RÉCIT NATIONAL ET HISTOIRE MONDIALE. COMMENT ÉCRIRE L’HISTOIRE DE FRANCE AU XXI

RÉCIT NATIONAL ET HISTOIRE MONDIALE. COMMENT ÉCRIRE L’HISTOIRE DE FRANCE AU XXIE SIÈCLE ? Patrick Boucheron, Nicolas Delalande Centre d'histoire de Sciences Po | « Histoire@Politique » 2017/1 n° 31 | pages 17 à 26 DOI 10.3917/hp.031.0017 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-histoire-politique-2017-1-page-17.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Centre d'histoire de Sciences Po. © Centre d'histoire de Sciences Po. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. 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À l’évidence oui, et c’est sans doute devenu une urgente obligation politique. Mais la manière de raconter cette histoire ne peut plus être identique à ce que nous faisions auparavant. Les historiennes et les historiens ne sont pas là pour reproduire les récits du passé, comme si aucune recherche ni réflexion méthodologique n’avait eu lieu depuis un siècle. Leur métier est d’écrire l’histoire, donc de la réécrire, et non de la réciter. L’Histoire mondiale de la France (dirigée par Patrick Boucheron et coordonnée par Florian Mazel, Yann Potin, Pierre Singaravélou et Nicolas Delalande) qui vient d’être publiée aux éditions du Seuil et réunit 122 auteurs est une première tentative de réponse — dans le contexte français — à cette interrogation. Une façon pour ce collectif d’historiennes et d’historiens de se ressaisir de ce débat à travers la recherche d’une mise en récit plurivoque, diverse et dépaysante, de l’histoire de France. Car si le genre « Histoire de France » a pu être investi récemment par quelques publicistes sans scrupule, c’est aussi parce qu’il avait été relativement délaissé par l’histoire savante, ou à tout le moins délégitimé comme enjeu épistémologique de l’écriture de l’histoire1. Ce geste éditorial est à la fois un mode d’intervention des historiens dans l’espace public, une modeste contribution aux débats sur l’écriture de l’histoire mondiale ou transnationale des nations, et une tentative d’illustration de l’apport de l’histoire à la vie intellectuelle. Il s’agit donc à la fois de faire œuvre publique, scientifique, et de réfléchir aux liens entre les historiens et leur public. En ce sens, elle est une défense et illustration d’une histoire considérée comme discours engagé et savant. La forme collective même du livre, rassemblant différents textes de spécialistes organisés par dates, peut être considérée à la fois comme un gage de scientificité (parce qu’il est savant, ce discours se doit d’être porté par des historiennes et des historiens légitimes dans l’administration de la preuve) et d’accessibilité (parce qu’il est engagé, ce discours défend l’intelligence collective comme valeur). Histoire populaire et histoire savante : un divorce consommé ? La décennie passée a été marquée par une longue série de polémiques sur l’histoire de France, constamment instrumentalisée dans le débat public et lors des campagnes 1 Le succès public et critique de l’Histoire de France dirigée par Joël Cornette, en collaboration avec Jean-Louis Biget et Henry Rousso, publiée en 13 volumes par les éditions Belin de 2009 à 2012, manifestait déjà une volonté de réconcilier la narration historienne et l’exposé de la méthode. Voir aussi l’Histoire de la France contemporaine publiée au Seuil depuis 2012 sous la direction de Johann Chapoutot, dont certains des volumes intègrent les dimensions transnationales et globales. © Centre d'histoire de Sciences Po | Téléchargé le 27/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 178.199.241.131) © Centre d'histoire de Sciences Po | Téléchargé le 27/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 178.199.241.131) Patrick Boucheron et Nicolas Delalande, « Récit national et histoire mondiale. Comment écrire l’histoire de France au XXIe siècle », Histoire@Politique, n° 31, janvier-avril 2017 [en ligne, www.histoire-politique.fr] 2 électorales, — et ce sera encore très probablement le cas lors des premiers mois de l’année 2017. Les épisodes qui ont rythmé ces polémiques sont trop connus pour que l’on y revienne en détail. De l’instauration d’un ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale en 2007 au projet avorté de création d’un Musée de l’histoire de France, des polémiques sur les programmes scolaires dans la réforme du collège aux propos tenus par François Fillon lors de la campagne électorale en cours, les défenseurs autoproclamés de l’histoire de France n’ont cessé de faire comme si les historiens avaient abandonné leur objet d’études, contribué au délitement social et accéléré la dissolution de la fierté nationale. Dans un contexte d’incertitude et de tensions politiques, l’histoire et les programmes scolaires sont mis au banc des accusés. En s’ouvrant au vaste monde, à de nouvelles thématiques et de nouveaux espaces, aussi bien la recherche que les programmes scolaires auraient sacrifié la nation sur l’autel de l’histoire-monde, précipitant la crise identitaire et le déclin de la France. Ces critiques, maintes fois répétées, reprennent l’antienne des attaques portées depuis les années 1970, autant par ignorance que par malveillance, contre l’école des Annales, accusée d’avoir troqué les structures contre les acteurs, le monde contre la nation, l’analyse contre le récit. La réponse, dès lors, paraît simple : seul un retour au « roman national », tel qu’enseigné à la fin du XIXe siècle ou « réenchanté » par quelques historiens audacieux, permettrait de restaurer le sens de la nation, de défendre le projet assimilationniste et de réduire au silence les communautarismes. Il s’agirait de faire comme si l’histoire n’était pas une science humaine, comme si elle ne s’était pas enrichie et complexifiée au fil du temps, dans le dialogue avec les autres sciences sociales, à travers une meilleure connaissance des historiographies étrangères et la prise en compte d’autres espaces et d’autres temporalités. Là encore, il n’est sans doute guère utile de s’étendre plus avant sur l’inanité d’une vision qui consisterait à répliquer sans fin le « roman national » de la fin du XIXe siècle, qui avait certes sa légitimité et son utilité, mais ne correspond plus à l’état de la recherche et aux attentes de la population française. Inversement, dans la communauté académique, des appels forts et puissants ont été lancés depuis vingt ans pour dénationaliser l’histoire, l’ouvrir à d’autres échelles et mieux comprendre la nature construite, et fragile, des États-nations. La vogue de l’histoire mondiale, mettant l’accent sur des acteurs et des thèmes d’ampleur globale (migrations, environnement, santé publique, finance internationale, etc.), s’est parfois accompagnée d’une critique radicale des États-nations, qui ne sont, il est vrai, que des acteurs historiques récents, affirmés et consolidés à la fin du XIXe siècle. On vit aussi émerger, quoique plus modestement, une critique du « nationalisme méthodologique » et de ses œillères. Des historiens comme Jane Burbank et Frederick Cooper ont ainsi réévalué le rôle des empires et invité à écrire une histoire non téléologique, en soulignant l’aspect contingent et non inéluctable de l’avènement des États-nations contemporains2. Cette perspective rencontrait sur ce point le programme d’ensemble qui consiste à défaire les fatalités téléologiques du devenir historique, faisant droit aux futurs non advenus. S’agit-il pour autant de nier l’importance des réalités nationales ? Nullement. Dans un article de 2014, Kenneth Pomeranz soulignait ainsi que la recherche d’histoires dans un monde « moins national » ne signifiait pas un abandon de la réflexion sur le national, mais sa remise en perspective dans des cadres à la fois plus réduits et plus larges, une réflexion sur sa 2 Jane Burbank, Frederick Cooper, Empires, Paris, Payot, 2011 [2010]. © Centre d'histoire de Sciences Po | Téléchargé le 27/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 178.199.241.131) © Centre d'histoire de Sciences Po | Téléchargé le 27/09/2022 sur www.cairn.info (IP: 178.199.241.131) Patrick Boucheron et Nicolas Delalande, « Récit national et histoire mondiale. Comment écrire l’histoire de France au XXIe siècle », Histoire@Politique, n° 31, janvier-avril 2017 [en ligne, www.histoire-politique.fr] 3 construction et les multiples connexions qui le traversent3. Thomas Bender, l’un des pionniers de la réflexion sur la transnationalisation de l’histoire étatsunienne, le soulignait aussi fortement dans l’ouvrage collectif – et fondateur – de 2002 : il ne s’agissait pas, selon lui, de plaider en faveur d’une « histoire postnationale », mais de mieux comprendre ce que les nations doivent à des processus qui les dépassent, d’être en mesure de les comparer, et surtout de nuancer leur exceptionnalité, en tout cas d’aller au-delà des discours d’autocélébration4. L’approche uploads/Litterature/ boucheron-delalande-histoire-france-au-21e-siecle.pdf

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