Numéro : 2 b, décembre 2017 http://www.regalish.net 6 Rebelle de Fatou Keïta ou
Numéro : 2 b, décembre 2017 http://www.regalish.net 6 Rebelle de Fatou Keïta ou une poétique du corps féminin Babou DIENE, Université Gaston Berger, Saint-Louis (Sénégal) mbayemarie65@yahoo.fr Résumé Par une approche thématico-stylistique, nous avons voulu cerner les contours de la représentation du corps féminin dans Rebelle de Fatou Keïta. Notre analyse a montré que le corps féminin est l’objet de violences multiformes que lui inflige la puissance patriarcale. Les oppressions masculines qu’il subit s’articulent autour d’un réseau thématique dont l’excision constitue l’unité centrale. Toutefois, les hommes ne sont pas les seuls vecteurs de la violence. La romancière souligne une certaine responsabilité des femmes conservatrices dans les maux dont souffrent leurs sœurs. De même, certains hommes apparaissent comme des alliés qui soutiennent le combat des féministes. C’est dire que la romancière n’opte pas pour une rupture radicale fondée sur le genre. Le corps féminin est le siège d’une parole revendicatrice, libre et libératrice, qui n’exclut pas le recours à des formules obscènes. Pour fustiger les violences du corps, Fatou Keïta adopte une écriture polyphonique basée sur la diversité des témoignages de femmes victimes des fléaux qu’elles dénoncent. Le choix d’une écriture militante, subversive, pour véhiculer un discours de déconstruction de l’idéologie phallocentrique, sous-tend le projet politico-syndical des femmes soucieuses de la conquête de leurs droits. Mots-clés : Ecriture, Excision, Féminisme, Viol, Violence. Abstract Through a stylistic and thematic approach, we aimed at pinpointing the outlines of the representation of the female body in Rebelle by Fatou Keïta. Our analysis has shown that the female body is subjected to many forms of violence inflected by the patriarchal power. The male oppressions it undergoes turn on a thematic network of which excision constitutes the mainframe. However, men are not the only vectors of violence. The novelist emphasizes a certain responsibility of conservative women in the evils their sisters are suffering from. Likewise, some men seem like allied that support the feminists’ fight. Namely the novelist does not opt for a radical gender-based rupture. Thus, the body becomes the expression of a social language in and by which the society tells its story. The female body is the center of a free and liberating word of claims which does not exclude resorting to obscene phrases. To condemn the violences of the body, Fatou Keïta adopts a polyphonic writing based on the diversity of the testimonies of women victims of the scourges they denounce. The choice of a militant, subversive writing to convey a discourse of deconstruction of the phallocentric ideology, underlies the trade union and political plan of women concerned with the conquest of their rights. Keywords: Writing, Excision, Feminism, Rape, Violence. Keywords : Writing, Excision, Feminism, Rape, Violence. Numéro : 2 b, décembre 2017 http://www.regalish.net 7 Introduction La représentation de la femme dans le roman africain est un topos caractéristique de l’écriture de toutes les générations. On se rappelle la place importante que lui réserve Maïmouna (1958) d’Abdoulaye Sadji qui montre les dangers de la ville sur les jeunes villageoises qu’elle attire. Dans L’Enfant noir (1953), Camara Laye met l’accent sur le rôle de la femme-épouse, gardienne de la tradition. Il met aussi en vedette la mission protectrice de la mère très attachée à l’éducation de ses enfants. Quant à Seydou Badian, il conteste dans Sous l’orage (1958) le droit des parents à donner la main de leur fille à l’homme qu’ils ont choisi. On n’oublie pas non plus la Grande Royale qui, dans L’Aventure ambiguë (1961), assiste, contrairement aux usages coutumiers, à la réunion des hommes pour leur indiquer la décision à prendre, celle d’envoyer Samba Diallo à l’école des Blancs, au grand désespoir de maître Thierno. Dans d’autres romans comme La Nouvelle Romance (1976) d’Henri Lopes, Les Soleils des Indépendances (1968) d’Ahmadou Kourouma, les souffrances physiques et morales des femmes sont analysées avec beaucoup d’attention. Toutefois, la femme n’est encore objet de discours que de romanciers éclairés qui revisitent de manière critique sa place dans la société. Jusqu’en 1980, note en effet O. Cazenave (1996, p. 15), les critiques de littérature africaine (de sexe masculin), relèvent, « la quasi-absence des femmes africaines sur la scène littéraire ». De ce point de vue, l’ouvrage Emancipation féminine et roman africain (1980) d’A. Chemain Degrange est assez illustratif. En effet, « les visages de femmes qu’elle établit, proviennent d’écrits masculins, la voix féminine directe étant encore alors pratiquement absente » (O. Cazenave, 1996, p. 15-16). C’est pourquoi en raison de leur faible représentativité, J. Chevrier, dans La Littérature nègre (1974), consacre environ deux pages aux écrivains femmes. De même, Séwanou Dabla dans son ouvrage Nouvelles Ecritures Africaines : Romanciers de la seconde génération (1986), ne retient qu’une écrivaine, Werewere Liking dont il analyse sur huit pages le roman Elle sera de jaspe et de corail (1983). Le peu d’espace que la critique accorde aux femmes s’explique par la naissance récente de la littérature féminine. C’est seulement à partir de la fin des années 70 et au début des années 80 que les femmes brisèrent le silence, en refusant d’être objets mais sujets de pratiques discursives centrées sur des questions liées à leur condition. Parmi les pionnières, M. Bâ, l’auteure d’Une si Longue Lettre (1979), mérite d’être citée. La romancière passe, aux cribles de la fiction, la polygamie dont elle montre les injustices que cette dernière engendre. Elle met en relief des femmes (Aïssatou et Ramatoulaye) abandonnées par des époux jouisseurs qui abdiquent à leur fidélité pour les beaux de plus jeunes et nouvelles épouses. Les drames causés par la polygamie sont mis en évidence par une écriture attachée à prouver que, dans ce système matrimonial, les femmes deviennent des victimes écrasées par des hommes en quête de nouvelles aventures. B. Mouralis explique ainsi comment A. Thiam, par son essai, La Parole aux négresses (1978), a contribué au combat de libération de la femme en l’affranchissant des tabous qui constituaient un blocage à son expression épanouie. C’est ainsi qu’il soutient : Awa Thiam a pris la parole pour adresser les questions jusque-là inabordées de sexualité et de mutilations sexuelles sur la base de conversations recueillies Numéro : 2 b, décembre 2017 http://www.regalish.net 8 faisant état d’expériences de femmes, de la vie en structure polygamique d’une part, de mutilations sexuelles d’autre part […]. L’essai d’Awa Thiam a rendu possible une liberté de ton et d’écriture qu’on retrouvera dans de nombreux textes publiés par la suite (B. Mouralis, 1994, p. 27). La prise de parole des femmes pousse M. D. Kane à soutenir ce propos : Lasse […] de parler et d’agir par la plume de l’autre […] par la médiation de la plume de l’autre, la femme prend la parole et entreprend de se dire dans l’immédiateté de sa condition de femme. Le pari dans lequel s’engage [la littérature féminine] consisterait alors à sortir de la grande marge que constitue la condition féminine (2004, p. 115). C’est dans ce cadre qu’il faut situer Rebelle de Fatou Keïta. La romancière ivoirienne organise son roman autour de la vie de Malimouna. Elle raconte son histoire depuis son enfance jusqu’ à ce que celle-ci devienne épouse et mère de plusieurs enfants, après avoir mené un parcours de combattante. Son arrivée en France lui a en effet permis de s’instruire et de suivre une formation aux seules fins d’aider les femmes en difficulté. Dans ce contexte Rebelle est le cadre symbolique à travers lequel se tiennent les batailles que Malimouna ne cesse de mener tout au long de son existence. Le parcours initiatique de cette femme atypique est ainsi révélateur de la mission qu’elle s’est assignée. Pour sortir de la marge, combattre les injustices infligées à la condition féminine, de nouvelles figures de femmes émergent donc et assument des luttes pour la conquête de leurs libertés. Par une démarche thématique et stylistique, nous voulons revisiter la question des violences faites aux femmes et montrer comment elle est prise en charge par une écriture féminine et féministe. 1. De la question des violences faites aux femmes Rebelle de Fatou Keïta est placé sous le sceau du souvenir, du témoignage et de la contestation. En effet, parmi les éléments paratextuels, figure une épitre dédicatoire significative : « A ma mère, une Femme… » (F. Keïta, 2009, p. 1). Cet hommage à sa mère est une manière d’orienter la lecture du texte vers la prise en compte de l’engagement de la romancière en faveur de la cause de ses sœurs. Il y a lieu de constater que dans ce passage, la femme est valorisée du point de vue typographique par la lettre [f] en majuscule. Ce coefficient d’élévation du genre féminin milite en faveur d’une volonté de grandir le sexe faible, de lui refuser la place marginale qu’il occupe dans le champ social. Quant aux points de suspension qui montrent que la romancière tait des réalités qu’elle ne veut pas avouer, elles peuvent être lues comme l’expression du silence des femmes écrasées par le discours idéologique des hommes. C’est pour s’insurger contre ce silence coupable que Fatou Keïta prend la parole en vue de uploads/Litterature/ babou-diene 1 .pdf
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- Publié le Jui 23, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
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