1 LE GENRE DE LA BALLADE AUX XIVE ET XVE SIÈCLES : CHARLES D’ORLÉANS ET FRANÇOI

1 LE GENRE DE LA BALLADE AUX XIVE ET XVE SIÈCLES : CHARLES D’ORLÉANS ET FRANÇOIS VILLON INTRODUCTION DÉCLIN DE LA COURTOISIE Alain Chartier (+- 1385-1433) illustrera encore, dans une partie de son œuvre, la lyrique courtoise mais dénonce la courtoisie dans La Belle Dame sans merci (1424). Ce poème de huit cents vers suscitera des réactions tant positives que négatives. Il dénonce l’hypocrisie du jeu courtois. Il met en scène un poète qui surprend une conversation entre une dame et son amant. Les plaintes de l’amant laissent la dame de marbre : elle avance le caractère convenu de ces pratiques, le manque de sincérité des serments de fidélité prononcés par l’amant (ils disent préférer mourir qu’être rejetés, or il n’en est rien pour la plupart). Aussi, elle critique le fait que la dame, sous peine d’être jugée insensible ou trop rigide, se doit de céder { tout homme qui prétend en être épris. FIXATION Au XIVe siècle, des genres poétiques à forme fixe prennent le relais : lais, chants royaux, ballades, rondeaux, virelais, pastourelles. Ces genres existaient déjà au siècle précédent, notamment dans le cadre de la danse, mais sont petit à petit codifiés et hiérarchisés (du lai, la forme la plus complexe, au rondeau, la plus simple). Les formes poétiques sont alors jugées comme ayant une musicalité intrinsèque (rimes, refrain) et les textes se séparent de l’accompagnement musical. Guillaume de Machaut (1300 – 1377) sera le dernier à accompagner sa poésie de musique et un des premiers à opérer cette rupture : dans ses grands recueils, il sépare les pièces destinées au chant et la poésie lyrique destinée à être lue ou récitée. DE LA POÉSIE SANS MUSIQUE La scission de la poésie et de la musique se fait en deux temps : dans un premier temps on voit l’apparition de formes poétiques déclamées et non plus chantées (le dit = poésie narrative). Dans un second temps, les formes poétiques lyriques (ballade, rondeau,…) conservent leur forme mais ne sont plus chantées Dans son traité L’Art de dictier et de faire chanson (1392), Eustache Deschamps (1345 – 1405), disciple de Guillaume de Machaut, théorise ce que son maître avait amorcé et dissocie la musique de la poésie. Il distingue une « musique naturelle », celle du vers, et une « musique artificielle », la mélodie et la musique instrumentale. 2 LA BALLADE INTRODUCTION L’une des ces formes poétiques désormais à forme fixe, sans accompagnement musical et déclamée est la ballade. Preuve de cette origine du monde musical, l’étymologie du mot. Le terme est originaire de l’ancien provençal ballar (danser), duquel est dérivé (suffixe –ada) le nom ballada (chanson à danse, petit poème chanté, fin XIIe s.). En ancien français, le terme est altéré en barade (v. 1260), puis balade (1288) et ballade (XVIe s.). Jusqu’au XVIe s., balader (avec un seul l) a signifié chanter des ballades. Les jongleurs et les mendiants allaient de villes en villes pour chanter des ballades et le verbe, au XVIIe s., en est venu à signifier, dans le langage argotique aller en demandant l’aumône. On en est passé à marcher sans but, flâner, au XIXe s., puis, { l’actuelle forme pronominale se promener.1 CHARLES D’ORLÉANS (1391 – 1463) QUELQUES NOTES SUR L’AUTEUR2 Né à Paris le 26 mai 1391, mort à Amboise le 4 janvier 1463. Il était fils de Louis d'Orléans, frère de Charles VI (roi de France), qui avait la passion pour les beaux livres et renoua donc avec la tradition du grand seigneur lettré. La mort de son père, assassiné le 23 novembre 1407 par les gens du duc de Bourgogne, plaça Charles, alors âgé de seize ans, à la tête d'un parti puissant et fit de lui l'un des chefs de la féodalité française. Le soin de venger son père l'occupa dès lors pendant plusieurs années. Le 29 juin 1406, il épouse sa cousine germaine Isabelle de Valois (fille de Charles VI), alors veuve de Richard II d'Angleterre, qui trois ans après mourut en couches. En 1410, il épousa Bonne d'Armagnac, qui mourra en 1415. A la bataille d'Azincourt (1415, défaite de la France), Charles d'Orléans combattit, fût fait prisonnier et emmené en Angleterre. En 1440, âgé de quarante-neuf ans, grâce aux démarches du duc de Bourgogne, Philippe le Bon, avec lequel il s'était réconcilié, il recouvra la liberté pour la rançon énorme de plus de 200 000 écus d'or. Il épouse Marie de Clèves, nièce de Philippe le Bon, et se retira dans ses châteaux de Blois et de Tours. C'est là, au milieu d'une petite cour littéraire, qu'il termina sa vie. Les poésies de Charles d'Orléans se divisent en deux parties. La première est formée des vers que le poète composa en Angleterre pendant ses vingt-cinq années de captivité, le Poème de la prison. C'est la partie où tient le plus de place l'allégorie amoureuse que Guillaume de Lorris avait mise à la mode. L'autre partie des œuvres de Charles d'Orléans, composée en France, après 1140, comprend plusieurs centaines de ballades, chansons et rondeaux sur des sujets très variés, pour la plupart amoureux. À ces vers sont joints, dans les manuscrits, ceux que composèrent les différents 1 Alain REY (dir.), Le Robert – Dictionnaire historique de la langue française (éd. 1998, impr. 2000), Paris 2 Serge JODRA, « Charles d’Orléans » (extraits), in Imago Mundi – Encyclopédie en ligne, consultée le 17 février 2008 [http://www.cosmovisions.com] 3 membres de la cour littéraire de Blois. A la fin de sa vie, retiré à Blois, il se livre à la thématique du nonchaloir, une sérénité teintée de mélancolie. Il est aussi l’instigateur des concours de poésie de Blois, auxquels, pour ne citer que lui, Villon participera. ANALYSE DE TEXTE 1. Nouvelles ont couru en France, 2. Par mains lieux, que j'estoye mort; 3. Dont avoient peu deplaisance3 4. Aucuns qui me hayent à tort; 5. Autres en ont eu desconfort4, 6. Qui m'ayment de loyal vouloir, 7. Comme mes bons et vrais amis; 8. Si fais à toutes gens savoir 9. Qu'encore est vive la souris. 10. Je n'ay eu ne mal, ne grevance5, 11. Dieu mercy, mais6 suis sain et fort, 12. Et passe temps en esperance 13. Que paix, qui trop longuement dort, 14. S'esveillera, et par accort 15. A tous fera liesse avoir; 16. Pour ce, de Dieu soient maudis 17. Ceux qui sont dolens7 de veoir 18. Qu'encore est vive la souris. 19. Jeunesse sur moy a puissance, 20. Mais Vieillesse fait son effort 21. De m'avoir en sa gouvernance; 22. A present faillira son8 sort, 23. Je suis assez loing de son9 port, 24. De pleurer vueil10 garder mon hoir11; 25. Loué soit Dieu de Paradis, 26. Qui m'a donné force et povoir, 27. Qu'encore est vive la souris. 28. Nul ne porte pour moy le noir, 29. On vent meilleur marchié drap gris; 30. Or tiengne chascun, pour tout voir12, 31. Qu'encore est vive la souris. 3 Chagrin, déplaisir. 4 Peine, embarras, chagrin 5 Ennui, chagrin, regret. 6 Marque l’opposition : au contraire. 7 Malheureux, affligé. 8 De la vieillesse. 9 Idem. 10 Je veux. 11 Héritier. Il avait eu une fille avec Isabelle de Valois, morte lors de l’accouchement. 12 Vrai, vraiment. Ou pour tout avoir ? 4 Commentaire On n'entendait plus parler de lui en France ; on finit par croire qu'il était mort: le bruit s'en était répandu. Ce fut pour lui le sujet de cette ballade où il révèle au monde qu' « encore est vive la souris ». Traduction « Traduire » le texte ensemble et s’assurer que tout le monde a compris le sens général. Ton Malgré ses conditions de vie (la détention), Charles d’Orléans adopte un ton loin d’être plaintif. Il est, au contraire, plutôt humoristique, notamment quand il suggère d’acheter un drap gris plutôt que noir (29) puisque celui-là est moins cher (or ses proches ne sont certainement pas dans le besoin). Il reste plus discret que Villon (« je » moi abondant), mais aussi plus vif et enjoué (d’où la métaphore avec la souris). N’oublions pas de préciser qu’il a été détenu dans des conditions carcérales exceptionnellement « agréables ». Il est encore empli de jeunesse et de joie de vivre. Il y a un décalage, donc, entre sa mort annoncée et éventuellement prochaine et le ton dont notre poète fait usage. Figures de style L’allégorie (cf. influence du Roman de la Rose de Guillaume de Lorris et Jean de Meung, au XIIIe s.) en tant que personnification d’une abstraction est bien présente dans cette ballade. Où la repérez-vous ? Les vers 1 (les Nouvelles courent), 13 (la paix dort), 19 (Jeunesse) et 20 (Vieillesse) sont allégoriques. Le refrain, quant { lui, est d’une part une personnification (9 – 18 – 27 – 31) dans la mesure où l’animal souris est représentatif de Charles d’Orléans lui-même, d’autre part métaphorique (in absentia : seul le comparant est présent), dans la mesure où il s’attribue les qualités – dans le sens objectif du terme – de ce uploads/Litterature/ ballade-xiv-xv.pdf

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