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Tous droits réservés © Les Presses de l’Université de Montréal, 2017 This document is protected by copyright law. Use of the services of Érudit (including reproduction) is subject to its terms and conditions, which can be viewed online. https://apropos.erudit.org/en/users/policy-on-use/ This article is disseminated and preserved by Érudit. Érudit is a non-profit inter-university consortium of the Université de Montréal, Université Laval, and the Université du Québec à Montréal. Its mission is to promote and disseminate research. https://www.erudit.org/en/ Document generated on 02/24/2021 3:27 p.m. Études françaises Présentation La littérature démoralise-t-elle l’histoire ? Marie Blaise Histoire et littérature. La littérature démoralise-t-elle l’histoire ? Volume 53, Number 3, 2017 URI: https://id.erudit.org/iderudit/1042281ar DOI: https://doi.org/10.7202/1042281ar See table of contents Publisher(s) Les Presses de l’Université de Montréal ISSN 0014-2085 (print) 1492-1405 (digital) Explore this journal Cite this document Blaise, M. (2017). Présentation : la littérature démoralise-t-elle l’histoire ? Études françaises, 53 (3), 5–25. https://doi.org/10.7202/1042281ar Présentation La littérature démoralise-t-elle l’histoire ? marie blaise Que l’histoire eût copié l’histoire, c’est déjà suffisamment prodi- gieux ; que l’histoire copie la littérature, c’est inconcevable1. Jorge Luis Borges Quelque jour des écrivains à paradoxes se demanderont si les peuples n’ont pas quelquefois prodigué le nom de bourreaux à des victimes2. Honoré de Balzac Pas de chance en français, contrairement à l’anglais qui a deux termes, story et history, notre langue n’a qu’une histoire à sa disposition. Le mot « histoire » y désigne à la fois le passé de l’humanité et la connais- sance de ce passé mais aussi le récit d’une aventure, une affaire, la narration d’événements, fictifs ou non. Comme il serait simple de pouvoir opposer le public au privé, l’érudition à l’imagination, la vérité à la fiction, l’histoire à la littérature. C’est impossible, bien entendu. La littérature revendique un droit sur la vérité du passé, collective et per- sonnelle. L’histoire a, elle aussi, pour sujet des aventures individuelles – celles des « grands hommes » de la nation, dont le destin a provoqué l’événement « historique » et façonné le devenir des peuples, mais aussi celles des anonymes, vies du passé que les grandes crises, ou seulement la marche du temps, ont presque effacées. De Michelet et Quinet 1. Jorge Luis Borges, « Le thème du traître et du héros » [1944], Fictions, Œuvres com- plètes (éd. Jean-Pierre Bernès), vol. 1, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, p. 523. 2. Honoré de Balzac, Sur Catherine de Médicis, Paris, La Table ronde, coll. « La petite vermillon », 2006 [1846], p. 388. 6 tudes franaises • 53, 3 jusqu’à Carlo Ginzburg ou Ivan Jablonka, l’historien ne cherche pas seulement des continuités en construisant le récit des événements, il désire parfois aussi ressusciter les morts. L’écrivain a sensiblement la même ambition, mais lui veut également inventer des vivants. Un roman peut être un ouvrage d’érudition, l’histoire, par nécessité ou par défaut, produit des fictions3. Quant au terme de « littérature », il ne ren- voie pas seulement aux écrivains, il désigne aussi une discipline univer- sitaire, avec ses processus de validation et ses controverses, son rapport à l’institution, des méthodes propres, dont l’objet est l’étude de l’œuvre littéraire, dans ses formes, son histoire, ses mutations, ses corpus. Littérature et histoire : rien de simple dans cette simple coordination4. Comme d’un vieux couple ou de nations ennemies qui se disputent un passé commun, il est difficile de démêler la mémoire et les inten- tions en écoutant seulement apologies et remontrances, de même parler de la littérature avec l’histoire exige que l’on se fraye un chemin à travers les déclarations anciennes, d’amour et de divorce, les appels à la tolérance et les portes claquées, pour découvrir ce qui, peut-être, relève d’un héritage en même temps que d’une responsabilité com- mune. Pourtant, de temps à autre, quelque chose bouge sur la ligne de front ; c’est le cas, semble-t-il, actuellement, où d’une tranchée l’autre, il y a des échanges, des tentatives de conciliations, des fraternisations peut-être. Si ces tentatives sont, depuis une dizaine d’années, plus nombreuses – et aussi plus précises –, c’est sans doute que la littérature, revenue au récit après la parenthèse textuelle du siècle dernier, a renoué explicite- ment avec ce qu’il faut bien appeler les sujets historiques – et cela avec 3. Voir Le Débat : L’histoire saisie par la fiction, no 165, mai-août 2011. 4. Comme nous le verrons, les liens complexes qu’entretiennent la littérature et l’his- toire ont connu un regain d’intérêt ces dernières années. Il est impossible ici de citer tous les travaux récents. Mentionnons toutefois, parmi les œuvres qui ne seront pas directe- ment citées dans ce dossier, le colloque « Littérature et histoire en débats » de janvier 2012, publié sur le site Fabula : <www.fabula.org/colloques/sommaire2076.php> ; « Savoirs de la littérature », Annales. Histoire, sciences sociales, 65e année, no 2, mars-avril 2010 ; Judith Lyon-Caen et Dinah Ribard, L’historien et la littérature, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2010 ; Marie Blaise (dir.), Écritures de l’histoire, Montpellier, Presses universi- taires de la Méditerranée, 2008 ; Marie Blaise et Alain Vaillant (dir.), Lieux littéraires / La Revue : Rythmes. Histoire, littérature, no 2, 2000, réédition numérique, Openbook éditions, 2014, <books.openedition.org/pulm/140> et, à propos des rapports entre littérature, politique et histoire, Sylvie Triaire et Marie Blaise (dir.), De l’absolu littéraire à la relégation : le poète hors les murs, Colloque ANR – Histoire des idées de littérature, Université Paul- Valéry Montpellier III, 16-17 juin 2011, publié sur le site Fabula : <www.fabula.org/col- loques/sommaire2435.php>. 7 présentation la bénédiction de l’institution critique, comme en témoigne la série récente des prix Goncourt. Accordé en 2006 aux Bienveillantes de Jonathan Littell (avec le grand prix du roman de l’Académie), il a été attribué en 2011 à L’art français de la guerre d’Alexis Jenni, en 2012 à Pierre Lemaître pour Au revoir là-haut, qui se passe pendant la Grande Guerre, et en 2014 à Lydie Salvayre pour Pas pleurer qui remémore la guerre d’Espagne. Le nombre de romans « historiques » parus (dont plusieurs ont rencontré le succès sans obtenir de prix) excède très lar- gement, bien entendu, celui des primés. Le succès des Bienveillantes, cependant, a éveillé une double polé- mique. Il a pu sembler d’une part à l’historien que la littérature, venant en quelque sorte se servir dans ses armoires, réussissait mieux à tou- cher un public toujours plus nombreux, et d’autre part que l’histoire, en manque de reconnaissance institutionnelle, ne pouvait finalement aspirer aujourd’hui qu’à devenir toujours plus littéraire. Ce dont témoignait déjà, de manière sans doute plus anecdotique, le dévelop- pement, sur des médias grand public, de ces reportages-fiction (Arte les apprécie particulièrement) où tel soldat romain rejoint l’armée du Rhin en traversant les étranges forêts brumeuses de Germanie ou ces autres (commémorations obligent, ils ont envahi les écrans) qui reconstituent la bataille de Verdun ou les trêves de Noël dans le quo- tidien d’un Poilu amoureux, rêvant au fond d’une tranchée boueuse (dont la reconstitution est souvent impeccable du point de vue de l’historien) sur les lettres d’une fiancée qu’il ne reverra jamais5. Ce que cette mise en récit a de « littéraire », cependant, impose quelque réflexion. Pendant que la littérature, du point de vue institutionnel, à l’univer- sité, récusait l’histoire littéraire et que l’on écrivait des romans textuels, le succès populaire des romans et des séries télévisées historiques (on disait « de cape et d’épée ») ne s’est jamais démenti. L’atteste en France, dans les années 1960, la célèbre série des Angélique, contemporaine des réflexions de Barthes, Genette ou Lacan et bien d’autres feuilletons. Aujourd’hui dans les librairies, le « roman historique » et, plus encore, 5. Les commémorations de la guerre de 14-18 ont été ces dernières années une arène pour les controverses des historiens. Les correspondances des « Poilus » avec l’arrière en ont profité, des éditions ont vu le jour, fruit d’un travail interdisciplinaire entre historiens, littéraires, linguistes. Voir, par exemple, Florence Pellegrini, « Logiques épistolaires », dans Agnès Steuckardt (dir.), Entre village et tranchées. L’écriture de Poilus ordinaires, Uzès, Inclinaison, 2015, p. 101-112. 8 tudes franaises • 53, 3 le « polar historique » (tous deux écrits, parfois, par des historiens) font toujours les meilleures ventes, forçant ainsi certains grands libraires à l’invention de la catégorie étrange de « roman littéraire » pour quali- fier… le roman qui n’est ni policier ni historique – le mot « littéraire » désignant finalement, et seulement par défaut, ce qui reste et non plus l’ensemble, et l’attention du public étant ainsi attirée sur le carac- tère ennuyeux, complexe, élitiste peut-être de la « vraie » littérature. L’histoire, en quelque sorte, dé-littératurise6 donc le roman. Or, bien certainement, l’histoire mise en récits dans les reportages- fiction relève beaucoup plus de cette littérature dé-littératurisée (à tra- vers la simplicité et la dramatisation du récit, le recours à une langue et des formes simples, l’appel à l’identification du spectateur…) que du « roman littéraire ». En elle, l’histoire cherche son public. Mais alors que penser de l’intentionnalité déclarée de certains historiens uploads/Litterature/ blaise-marie-2017-la-litterature-demorasile-t-elle-l-x27-histoire.pdf

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