas justement « d’accuser réception » de cette parole des victimes, de vivre avec cette douleur, avec cette noirceur et de ne pas tourner la page ? Plutôt que de passer, seulement et directement, à la présomption d’innocence et au pardon, ne faudrait-il pas laisser infuser les mots des témoignages, ressentir Directeur de la publication : Edwy Plenel www.mediapart.fr 3 3/3 notre malaise, questionner notre culpabilité face au silence qui s’est installé pendant trop longtemps dans notre société ? Boite noire Iris Brey est universitaire et critique de cinéma. Elle a notamment beaucoup travaillé sur les représentations du genre et de la sexualité au cinéma. Elle a publié en 2016 le livre Sex and the Series, aux éditions de L’Olivier. Elle signe son deuxième article sur Mediapart. Elle est aussi intervenue dans notre émission, le 4 novembre, à voir ici. Directeur de la publication : Edwy Plenel Direction éditoriale : Carine Fouteau et Stéphane Alliès Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Capital social : 24 864,88€. 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