Dolto, une mise au point (final) 29 octobre 2013 | Par Yann Kindo Le psychologu

Dolto, une mise au point (final) 29 octobre 2013 | Par Yann Kindo Le psychologue Didier Pleux vient de publier un petit livre bienvenu qui démythifi e la figure de Françoise Dolto, la fameuse psychanalyste qui s'est imposée en France comme LA supposée grande spécialiste des questions d'éducation1. Sous-titré, « La déraison pure », le livre montre de manière convaincante que la grille de lecture et les pri ncipes éducatifs prônés par Dolto sont « déraisonnables », au sens de « peu opératoires et s ces de problèmes éventuels », mais aussi en ce sens qu'ils sont opposés à la raison, qu'il s sont en fait complètement « irrationnels ». L'ouvrage est paru dans une collection dirigée par Michel Onfray, qui en signe aus si la préface. Un mot tout d'abord à propos du bonhomme, dont je ne suis pas grand f an - trop mondain et versatile à mon goût -, mais qui a quand même de grands mérites dan s le contexte de ce qu'est la France, et notamment sa gauche politique. Son Trai té d'athéologie avait été une lecture sympa de par son côté libertin et provocateur, mais il était quand même assez léger sur le fond, et j'aurais préféré que ce soit le Pour en finir avec Dieu de Richard Dawkins qui ait connu le même succès éditorial. Surtout, le Trai té ne me satisfaisait pas parce que encore largement entaché de croyances dans la re ligion freudienne : je trouvais ça bizarre de réfuter une théologie à l'aide d'une autre . Ceci dit, une fois déconverti, Onfray s'est lancé dans une croisade (partielle) co ntre le freudisme, entreprise qui, par l'impact médiatique qu'elle a eu, a permis plus encore que le pourtant plus intéressant Livre Noir de la psychanalyse2, de c ommencer à déboulonner l'idole psychanalytique dans le très retardataire Hexagone. Mai s là encore, combattre le freudisme à l'aide du nitzschéisme, c'est pas ma tasse de thé. ... Y a un moment, les produits de substitution, faut arrêter, et il faut s'émancip er vraiment... Sa préface est intéressante, reposant largement sur une analyse du torrent de haine et de boue qu'il a dû affronter de la part des lacaniens lorsqu'il a relayé auprès du grand public une critique démystificatrice du freudisme, critique qui s'était déjà déployée avec force dans le monde anglo-saxon depuis des décennies. Et forcément, l'auteur d u Crépuscule d'une idole est sensible à l'approche biographique pour déconstruire les mythes freudiens, voyant certainement dans l'ouvrage de Didier Pleux une tentat ive semblable à la sienne : l'un a démoli Freud, l'autre s'attelle à faire de même pour Dolto. « Pourquoi tant de haine ? » feront encore une fois semblant de se demander d es lacaniens haineux. Je sais pas, moi, demandez entre autres aux parents d'enfa nts autistes, pour voir... L'approche biographique et historique est en effet particulièrement destructrice p our la psychanalyse, comme l'ont notamment démontré les travaux très pointus de Mikkel Borch-Jacobsen3. Ainsi, en plongeant dans les archives pour comparer les procla mations publiques de Freud avec le contenu de sa correspondance privée à la même époque, il a pu montrer comment Freud avait délibérément travesti la réalité de certaines analys es fameuses qui ont contribué à sa gloire - ce qui, au passage, était encore peu de ch oses par rapport à l'immense mensonge de Bruno Bettelheim sur ses supposés succès avec les enfants autistes. Ici, dans le chapitre « Mère toxique ou itinéraire d'une enfant gâtée ? », Didier Pleux compare par exemple le récit tardif de Dolto sur son enfance ma lheureuse et forcément matricielle à sa correspondance d'époque, qui témoigne plutôt d'un parcours relativement protégé et exempt de tout traumatisme lié à un conflit avec ses pa rents : « Qui croire ? Cette mère qui reste en lien avec son enfant, les échanges visibles de cette correspondance de jeunesse en témoignent, ou ce que dit Françoise Dolto cinqua nte ans plus tard, lorsqu'elle évoque la fâcherie de quasiment huit années () ? Il n'ex iste aucune interruption dans les courriers échangés avec Suzanne Marette, sa mère, de 1933 à 1941. Je lis qu'en septembre 1934, Suzanne Marette, la mère « indigne », indique même à sa fille de 26 ans ce qui l'attend dès son retour à l'appartement de Paris, elle s'excuse de ne pas avoir laissé de provisions... » [P.32. Ceux qui comme moi se fon t encore à 41 ans envoyer par les parents et par la Poste les biscuits de Noël faits par Mémé n'ironiseront pas plus que ça sur cet aspect de la biographie de Dolto. Mais je n'ai jamais prétendu tuer le Père ou la Mère, et encore moins la Grand-Mère, cela va de soi] Dans le même registre, Dolto évoque dans ses souvenirs d'avant-guerre une période de g randes difficultés matérielles et de « rationnement », mais sa correspondance d'époque révèle .. la possession d'obligations à son nom à la même date ! Auparavant, l'enfance de Dolto avait baigné dans une ambiance d'extrême-droite, avec un père lecteur de l'Action Française et des vacances chez des amis de Maurras et surtout de Léon Daudet, avec qui Françoise a pu échanger des idées. Pour autant, n'en dépl aise à ceux qui croient encore que la psychanalyse est « de gôche », rien de tout cela n e devait détourner a priori notre héroïne du freudisme, si l'on a en mémoire cette lettr e de Freud à Einstein : : « Il faudra consacrer davantage de soins qu'on ne l'a fait jusqu'ici pour éduquer une couche supérieure d'hommes pensant de façon autonome, inaccessibles à l'intimidati on et luttant pour la vérité, auxquels reviendrait la directions des masses non auto nomes. (). Aujourd'hui déjà, les races non cultivées et les couches attardées de la popul ation se multiplient davantage que celles hautement cultivées. » [cité p. 103] C'est d'ailleurs ce père maurrassien, mais plutôt « moderne » par d'autres aspects, qui conseille à sa fille de faire une psychanalyse en 1933, parce qu'il la trouve déprimée . Plus tard, il s'inquiète de certaines réactions hostiles de sa fille qu'il relie à s on analyse... D'ailleurs, en parcourant les années de formation universitaire, les premières années de l'âge adulte de Dolto, l'auteur convoque logiquement à la barre (en tant que « témoin assisté », on dira...) la pratique psychanalytique, que Dolto découvre à la même période vi a son analyse. A la manière d'Onfray qui voyait dans la propre biographie de Freud l'origine de ses théories Freud prenait en gros son cas pour une généralité, pourrait-o n dire - , Didier Pleux voit dans l'exacerbation par cette analyse de petites di fficultés familiales l'origine des théories éducatives de Dolto : « Désormais, Françoise Marette se persuade qu'elle a souffert de cette distance éducativ e entre une volonté inconsciente des parents de "formater" leur enfant selon les a ttentes de l'époque et sa réalité à elle. Elle va construire un certain nombre de conclu sions et de certitudes pour une meilleure éducation : la désobéissance, le "hors-norme ", la fougue ou l'impertinence d'un enfant peuvent signer un appétit de savoir et d'être ; les adultes ne comprennent rien aux enfants ! ; quand un enfant est freiné ou tancé par une autorité parentale, il est inhibé dans sa quête de Soi ; l'interdit ou le reproche parental sont à l'index. » [p. 40] « Nous pouvons soupçonner qu'après trois années de psychanalyse, la jeune Françoise Marett e commence à ne voir le"réel" qu'à travers le prisme de la théorie freudienne : le vrai n'est jamais ce que l'on croit ou ce que l'on perçoit, il est "ailleurs" » [p.105] Didier Pleux oppose souvent en contrepoint sa propre vision des choses et le bil an de sa propre pratique de psychologue : « Intervenir le moins possible dans la vie d'un enfant, cela revient à un moment ou à un autre à adopter une attitude des plus permissives. Plus on laisse faire l'enfa nt, plus il en demande et plus on cède du terrain. Combien de parents ont connu le cercle infernal de la permissivité, ce laisser-faire qui n'aboutit jamais au bonh eur de l'enfant mais à la surenchère des demandes et des exigences des tout-petits q ui deviennent, malgré eux, omnipotents ? » [P.46] En tant que praticien mais aussi en tant que parent, l'auteur ironise sur les préc eptes éducatifs de Dolto, qu'il cite abondamment, pour montrer comment dans la tête de celle-ci, tout est toujours de la faute des parents et notamment de la mère : « Il m'arrive de penser que la faute originelle serait, pour les humains, d'avoir mangé leurs bébés ; faute de bébés à manger, tenaillés par la faim, les parents en seraient v nus à avoir l'idée de manger leurs enfants... et les enfants d'aujourd'hui peuvent s e ressentir comme pouvant manger leur mère, et être mangés eux-mêmes. » [Dolto citée p. 52.] On a sans doute dans ce délire l'origine des crapuleries lacaniennes sur les uploads/Litterature/ article-critique-de-dolto-par-kindo.pdf

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