Université de Liège Faculté de Philosophie et Lettres Département de Langues et

Université de Liège Faculté de Philosophie et Lettres Département de Langues et Littératures romanes Qu’est-ce qu’un texte poétique ? Introduction théorique Cours d’Explication d’auteurs français des XIXe et XXe siècles Jean-Pierre BERTRAND Laurent DEMOULIN Année académique 2018-2019 Le texte me tend un miroir magique où j’aperçois non pas mon image (interdite de conscience), mais la sienne telle que je l’habite en sachant que beaucoup d’autres y logent aussi. BELLEMIN-NOËL Jean, La Psychanalyse du texte littéraire, Paris, Nathan, 1996, p. 76. Très souvent, j’ai affirmé que rien ne pouvait être fait de bon, en matière d’écriture, comme aussi bien en matière de peinture ou de musique, enfin en tout autre art de ce genre, si la sensibilité au mode d’expression choisi (en l’espèce, pour les écrivains, la langue, les mots) n’était pas au moins égale à la sensibilité au monde. PONGE Francis, Entretiens avec Philippe Sollers, Paris, Gallimard/Seuil, collection « Points », 1970, p. 43. Avertissement Les notes qui suivent ont pour objectif de fixer les notions fondamentales de l’explication de texte, et plus spécialement l’explication du texte poétique moderne. Elles constituent un bagage théorique de base qui devrait servir à forger le discours du commentateur de textes ; méthodologiquement, elles sont conçues en sorte de fournir une série d’entrées analytiques qui permettront de construire l’explication, à tout le moins de questionner le texte. On pourra les compléter par d’autres aperçus, notamment au moyen du Dictionnaire du Littéraire de Paul ARON, Denis SAINT-JACQUES et Alain VIALA (PUF, 2002), mais aussi d’autres ouvrages critiques sur la poésie moderne et, plus généralement, sur la poétique (cf. bibliographie pp. 41- 43). 3 Introduction : la notion de texte Texte : en sémiotique littéraire, le texte est défini comme « l’englobant formel des phénomènes linguistiques » (Roland Barthes), c’est-à-dire que le texte se définit comme un système sémiotique à la fois clos et autonome, constitué par tous les éléments proprement linguistiques des phrases qui le composent, aux niveaux phonologique, lexical, syntaxique, sémantique et rhétorique. NB : le mot texte vient du latin textus qui signifie « tissu, enlacement », spécialement « enchaînement d’un récit ». Le mot a désigné par la suite le libellé authentique de la parole divine (de l’Évangile), en opposition à la glose, au commentaire, au discours. Texte littéraire : le texte littéraire est un type de texte historiquement marqué par un code qui définit son statut, son genre et sa légitimité. Un roman n’est pas une tragédie, un sonnet n’a rien à voir avec une fable et, à l’intérieur de chaque genre, l’histoire opère des distinctions qui vont jusqu’à reconnaître le style d’un mouvement, d’une école, d’un auteur, voire d’une œuvre. La littérarité d’un texte est redevable des particularités historiques de son écriture. Texte poétique : le texte poétique est un texte littéraire particulièrement codé dans sa forme et sa structure. Il met prioritairement en œuvre ce que Roman Jakobson appelle la « fonction poétique » (ou « esthétique »), celle qui, dans la communication, a pour effet de rendre le message attentif à lui- même. Le langage poétique est « opaque » là où les autres genres sont davantage « transparents », ce qui signifie que le référent qu’il désigne est, d’une part, moins apparent et, d’autre part, transformé par un travail sur la langue. La poésie moderne est avant tout, selon l’expression des dictionnaires, un « art du langage ». On considérera ici surtout le texte poétique, particulièrement intéressant dans la mesure où, aux caractéristiques du texte en général et du texte littéraire, il ajoute ses caractéristiques propres, ce qui fait de lui, en quelque sorte, un texte au cube et un texte littéraire au carré. Plus précisément 4 encore, c’est la poésie moderne qui sera ici exploitée, poésie qui use sans doute plus que tout autre de la fonction poétique définie par Jakobson. Pour rappel, voici le schéma de la communication de Roman Jakobson : Contexte Fonction référentielle Destinateur è Message è destinataire fonction expressive fonction poétique fonction conative canal fonction phatique code fonction métalinguistique Un texte poétique peut être abordé de multiple façons. Pour des raisons d’ordre méthodologique, nous nous appuierons sur deux grandes approches, qui correspondent à une distinction théorique primordiale : le couple énoncé/énonciation. L’énonciation est l’engendrement d’un texte par le sujet parlant. Elle représente « l’impact du sujet dans un texte ». Cet impact est parfois (mais pas nécessairement) perceptible à travers trois points de repères : le « je », l’« ici » et le « maintenant ». Quant à l’énoncé, il constitue le produit de l’acte d’énonciation dont le sujet parlant assume la responsabilité. Nous envisagerons d’abord ici le texte poétique moderne comme énoncé, point de vue qui sera le plus fécond pour le commentaire, et nous envisagerons ensuite le texte comme énonciation, ce qui nous permettra de compléter notre approche théorique et méthodologique. 5 Le texte poétique comme énoncé Préalables Le texte vu comme énoncé implique qu’il est orienté comme le signe, lequel est composé, d’un côté, du signifiant, à savoir la matérialité des lettres, des sons, des mots et leur enchaînement dans la phrase et, de l’autre, du signifié, à savoir les unités sémantiques qui, dans la sémiologie classique, ont pour fonction d’arrêter le sens, de le fermer de manière univoque et définitive. Cette distinction doit cependant être corrigée lorsqu’elle s’applique à la poésie, et ce, essentiellement pour deux raisons. Premièrement, le signifiant et le signifié cessent, en poésie, de s’opposer fonctionnellement puisque l’enveloppe matérielle fait souvent également sens. Deuxièmement, le signifié du poème est tout sauf fermé et univoque : il s’ouvre au contraire à l’équivoque, à l’indétermination, à la polysémie. En effet, la poésie moderne, depuis Charles Baudelaire, a fait éclater la conception du texte- signe classique qui était liée à une métaphysique de « La » vérité. Cette conception a prévalu dans l’approche philologique du texte, le but du philologue étant de restituer l’authenticité d’un texte dans son exactitude littérale et sémantique. Mais, depuis une trentaine d’années, linguistes, sémiologues et théoriciens du texte ont remis en question cette métaphysique du sens unique. 6 1. Une structure formelle Au plan formel, pour qu’il y ait poème, plusieurs conditions doivent être réunies. Le texte poétique doit en effet réunir les cinq éléments suivants : 1°. La forme constitue un cadre fixe ou non (ex. un sonnet). 2°. Cette forme est réglée par un rythme particulier, soit qu’il résulte du retour régulier, au sein du poème et de chaque vers, de séquences ayant un nombre égal de syllabes, soit que le rythme se confonde, comme l’ont voulu les vers-libristes de la fin du XIXe siècle tels Arthur Rimbaud ou Jules Laforgue, avec le souffle poétique, lequel ne serait régulé par aucune contrainte arithmétique. Aujourd’hui, on considère que le rythme organise le sens et qu’il ajoute aux mots de la poésie un signifiant plus ou moins connotatif. Dans Le Dictionnaire du Littéraire, on peut lire à l’entrée « rythme » : « Dans son acception courante, “rythme” désigne le retour, à intervalles plus ou moins régulier, d’un phénomène […]. En littérature, il désigne l’organisation accentuelle et prosodique dans la phrase. […] il est la dynamique des textes, dont il organise la signifiance par l’accentuation des phrases — et non des mots — et la construction de séries prosodiques. » (p. 536-537) 3°. Le rythme d’un poème est produit par l’organisation du texte en vers (dont l’étymon latin est versus « le sillon toujours égal du laboureur », du verbe vertere « tourner, faire retour »). Sur la page imprimée, le vers, métrique ou non, se définit par l’espace typographique qu’il occupe. Alors que la prose occupe tout l’espace de manière cursive, le vers s’arrête avant la fin de la ligne typographique. En français, on dénomme les vers selon leur longueur métrique, en observant certaines règles, comme la distribution du « e » muet (les vers les plus fréquents sont l’alexandrin, le décasyllabe et l’octosyllabe). La longueur du vers implique un rythme particulier, une accentuation métrique (ex. la césure à l’hémistiche, le trimètre romantique). 4°. Facultativement, un poème peut être formé de rimes qui sont, « la répétition, à la fin de deux vers au moins, d’un phonème ou davantage » (Le Dictionnaire du littéraire, article « vers ; versification »), ce ou ces phonèmes comprenant, au minimum, la dernière voyelle accentuée et tout ce 7 qui la suit. Par exemple, « mur » et « pur » riment tandis que « butte » et « bulle » sont des assonances. Soulignons l’expression « voyelle accentuée », qui exclut bien entendu le « e » atone (« e muet ») : celui-ci est pris en compte dans la versification classique quand il s’agit de compter les syllabes, mais il ne peut constituer la rime : « porte » et « vache » ne riment pas. Traditionnellement, les rimes sont classées selon trois niveaux de richesse : • rime pauvre qui repose seulement sur l’homophonie d’une voyelle : « bu » et « vu » ; • rime suffisante qui contient, en plus uploads/Litterature/ auteur-francais-du-19e-siecle-apollinaire.pdf

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