Roland Barthes Mythologies Éditions du Seuil Le monde où Von caîche a été publi

Roland Barthes Mythologies Éditions du Seuil Le monde où Von caîche a été publié dans Esprit, L'Ecrivain en vacances dans France-Observateur, et les autres mythologies dans Les Lettres nouvelles. TEXTE INTÉGRAL ISBN 2-02-000585-9 (ISBN 2-02-002582-5, 1* publication) © Éditions du Seuil, 1957 Le Code de la propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l'auteur ou de ses ayants cause, est illicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Les textes des Mythologies ont été écrits entre 1954 et 1956 ; le livre lui-même a paru en 1957. On trouvera ici deux déterminations : d'une part une critique idéologique portant sur le langage de la culture dite de masse ; d'autre part un premier démontage sémiologique de ce langage : je venais de lire Saussure et j'en retirai la conviction qu'en trai- tant les « représentations collectives » comme des systèmes de signes on pouvait espérer sortir de la dénonciation pieuse et rendre compte en détail de la mystification qui transforme la culture petite-bourgeoise en nature universelle. Les deux gestes qui sont à l'origine de ce livre - c'est évi- dent - ne pourraient plus être tracés aujourd'hui de la même façon (ce pour quoi je renonce à le corriger); non que la matière en ait disparu ; mais la critique idéologique, en même temps que l'exigence en resurgissait brutalement (mai 1968), s'est subtilisée ou du moins demande à l'être; et l'analyse sémiologique, inaugurée, du moins en ce qui me concerne, par le texte final des Mythologies, s'est développée, précisée, com- pliquée, divisée ; elle est devenue le lieu théorique où peut se jouer, en ce siècle et dans notre Occident, une certaine libéra- tion du signifiant. Je ne pourrais donc, dans leur forme passée (ici présente) écrire de nouvelles mythologies. 8 Mythologies Cependant, ce qui demeure, outre l'ennemi capital (la Norme bourgeoise), c'est la conjonction nécessaire de ces deux gestes : pas de dénonciation sans son instrument d'analyse fine, pas de sémiologie qui finalement ne s'assume comme une sémio- clastie. R. B. Février 1970 Avant-propos Les textes qui suivent ont été écrits chaque mois pendant environ deux ans, de 1954 à 1956, au gré de l'actualité. J'es- sayais alors de réfléchir régulièrement sur quelques mythes de la vie quotidienne française. Le matériel de cette réflexion a pu être très varié (un article de presse, une photographie d'hebdo- madaire, un film, un spectacle, une exposition), et le sujet très arbitraire : il s'agissait évidemment de mon actualité. Le départ de cette réflexion était le plus souvent un sentiment d'impatience devant le « naturel » dont la presse, l'art, le sens commun affublent sans cesse une réalité qui, pour être celle dans laquelle nous vivons, n 'en est pas moins parfaitement his- torique : en un mot, je souffrais de voir à tout moment confon- dues dans le récit de notre actualité, Nature et Histoire, et je voulais ressaisir dans l'exposition décorative de ce-qui-va-de- soi, l'abus idéologique qui, à mon sens, s'y trouve caché. La notion de mythe m'a paru dès le début rendre compte de ces fausses évidences: j'entendais alors le mot dans un sens traditionnel. Mais j'étais déjà persuadé d'une chose dont j'ai essayé ensuite de tirer toutes les conséquences : le mythe est un langage. Aussi, m'occupant des faits en apparence les plus éloi- gnés de toute littérature (un combat de catch, un plat cuisiné, une exposition de plastique), je ne pensais pas sortir de cette sémiologie générale de notre monde bourgeois, dont j'avais abordé le versant littéraire dans des essais précédents. Ce n 'est pourtant qu 'après avoir exploré un certain nombre de faits d'actualité, que j'ai tenté de définir d'une façon méthodique le mythe contemporain : texte que j'ai laissé bien entendu à la fin 10 Mythologies de ce volume, puisqu'il ne fait que systématiser des matériaux antérieurs. Ecrits mois après mois, ces essais ne prétendent pas à un développement organique : leur lien est d'insistance, de répéti- tion. Car je ne sais si, comme dit le proverbe, les choses répé- tées plaisent, mais je crois que du moins elles signifient. Et ce que j'ai cherché en tout ceci, ce sont des significations. Est-ce que ce sont mes significations ? Autrement dit, est-ce qu 'il y a une mythologie du mythologue ? Sans doute, et le lecteur verra bien lui-même mon pari. Mais à vrai dire, je ne pense pas que la question se pose tout à fait de cette façon. La « démystifica- tion», pour employer encore un mot qui commence à s'user, n 'est pas une opération olympienne. Je veux dire que je ne puis me prêter à la croyance traditionnelle qui postule un divorce de nature entre l'objectivité du savant et la subjectivité de l'écri- vain, comme si l'un était doué d'une « liberté » et l'autre d'une « vocation », propres toutes deux à escamoter ou à sublimer les limites réelles de leur situation : je réclame de vivre pleinement la contradiction de mon temps, qui peut faire d'un sarcasme la condition de la vérité. R.B. 1 Mythologies Le monde où Von catche ...La vérité emphatique du geste dans les grandes circonstances de la vie. (Baudelaire) La vertu du catch, c'est d'être un spectacle excessif. On trouve là une emphase qui devait être celle des théâtres antiques. D'ailleurs le catch est un spectacle de plein air, car ce qui fait l'essentiel du cirque ou de l'arène, ce n'est pas le ciel (valeur romantique réservée aux fêtes mondaines), c'est le caractère dru et vertical de la nappe lumineuse : du fond même des salles parisiennes les plus encrassées, le catch participe à la nature des grands spectacles solaires, théâtre grec et courses de taureaux : ici et là, une lumière sans ombre élabore une émotion sans repli. Il y a des gens qui croient que le catch est un sport ignoble. Le catch n'est pas un sport, c'est un spectacle, et il n'est pas plus ignoble d'assister à une représentation catchée de la Dou- leur qu'aux souffrances d'Arnolphe ou d'Andromaque. Bien sûr, il existe un faux catch qui se joue à grands frais avec les apparences inutiles d'un sport régulier; cela n'a aucun intérêt. Le vrai catch, dit improprement catch d'amateurs, se joue dans des salles de seconde zone, où le public s'accorde spontané- ment à la nature spectaculaire du combat, comme fait le public d'un cinéma de banlieue. Ces mêmes gens s'indignent ensuite de ce que le catch soit un sport truqué (ce qui, d'ailleurs, devrait lui enlever de son ignominie). Le public se moque com- plètement de savoir si le combat est truqué ou non, et il a rai- son; il se confie à la première vertu du spectacle, qui est d'abolir tout mobile et toute conséquence : ce qui lui importe, ce n'est pas ce qu'il croit, c'est ce qu'il voit. Ce public sait très bien distinguer le catch de la boxe ; il sait 14 Mythologies que la boxe est un sport janséniste, fondé sur la démonstration d'une excellence; on peut parier sur l'issue d'un combat de boxe : au catch, cela n'aurait aucun sens. Le match de boxe est une histoire qui se construit sous les yeux du spectateur; au catch, bien au contraire, c'est chaque moment qui est intelli- gible, non la durée. Le spectateur ne s'intéresse pas à la montée d'une fortune, il attend l'image momentanée de certaines pas- sions. Le catch exige donc une lecture immédiate des sens jux- taposés, sans qu'il soit nécessaire de les lier. L'avenir rationnel du combat n'intéresse pas l'amateur de catch, alors qu'au contraire un match de boxe implique toujours une science du futur. Autrement dit, le catch est une somme de spectacles, dont aucun n'est une fonction : chaque moment impose la connais- sance totale d'une passion qui surgit droite et seule, sans s'étendre jamais vers le couronnement d'une issue. Ainsi la fonction du catcheur, ce n'est pas de gagner c'est d'accomplir exactement les gestes qu'on attend de lui. On dit que le judo contient une part secrète de symbolique ; même dans l'efficience, il s'agit de gestes retenus, précis mais courts, dessinés juste mais d'un trait sans volume. Le catch au contraire propose des gestes excessifs, exploités jusqu'au paroxysme de leur signification. Dans le judo, un homme à terre y est à peine, il roule sur lui-même, il se dérobe, il esquive la défaite, ou, si elle est évidente, il sort immédiatement du jeu ; dans le catch, un homme à terre y est exagérément, emplissant jusqu'au bout la vue des spectateurs, du spectacle intolérable de son impuissance. Cette fonction d'emphase est bien la même que celle du théâtre antique, dont le ressort, la langue et les accessoires (masques et cothurnes) concouraient à l'explication exagéré- ment visible d'une Nécessité. Le geste du catcheur vaincu signifiant au monde une défaite que, loin de masquer, il accen- uploads/Litterature/ mythologies.pdf

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