Source: Caietele Echinox Echinox Journal Location: Romania Author(s): Rachel Bo
Source: Caietele Echinox Echinox Journal Location: Romania Author(s): Rachel Bouvet Title: L’altérité dans toute sa diversité : registres, logiques, figures Otherness in All Its Diversity: Registers, Logics, Figures Issue: 36/2019 Citation style: Rachel Bouvet. "L’altérité dans toute sa diversité : registres, logiques, figures". Caietele Echinox 36:34-45. https://www.ceeol.com/search/article-detail?id=770073 The Central and Eastern European Online Library The joined archive of hundreds of Central-, East- and South-East-European publishers, research institutes, and various content providers You have downloaded a document from CEEOL copyright 2020 CEEOL copyright 2020 34 Caietele Echinox, 36/ 2019: Imaginaires de l’altérité : Pour une approche anthropologique Otherness in All Its Diversity: Registers, Logics, Figures Abstract: This article aims to distinguish between several registers of otherness: mineral, plant, animal and human. The human being is not only defined in relation to a society, but also more generally in relation to a natural environment, a geographical environment; that is why four registers of otherness are studied here. Two logics of otherness can intervene: binary otherness and the otherness of the boundary. Moreover, otherness can only be seen through figures. Four of them linked to the imaginary of the desert are examined – emptiness, the Nomad, the Anchorite, the Oasis – in several writings of the following authors: Pierre Loti, Isabelle Eberhardt, and Andrée Chedid. Keywords: Otherness; Desert; Literature; Oasis; Pierre Loti; Isabelle Eberhardt; Andrée Chedid. Rachel Bouvet Université du Québec à Montréal (UQAM), Montréal, Québec, Canada bouvet.rachel@uqam.ca DOI: 10.24193/cechinox.2019.36.03 P our pouvoir appréhender l’altérité dans toute sa diversité, il importe de dis- tinguer plusieurs registres, de ne pas res- treindre la réflexion à l’altérité humaine mais d’envisager aussi l’exotisme de la nature, ainsi que le propose Victor Segalen dans son Essai sur l’exotisme1. L’être humain ne se définit pas seulement par rapport à une société, mais aussi de manière plus générale par rapport à un environnement, un milieu géographique. C’est pourquoi il est nécessaire de tenir compte des registres minéral, végétal et animal. L’altérité occa- sionne une tension vers ce qui est autre, elle crée une dynamique au cœur des processus d’écriture et de lecture. Afin de mieux comprendre sa logique, je propose de distinguer l’altérité binaire, basée sur un principe d’opposition et générant une multitude de clichés et de stéréotypes, et l’altérité des frontières, soumise à une force déportant le sujet au-delà de ses limites habituelles, vers une zone d’instabilité sémiotique, à la croisée des cultures. Cette réflexion s’inscrit dans le prolongement des travaux sur l’imaginaire menés au Centre Figura (Centre de recherches sur le texte et l’imaginaire), en particulier ceux de Bertrand Gervais, qui a mis en évidence certaines logiques de l’imaginaire ainsi que Rachel Bouvet L’altérité dans toute sa diversité : registres, logiques, figures CEEOL copyright 2020 CEEOL copyright 2020 35 L’altérité dans toute sa diversité : registres, logiques, figures le surgissement de la figure2. Toutefois, elle investit un autre domaine théorique, celui de l’altérité, en fonction de l’un des pay- sages les plus emblématiques de l’altérité, à savoir le paysage désertique3. Parce qu’il est situé dans les confins et qu’il s’avère à première vue impropre au développe- ment de la vie humaine, le désert apparaît comme un territoire de choix pour exa- miner cette question. L’une des difficultés relatives à l’altérité tient dans le fait qu’elle ne peut être perçue en soi, comme nous le verrons plus tard, mais seulement à travers des figures. J’étudierai celles qui fondent l’imaginaire du désert, à savoir les figures du vide, du nomade, de l’anachorète et de l’oasis, en prenant comme point d’appui certains textes de Pierre Loti, d’Isabelle Eberhardt et d’Andrée Chedid4. Les différents registres de l’altérité L a réflexion sur l’altérité se trouve sou- vent réduite à l’altérité humaine, ce qui n’a en somme rien d’étonnant, puisque la langue elle-même, dans laquelle nous puisons à profusion nos schèmes de pen- sée, nous y invite : « altérité » se définit comme « ce qui est autre », mais le terme « autre » peut tout aussi bien être un adjec- tif qu’un substantif. Quand on dit « un autre », « les autres », on pense d’emblée à des êtres humains, susceptibles de prendre tour à tour la position de sujet et celle de « l’autre ». Doit-on pour autant en déduire que « tout ce qui est autre » est forcément humain ? Cette équivalence un peu trop couramment acceptée mérite d’être remise en question. Selon la définition de l’Encyclopedia Universalis, il y a deux sortes d’altérité : « celle de l’objet qui, dans la connaissance et dans l’action, est l’autre du sujet. Et il y a celle d’autrui qui est également l’autre du sujet, mais comme autre sujet, comme autre moi5 ». Ceci dit, la distinction entre sujet et objet n’est pas suffisante pour rendre compte de la complexité de nos relations avec l’altérité. Il est difficile de mettre sur le même plan le lien de familiarité ou de répulsion qui peut se nouer avec un ani- mal, par exemple, et le rapport aux plantes, ou encore l’immersion dans un environne- ment géographique totalement nouveau, comme le Sahara, la forêt amazonienne ou encore une région volcanique. Au lieu de considérer l’altérité comme une vaste ques- tion philosophique, il est préférable d’in- troduire des nuances, de se tourner vers les « sciences de la vie », qui distinguent les règnes minéral, végétal et animal. Comme le fait remarquer le biologiste Francis Hallé, le végétal a ses propres lois, très éloi- gnées des nôtres : La plante manifeste à notre égard une altérité si totale que la simple identi- fication de ses organes n’est pas chose facile et, à supposer que nous sachions les reconnaître, leur fonction reste hors du domaine de l’évidence. […] La plante se démarque […] totalement du monde animal – celui qui nous est familier – […]. L’altérité des plantes, même si elle nous dérange, n’a-t- elle pas une valeur intrinsèque et ne mérite-t-elle pas qu’on la respecte6 ? Même si la perception du végétal a changé avec l’évolution des connaissances botaniques, il n’en demeure pas moins que la tendance à anthropomorphiser les plantes reste une pratique courante, dont l’enjeu principal consiste à réduire la distance qui CEEOL copyright 2020 CEEOL copyright 2020 36 Rachel Bouvet nous en sépare. Que l’on voie l’homme comme un « roseau pensant » ou comme un chêne aux pieds d’argile, que l’on s’ins- pire d’une « théorie des signatures » pour inférer la valeur médicinale des herbes, que l’on fasse appel à des métaphores humaines pour expliquer la communication entre les arbres, comme dans le livre récemment paru de Peter Wohlleben, La vie secrète des arbres7, dans tous les cas il s’agit de faire de la plante un être à notre image. Cet aveu- glement face aux plantes s’explique en partie par le fait que nous avons tendance à privi- légier deux critères de la vie : le mouvement et l’expression sonore. Il suffit de penser aux signes vitaux : les vagissements du nou- veau-né et ses gesticulations désordonnées sont les plus sûrs indicateurs de la santé humaine. Or, ces deux critères sont absents du registre végétal8. Les plantes évoluent dans le plus grand silence, elles s’enracinent dans le sol. Ne pouvant se déplacer par elles-mêmes, elles ont recours au vent et aux animaux, grâce à des stratagèmes assez surprenants, pour se reproduire. Cette dis- tance entre nous et les plantes, dont nous n’avons même pas conscience le plus sou- vent, nous empêche de concevoir l’altérité radicale de l’univers végétal. Il en va autrement du non vivant, dont l’altérité apparaît beaucoup plus mani- feste. Qu’avons-nous en commun avec les grains de sable, les rochers, les montagnes ? Moins de choses encore qu’avec les plantes, que nous cueillons, cultivons, mangeons, tissons, utilisons pour nous soigner, etc. À force d’assujettir l’environnement à nos besoins, de niveler le sol, de le creuser, de bâtir, nous en sommes venus à prendre pour acquis le milieu dans lequel nous évoluons, à ne plus nous interroger sur son caractère autre. À ces trois registres de la biologie, il faut en ajouter un quatrième : le registre humain, le seul dans lequel l’autre peut changer de position, passer de sujet à autrui, et discourir à son tour. L’altérité étant un concept relationnel, il est nécessaire d’envisager les rapports interpersonnels sous l’angle de la réciprocité, de l’intersubjectivité, de la relation entre soi et les autres, de considérer l’humanité elle-même comme le lieu de la diversité. Ce qui diffère dans ces quatre registres de l’altérité, c’est la nature de l’objet : miné- ral, végétal, animal, humain. En revanche, l’effet produit sur le sujet est similaire dans la mesure où la saisie de l’altérité entraîne dans tous les cas une « perception du Divers », une « sensation d’exotisme », pour reprendre les termes de Victor Segalen9. La sensation d’exotisme U ne manière singulière d’appréhender le monde se manifeste à travers l’œuvre de Segalen, dans laquelle l’altérité occupe une place centrale. Dans son Essai sur l’exo- tisme, recueil de notes prises entre 1908 et 1918, Segalen s’interroge sur les diffé- uploads/Litterature/ bouvet-registrelogiqueetfiguresdealterite 1 .pdf
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- Publié le Sep 14, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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