Portfolio George Dumézil Commissaire scientifique Bernard Sergent Chercheur au
Portfolio George Dumézil Commissaire scientifique Bernard Sergent Chercheur au CNRS, il est l’auteur d’ouvrages concernant le monde indo-européen (L’homosexualité indo-européenne dans l’Europe ancienne, Payot, 1986 ; Les Indo-européens, Histoire, langues, mythes, Payot, 1995 ; Genèse de l’Inde, Payot, 1997 ; Celtes et Grecs, I, Le livre des héros, Payot, 1999), et plus particulièrement le domaine grec (L’homosexualité dans la mythologie grecque, Payot, 1984 ; Les trois fonctions indo-européennes en Grèce ancienne, I, De Mycènes aux Tragiques, Économica, 1998). Il collabore régulièrement aux revues Ollodagos (Bruxelles), Revue de l’Histoire des Religions (Paris), Dialogues d’histoire ancienne (Besançon). ©adpf-ministère des Affaires étrangères, Paris Avertissement: Contrairement à la version imprimée de cet ouvrage, nous n’avons pu reproduire ici les caractères spéciaux concernant les mots indiens, iraniens et scandinaves. 1. Premières années d’études et rencontre avec Michel Bréal Georges Dumézil est né à Paris le 4 1898. L’histoire de sa famille est un exemple remarquable de la «noria sociale» qu’offrit longtemps l’école. Son grand-père, petit artisan tonnelier en Gironde, permet tout de même à son fils, Jean Anatole Dumézil (1857-1929), d’avoir accès au lycée. Le garçon – futur général – y apprend les langues vivantes et le latin; il se passionne pour la poésie latine, passion qu’il transmet à son fils Georges, l’un des deux enfants qu’il a de son épouse, née Marguerite Dutier (1860-1945). Et ce fils sera l’un des plus grands savants français, le plus notable mythologue (avec Claude Lévi- Strauss) de sa génération, professeur à l’École pratique des hautes études, puis au Collège de France, et membre de l’Académie française. Le petit Georges est un bon élève. Il apprend le latin et le grec. Dès l’âge de neuf ans, il est capable de lire l’Énéide – ce n’est pas le texte latin le plus facile! Il fait également de l’allemand, et son père l’aide en lui faisant lire un livre sur la mythologie grecque du grand antiquisant Berthold Georg Niebuhr (1776-1831). L’intérêt du jeune Dumézil pour la mythologie des peuples de l’Antiquité remonte donc à ses premières années d’études. Pourtant, ce qui va orienter définitivement la vie du futur savant se situe un peu plus tard, au lycée, lorsqu’un de ses condisciples le présente à son grand-père: Michel Bréal (1832- 1915), l’un des maîtres de la linguistique française du XIXe siècle. Le fondateur de la grammaire comparée est un Allemand, Franz Bopp (1791-1867), auteur d’un monumental ouvrage traitant rigoureusement la comparaison de la grammaire et du vocabulaire des langues de la famille indo- européenne. Et c’est Bréal qui traduisit cet ouvrage en français, faisant précéder son édition (1866) de ce que Dumézil qualifiera plus tard de «lumineuse introduction». Il comprend l’intérêt du jeune homme qu’on lui présente pour les langues, lui offre son dictionnaire sanskrit-français, et lui conseille de s’adresser à son successeur, Antoine Meillet (1866-1936), le plus important linguiste français de la première moitié du XXe siècle. Dumézil n’est pas encore à l’université qu’il a déjà appris le sanskrit – et, de surcroît, l’arabe – et lu tous les ouvrages écrits jusqu’alors par Meillet. 2. Les études indo-européennes La famille linguistique indo-européenne a été reconnue à partir du XVIIe siècle, lorsqu’on remarqua que certaines langues d’Europe et d’Asie présentaient des ressemblances dans le vocabulaire – ainsi les noms de nombres, ou ceux de la parenté. Au début du XIXe siècle, Bopp et le Danois Rasmus Khristian Rask précisent les choses en étudiant systématiquement ces langues. Ils s’aperçoivent alors que celles-ci – à savoir le latin, le grec, les langues germaniques, celtiques, baltes, slaves, iraniennes et indiennes – présentent non seulement des ressemblances de vocabulaire – dont le nombre croît considérablement dès qu’on dispose de textes et de dictionnaires –, mais surtout des ressemblances grammaticales, qui peuvent encore moins que le vocabulaire s’expliquer par le hasard ou l’emprunt d’une langue à l’autre. Ainsi est définie cette famille: l’apparentement de ces langues ne peut s’expliquer que si elles proviennent toutes d’une langue commune, préhistorique, disparue. On qualifie bientôt cette famille d’«indo-européenne», et l’«indo-européen la langue disparue dont les autres sont issues. Au milieu du XIXe siècle se fait jour l’idée que si une langue, ancêtre des langues historiques, a existé, les hommes qui la parlaient disposaient d’une civilisation, d’une religion. On tente alors de les reconstituer, par comparaison des mythes et des rites des différents peuples de langue indo-européenne. Mais, après un grand enthousiasme, il fallut en rabattre: à une exception près, aucun nom de dieu ou de héros ne paraissait commun aux diverses langues indo-européennes, les rites, les prêtres, avaient des noms différents; quant aux rites et aux mythes qu’on avait étudiés (telle l’origine du feu), ils se retrouvaient ailleurs, et n’avaient donc rien de spécifiquement indo-européen. L’explication indo-européenne du monde n’est qu’un des rêves de l’humanité, et elle n’est pas, quant à son contenu, un rêve privilégié. Mais elle l’est, quant aux conditions de l’observation […] : dans aucun autre cas, on n’a l’occasion de suivre parfois pendant des millénaires, les aventures d’une même idéologie dans huit ou dix ensembles humains qui l’ont conservée après leur complète séparation. Le tableau que constituent ces créations quand on les rapproche témoigne avant tout de la fertilité de l’esprit humain […]. (Georges Dumézil, Mythe et épopée I) 3 Linguistique et mythologie C’était mon tout premier début. […] Imaginez : dans les Annales du musée Guimet ! Un livre, qui a été très vite contesté. Et qui, je le proclame moi-même, était plus que contestable. (Georges Dumézil, au sujet de sa thèse de 1924, Entretiens avec Didier Éribon) À la fin du XIXe siècle, le bilan des études indo-européennes est négatif: autant les études purement linguistiques progressaient, autant celles portant sur la civilisation et sa religion présumée marquaient le pas. Georges Dumézil est l’homme qui va retourner cette situation. En attendant, il poursuit ses études. Le brillant élève du primaire et du secondaire est aussi le premier de sa promotion à son entrée à l’École normale supérieure, en 1916. C’est une année de guerre. Comme la quasi-totalité des jeunes Français, Dumézil est mobilisé en 1917, et sert comme officier d’artillerie. Démobilisé en février 1919, il passe l’agrégation de lettres classiques en décembre, enseigne dans un lycée, puis le quitte pour préparer sa thèse. C’est alors que, sous la direction de Meillet, il entame la recherche qui va ensuite le guider toute sa vie. Il est vrai qu’il a hésité: la physique l’avait intéressé, et il s’est demandé un moment s’il n’allait pas faire des études dans le tout nouveau domaine nucléaire… Mais les amours d’enfance l’emportent, et Meillet lui procure les idées qui orienteront ses premières recherches: un certain nombre d’équations linguistiques (c’est-à-dire de rapprochements entre des mots de diverses langues indo-européennes) sont à contenu religieux ou mythique. L’échec signalé n’est donc pas total. Au jeune Dumézil, dit Meillet, de reprendre ces équations et, puisqu’il s’intéresse aux mythes, d’examiner si ceux où figure le vocabulaire religieux ou mythique repéré présentent quelque ressemblance. La thèse de Dumézil se fonde ainsi sur une équation linguistique notable: la boisson d’immortalité s’appelle en Inde ancienne amrtâ, et la nourriture d’immortalité, en Grèce ancienne, ambrosiâ. Les deux termes sont presque identiques, et signifient la «non-mort. Dumézil étudie alors l’ensemble des mythes qui parlent de la conquête d’une boisson d’immortalité dans le monde indo-européen, et un livre remarquable est tiré de cette thèse en 1924: Le Festin d’immortalité. Étude de mythologie indo- européenne 1. Dans ma thèse de 1924, j’avais tenté de reconstituer un cycle déjà indo-européen de l’ambroisie, la boisson qui permet aux Dieux d’être immortels. Et j’en avais fabriqué là où il n’y en a pas. Chez les Scandinaves, par exemple, qui ne fournissent pas au philologue de boisson d’immortalité, j’avais promu la bière à ce rang. […] Mon livre était d’une grande maladresse. Je ne le relis jamais et pourtant, je n’arrive pas vraiment à le regretter, parce que, de mon point de vue, il n’a été que la première marche de l’escalier branlant, de l’échelle acrobatique qui m’a conduit à la terrasse où, maintenant, je me pose. C’est en réfléchissant sur les bêtises qu’on a dites — moi du moins — qu’on finit par découvrir des probabilités. (Georges Dumézil, Entretiens avec Didier Éribon) 1. Le Festin d’immortalité. Étude de mythologie comparée indo-européenne, Annales du Musée Guimet, n° 34, Paul Geuthner. 4. Voyages : Turquie, Caucase, Suède Curieusement, Meillet, qui a fourni le point de départ de la thèse, la rejette – et ce n’est là qu’un des exemples si nombreux de la méfiance de certains linguistes vis-à-vis de la mythologie. Dumézil n’a pas repris son enseignement au lycée, et vit de petits emplois. Il est jeune marié lorsqu’il apprend que Meillet ne le soutient plus; par ailleurs, un autre membre de son jury, Henri Hubert, lui explique qu’il n’y a pas de place pour lui dans l’Université française. Aussi accepte-t-il l’offre que lui fait en 1925 Jean Marx. Ce spécialiste des romans arthuriens, moins hostile aux travaux d’un mythologue, lui propose de rejoindre la Turquie pour y occuper le poste d’Histoire des religions que crée alors Mustafa uploads/Litterature/ dumezil.pdf
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- Publié le Nov 19, 2021
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