Les valeurs littéraires dans le roman Les Belles Images de Simone de Beauvoir A

Les valeurs littéraires dans le roman Les Belles Images de Simone de Beauvoir Anita Boer (2866641) juin 2015 Après la mort de Simone de Beauvoir, son œuvre, et surtout son œuvre littéraire dépérissaient dans les sous-sols des bibliothèques. Même les féministes qui avaient auparavant embrassé Le deuxième sexe, estimaient que s’était quand même un peu vieilli voir démodé. En 2008, la célébration du centenaire de sa naissance, a suscité un nouvel intérêt à l’œuvre de l’auteur, et surtout à son œuvre littéraire. Il y a eu des conférences, beaucoup de nouvelles publications, et la création d’un prix pour la liberté des femmes qui est décerné à une personne ou une association qui défend et fait progresser cette liberté des femmes. La première lauréate de ce prix en 2008 fut Ayaan Hirsi Ali. Après le succès des Mandarins en 1954, pour lequel elle a obtenu le prix Goncourt, c’est avec 12 ans de décalage qu’elle publie son nouveau roman Les belles images. Dans une interview dans le journal Le Monde1 elle déclare que c’est probablement son ouvrage le plus littéraire. Apparemment ses lecteurs n’étaient pas du même avis. Son livre fut comparé à celui de Françoise Sagan, les personnages étaient trop superficiels et le protagoniste n’était pas assez héroïque pour servir à la cause des femmes. Elle reçut des lettres de lecteurs comme : « Je préfère vous dire franchement qu’après L’invitée et Les Mandarins, je l’ai trouvé plutôt atténuée non seulement en longueur, mais aussi en profondeur. Il m’a laissée inassouvie. Moi, j’attends le prochain volume de votre biographie!!! »2 Les critiques non plus n’étaient pas abondants d’enthousiasme et ce fut alors que 1 Piatier, J. Le monde, 1966 2 Wenk, Helen Lettre du fonds Simone de Beauvoir, Bibliothèque Nationale de France, 29 mars 1967 1 livre le plus littéraire devint le moins connu et le moins apprécié de l’oeuvre de Simone de Beauvoir. Margaret Gray explique la réaction des lecteurs comme une fausse représentation de leur mode de vie. « Il semble que l’aversion avec laquelle du Beauvoir dépeint la société bourgeoise et technocrate est hérité par ses lecteurs, vu le dédain avec lequel ils prétendent que le portrait de l’arrivisme frénétique technocrate et consommateur de l’après guerre n’a rien à voir avec eux.»3 Selon Elizabeth Tidd4 c’était largement du à l’incompatibilité de l’existentialisme du Beauvoir avec la tendance poststructuraliste qui prévalait au sein de la critique féministe. Cependant, l’étude de Toril Moi5 dévoile qu’il existait autour du personnage de Beauvoir beaucoup d’hommes qui l’attaquait à sa féminité et à ses prises de position dans les affaires politiques. Elizabeth Fallaize6 quant à elle, pensait que c’était en raison de l’attaque des écrivains du Nouvel Roman envers le roman traditionnel. Il est évident que le mot littéraire n’avait pas le même sens pour ses opposants que pour elle même. Elle s’est défendu lors d’un entretien dans le monde avec les mots : « J’ai voulu peindre, et peindre seulement, une classe qui vit dans l’erreur et dans le mensonge, et qui ne peut ou ne veut découvrir le réel derrière le factice. »7 Quelques années plus tôt elle s’était déjà clairement exprimée pour une littérature engagée lors d’un débat8 entre les adeptes du Nouveau Roman et les partisans du roman engagé organisé par le magazine Tel Quel. Contre les arguments Jean Ricardou que l’essentiel du roman c’est le langage et pas le message, elle oppose qu’il ne s’agit pas du langage, mais des voix qui s’expriment dans la littérature. « Il n’y a pas de littérature s’il n’y a pas une voix, donc un langage qui porte la marque de quelqu’un. Il faut un style, un ton, une technique, un art, une invention – ça peut être quelque chose de tout à fait différent selon les 3 Gray, Margaret E. Narcissism, Abjection and the Reader(e) of Simone de Beauvoir's Les Belles Images. Studies in 20th & 21st Century Literature: Vol. 32: Iss. 1, Article 3. 2008. 4 Tidd, Ursula. État Présent: Simone de Beauvoir Studies. French Studies 62.2: 200-08. 2008 5 Moi, T oril, Simone de Beauvoir. Conflits d’une intellectuelle. Paris, Diderot, 1995 6 Faillaize, Elizabeth. The Novels of Simone the Beauvoir. Routledge London.1988 7 Le Monde, 1966 8 Que peut la littérature? : Rencontre de la Mutualité (1964) avec S. de Beauvoir, Y. Berger, J.- P. Faye, J.-P. Sartre, J. Semprún, UGE, collection "10/18", Paris 1965, p. 49-61 2 écrivains ; il faut que l’auteur m’impose sa présence ; et quand il m’impose sa présence, du même coup il m’impose son monde. » (p. 79) À l’accusation que la notion de Sartre, que le langage est un outil, implique qu’un document qui enseigne les gens est donc aussi de la littérature, elle répond qu’on ne peut pas comprendre le monde à travers des documents qui le décrivent. Chacun à ses propres références et c’est la littérature qui nous peut transposer dans le monde de quelqu’un d’autre pour temporellement être dans son monde. « Et c’est ça le miracle de la littérature et qui la distingue de l’information ; c’est qu’une vérité autre devient mienne sans cesser d’être autre. J’abdique mon ‘je’ en faveur de celui qui parle ; et pourtant je reste moi-même.»9 Vers la fin de son discours elle critique ouvertement le Nouveau Roman en disant : « Un écrivain ne peut intéresser qu’à ce qui l’intéresse vraiment. Si le champ de ses intérêts est étroit et mesquin, il nous livre un univers mesquin ; il établit une communication avec nous sur un mode extrêmement restreint et d’une manière très pauvre. » (p. 87) Est-ce qu’on peut retrouver cette valeur dans son roman Les Belles Images ? D’abord elle voulut faire découvrir sa vérité au public à travers de la littérature. Cette vérité étant une classe qui vit dans l’erreur et dans le mensonge, et qui ne peut ou ne veut découvrir le réel derrière le factice. Appelons cela la valeur éthique. Néanmoins, ses lecteurs ont eu du mal à s’identifier avec le protagoniste et le monde tel que dépeint par de Beauvoir. Est-ce dire que le roman a échoué ? Ou peut-être est-ce qu’elle a trop réussi est que la présence de l’auteur ainsi imposé, a fait sentir son public mal à l’aise. En 1966 le public n’a pas apprécié d’être pris pour cible, mais presque 50 ans plus tard, la distance entre le public et le roman permettra peut-être de l’estimer à sa juste valeur. L’absence des dates et des noms des hommes politiques et des évènements précis rend le livre toujours actuel. Les problèmes sont interchangeables. Les conflits dans le Proche-Orient, les boat-people, l’éducation des enfants, les conditions de travail dans l’habillement, les banlieues. Remplaçons la chaîne stéréo, la télévision et le téléphone par Internet et le IPhone et on se croît au 21e siècle. Saillant détail, que 9 Que peut la littérature? p. 82-83 3 les prédictions de Jean-Charles ne sont pas devenues la réalité. On pourrait contribuer à Simone de Beauvoir un regard visionnaire sur l’avenir. Beauvoir met aussi en avant la valeur de la forme. « Quand il y a un œuvre authentique où l’auteur se cherche, la recherche est globale. On ne peut pas séparer la manière de raconter et ce qui est raconté, parce que la manière de raconter et ce qui est raconté c’est le rythme même de la recherche, c’est la manière de la définir, c’est la manière de vivre. » (p.85) Une des premières choses qui sautent aux yeux, c’est la transition sans avertissement de la voix narratrice à l’emploi de la première personne. La narration est interrompue par les pensées du protagoniste au style indirect libre, ce qui permet aux lecteurs de se retrancher avec le protagoniste dans ses pensées. Ces changements sont marqués par des parenthèses ou des tirets et apparaissent au milieu d’une phrase ou d’une paragraphe. C’est déjà la première phrase du livre qui crée ainsi une ambiance ambiguë. « C’est un mois d’octobre …exceptionnel », dit Gisèle Dufrène ; ils acquiescent, ils sourient, une chaleur d’été tombe du ciel gris-bleu – Qu’est-ce que les autres ont que je n’ai pas ? – ils caressent leurs regards à l’image parfaite qu’ont reproduite Plaisir de France et Votre Maison : la ferme achetée pour une bouchée de pain – enfin, disons, de pain brioché – et aménagée par Jean-Charles au prix d’une tonne de caviar. (je n’en suis pas à un million près, a dit Gilbert), les roses contre le mur de pierre, les chrysanthèmes, les asters, les dahlias les plus beaux de toute l’Ile-de-France, dit Dominique ; le paravent et les fauteuils bleus et violets – c’est d’une audace ! – tranchent sur le vert de la pelouse …. »10 Qui dit quoi dans cette phrase, qui continue encore pendant une demie page ? C’est un mélange de voix, de pensées, entrecoupé de la voix du narrateur. On dirait presque du Nouveau Roman. Ici l’emploi de différents modes narratifs semble refléter le brouhaha des voix qui parlent de petits riens. Le plus souvent uploads/Litterature/ les-valeurs-litteraires-dans-le-roman-les-belles-images-de-simone-de-beauvoir.pdf

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