Un jour, en passant sur la route, j’ai vu une fermière. Au loin, l’église darda
Un jour, en passant sur la route, j’ai vu une fermière. Au loin, l’église dardait son toit pointu vers le ciel sans étoile. La fermière...– j’ai barré pour éviter une répétition – la femme avait installé sa radio sur la table dans le pré ; et elle exécutait à petits pas gracieux une danse de son pays. (E. Reberg, La rédac) (*) Entrée en matière... Comment exprimer une constante avec des formes diversifiées ? Telle est la question que se pose l’élève « romanesque », présenté dans notre exergue, au moment d’entreprendre le pensum rituel de « la rédac ». Ce souci rédactionnel -qui n’a, lui, rien de romanesque- est d’autant plus compréhensible qu’il suppose, d’une part, des compétences relativement élaborées, qu’il se pose, d’autre part, en regard de normes bien intériorisées à défaut d’être bien justifiées et qu’enfin il repose sur des apprentissages particuliers, inégalement dispensés. Dès lors, il n’y a rien d’étonnant à ce que la solution adoptée par l’élève pour indiquer qu’il réinstancie dans son texte le personnage de la fermière se conforme aux seules règles édictées en la matière, à savoir l’évitement de la répétition. Quant à savoir pourquoi il utilise ensuite le groupe nominal défini la femme plutôt que le démonstratif cette femme, pourquoi il choisit comme nom- PRATIQUES N° 85, Mars 1995 BESOINS DIDACTIQUES EN MATIÈRE DE COHÉSION TEXTUELLE : LES PROBLÈMES DE CONTINUITÉ RÉFÉRENTIELLE Catherine SCHNEDECKER (*) Ce travail s’inscrit dans le cadre du groupe de recherche « Encodage et maintien de la référence dans les discours écrits » subventionné par le Centre d’Analyse Syntaxique et le Centre de Didactique Des Disciplines de l’Université de Metz. Je remercie M. CHAROLLES et A. PETITJEAN pour leur lecture attentive et leurs remarques suggestives. Les erreurs qui subsistent sont les miennes, cela va sans dire. 3 tête du groupe nominal femme et non pas personne / créature ou encore périgourdine épanouie, il lui serait sans doute difficile de motiver ses choix lexicaux. Tout comme de justifier que les différentes expressions référentielles, autrement dit les maillons de la chaîne de référence, sont disposées dans cet ordre-là et non pas dans un autre Et pour cause... Lui a-t-on seulement appris à manipuler ces outils référentiels ? Oui et non, serions-nous tentée de dire. Il va sans dire que, depuis ces dix dernières années, les modalités de l’expression référentielle sont apparues dans le domaine de la didactique du français, notamment grâce aux analyses menées, sur du matériau d’élèves entre autres, par B. Combettes (1986, 1988), M. Charolles (1988a, b) et M.-J. Reichler-Béguelin (1988a, b) (1). La plupart ont du reste abouti à des ouvrages à vocation spécifiquement didactique (De la phrase au texte, Ecrire en français, Maîtrise de l’écrit : chapitres 3, 6, 7) et ont suscité toute une série de travaux publiés dans les numéros 60, 73 et 77 de Pratiques. De sorte qu’on dispose actuellement, pour appréhender l’expression de la référence, de données extrêmement riches, remarquables par leur complémentarité et par la productivité de leurs angles d’approche. Effectivement, à considérer la somme des travaux déjà accumulés, il y a de quoi travailler : de la typologie des erreurs (M.-J. Reichler-Béguelin, 1988a) à la production / compréhen- sion des phénomènes de reprise plus « pointus » comme les anaphores lexicales (C. Pierson, 1993) et conceptuelles (M. Descombes-Dénervaud et J. Jespersen, 1992), les différents types de progression thématique (B. Combettes, 1988 ; B. Combettes et R. Tomassone 1988 ; M.-J. Reichler- Béguelin et alii, 1988) en passant par les problèmes posés par l’expres- sion/l’interprétation du suivi référentiel en général (B. Combettes, 1986 ; C. Masseron et C. Schnedecker, 1988) ou bien dans des contextes caracté- ristiques par les risques d’ambiguïté qu’ils génèrent (M. Charolles, 1988a) ou par le fait que la continuité référentielle se trouve à la fois perturbée et dédoublée par la présence de séquences dialogales (M. Laparra, 1988 ; C. Schnedecker, 1989, 1990 ; M-J. Reichler-Béguelin à par.). Dans ces conditions, objectera le lecteur avisé, mais – nous le sentons bien – tout de même inquiet, pourquoi nous faire tout ce numéro ? D’abord parce que les travaux cités ainsi que ceux menés, dans le même temps, en linguistique à propos de la référence génèrent une réflexion dynamique qu’alimentent et interrogent par ailleurs les écrits de nos élèves. Ensuite parce que la plupart des approches en matière de référence nous donnent des « instantanés » théoriques ou analytiques alors que le matériau auquel nous sommes confrontés, en tant qu’enseignant, tient davantage du « long métrage » qu’il faut appréhender en tant que tel pour les raisons que nous développerons dans les deux premières parties. Enfin, parce que certaines « lacunes » que nous repérons au quotidien dans la manipulation des expressions référentielles proviennent en fait de certains « travers » que manifestent souvent les manuels scolaires (cf. infra 3.1.) pour lesquels l’ensemble des contributions à ce numéro suggèrera quelques rectificatifs. (1) A cela s’ajoutent bien évidemment les recherches dans le domaine strictement linguistique, menées par les auteurs cités ainsi que celles de G. KLEIBER (cf. les références données tout au long de cet article et en bibliographie), et pour la question des chaînes de référence celles de F. CORBLIN et J.-M. MARANDIN. 4 1. Intérêts didactiques d’une approche « au long cours » de l’expression de la référence dans l’évaluation des « anomalies » 1.1. Angles d’analyse aigus... Bien souvent lorsqu’on évalue des productions écrites sous l’angle restreint de la cohésion référentielle, les interventions adviennent « pas à pas ». En d’autres termes, l’appréciation du caractère approprié ou non d’une expression référentielle donnée s’effectue, la plupart du temps, en regard du maillon qui la précède, sans qu’on aille plus loin en amont ou en aval du texte. En voici un premier exemple, où se trouvent respectivement sanctionnés un cas dit « répéti- tion » (cf. rép.) et un cas d’incomplétude référentielle ce que marque la question « lequel? » en marge de la copie : 1 Un jour dans un village paisible où tous les habitants se connaissaient, on entendit pousser des cris dans une des auberges du village. Le commissaire et ses adjoints se hâtèrent vers l’auberge. En ouvrant la porte, le commissaire (rép) vit une jeune femme étalée par terre. C’était Marie-Cécile la femme du banquier. (lequel ?) (Philippe, 4e) A ces injonctions « bornées » (2), l’élève répond du tac au tac : il gomme la répétition en utilisant un terme « aussi synonyme » que possible (l’enquêteur) ; il procède à la saturation référentielle demandée en rattachant le personnage « flottant » de la première version à un élément du cotexte : 2 Une femme pousse des cris dans un auberge, le commissaire et ses adjoints trouve la femme morte et le mari de la décédé l’avait prévénu. L’enquêteur alla interroger le banquier. (orthographe d’origine) Mais le résultat final pose, pour le coup, de réels problèmes car la coréférence entre le commissaire / l’enquêteur et le mari de la décédée / le banquier repose désormais sur une présomption de cohérence discursive et non pas sur des marques linguistiques adéquates. Une seconde illustration concerne un autre phénomène typique des difficultés référentielles, puisqu’il s’agit d’un cas « classique » d’ambiguïté, posé en l’occurrence par l’emploi de celui-ci : 3 Pour son malheur, il rencontra le concierge dans un des couloirs. Marcel tenta de lui expliquer son cas, mais ce dernier ne voulut rien entendre et l’emmena dans le bureau du directeur. Celui-ci était absent. Alors le concierge le disputa et lui fait la morale. (in M-J. Reichler-Béguelin et alii : 93) « La règle de proximité, disent les auteurs, voudrait que ces anaphores reprennent celui-ci (le directeur), ce qui n’est évidemment pas le cas. L’auteur de la phrase fait jouer ici la règle de conservation des rôles et fait référer le et lui à Marcel sur qui le récit est focalisé, créant ainsi une ambiguïté. Celle-ci pourrait être levée aisément par une anaphore lexicale le collégien, l’élève » (op.cit. :188) (2) Nous ne nous permettons la critique que parce qu’elle concerne directement C. SCHNEDECKER. Péché de jeunesse, innocence ou inconséquence de sa part ? Elle a, depuis et heureusement, beaucoup vieilli et un petit peu progressé... 5 1.2. ...vs angles d’analyse larges A partir du moment où l’on considère les expressions indexées non plus isolé- ment, mais en tenant compte de leur environnement référentiel, il faut réviser les jugements d’anomalies initialement posés. Pour ce qui concerne [1], le personnage du commissaire est introduit dans le texte non pas comme une entité isolée, mais comme partie de l’ensemble constitué par le commissaire et ses adjoints, le rôle du coordonnant indiquant que « ce ne sont pas deux nouveaux référents qui sont en fait introduits, mais bien un seul référent, en l’occurrence l’ensemble des référents constitué par la coordination. » (G. Kleiber, 1986 : 77). De ce fait, l’élève n’a d’autre possibilité linguistique, pour extraire l’élément de son ensemble, que de le redonner sous la forme du groupe nominal défini choisi. Quant au banquier, il s’entend comme uploads/Litterature/ besoins-didactiques-en-matiere-de-cohesion-textuelle-les-problemes-de-continuite-referentielle.pdf
Documents similaires










-
35
-
0
-
0
Licence et utilisation
Gratuit pour un usage personnel Attribution requise- Détails
- Publié le Aoû 05, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
- Taille du fichier 0.1442MB