DNB BLANC Avril 2019 ÉPREUVE DE FRANÇAIS Première par?e : Compréhension et comp

DNB BLANC Avril 2019 ÉPREUVE DE FRANÇAIS Première par?e : Compréhension et compétences d'interpréta?on Grammaire et compétences linguis?ques Corrigé Cet extrait se situe au tout début du livre. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, ayant rejoint la Résistance, Jorge Semprun est arrêté par la Gestapo et déporté au camp de concentra!on de Buchenwald. Il est a&ecté à l'administra!on du travail. Le camp est libéré par les troupes du général Pa*on le 11 avril 1945. Semprun se retrouve alors face à trois o0ciers en uniforme britannique… Ils sont en face de moi, l'œil rond, et je me vois soudain dans ce regard d'e7roi : leur épouvante. Depuis deux ans, je vivais sans visage. Nul miroir, à Buchenwald. Je voyais mon corps, sa maigreur croissante, une fois par semaine, aux douches. Pas de visage, sur ce corps dérisoire1. De la main, parfois, je frôlais une arcade sourcilière, des pomme)es saillantes2, le creux d'une joue. J'aurais pu me procurer un miroir, sans doute. On trouvait n'importe quoi au marché noir du camp, en échange de pain, de tabac, de margarine. Même de la tendresse, à l'occasion. Mais je ne m'intéressais pas à ces détails. Je voyais mon corps, de plus en plus 0ou, sous la douche hebdomadaire. Amaigri mais vivant : le sang circulait encore, rien à craindre. Ça su3rait, ce corps amenuisé3 mais disponible, apte à une survie rêvée, bien que peu probable. La preuve d'ailleurs : je suis là. Ils me regardent, l'œil a7olé, rempli d'horreur. Mes cheveux ras ne peuvent pas être en cause, en être la cause. Jeunes recrues, pe6ts paysans, d'autres encore, portent innocemment le cheveu ras. Banal, ce genre. Ça ne trouble personne, une coupe à zéro. Ça n'a rien d'e7rayant. Ma tenue, alors ? Sans doute a-t-elle de quoi intriguer : une défroque4 disparate5. Mais je chausse des bo)es russes, en cuir souple. J'ai une mitraille)e allemande en travers de la poitrine, signe évident d'autorité par les temps qui courent. Ça n'e7raie pas, l'autorité, ça rassure plutôt. Ma maigreur ? Ils ont dû voir pire, déjà. S'ils suivent les armées alliées qui s'enfoncent en Allemagne, ce printemps, ils ont déjà vu pire. D'autres camps, des cadavres vivants. Ça peut surprendre, intriguer, ces détails : mes cheveux ras, mes hardes6 disparates. Mais ils ne sont pas surpris, ni intrigués. C'est de l'épouvante que je lis dans leurs yeux. Il ne reste que mon regard, j'en conclus, qui puisse autant les intriguer. C'est l'horreur de mon regard que révèle le leur, horriAé. Si leurs yeux sont un miroir, enAn, je dois avoir un regard fou, dévasté. Jorge Semprun, L'Écriture ou la vie, édi6ons Gallimard, 1994 1 Dérisoire : maigre, insigniAant. 2 Saillantes : qui ressortent, qui forment un relief. 3 Amenuisé : amaigri. 4 Défroque : tenue composée de vieux vêtements usagés. 5 Disparate : sans harmonie, hétéroclite. 6 Hardes : vêtements pauvres, usagés. 5 10 15 20 TRAVAIL SUR LE TEXTE LITTÉRAIRE ET L'IMAGE (50 points) Compréhension et compétences d'interpréta?on (32 points) 1. Où et quand se déroule la scène ? Jus6Aez votre réponse en vous appuyant sur trois éléments précis du texte et du paratexte. (4 points) La scène se déroule « à Buchenwald » (l. 2), dans le « camp de concentra4on » nazi (introduc6on), lors de sa libéra6on par les Alliés « le 11 avril 1945 » (introduc6on). Outre le complément circonstanciel de la ligne 2, les détails qui laissent entendre que la scène se déroule dans le camp sont l'indica6on « au marché noir du camp » (l. 5), la men6on de la « douche hebdomadaire » (l. 8), les nota6ons évoquant l'extrême maigreur du narrateur, ses « cheveux ras » (l. 20), ainsi que l'évoca6on de son habillement (des « hardes disparates », l. 20). La présence des o3ciers britanniques, leur réac6on d' « horreur » (l. 12, 22) et même d' « épouvante » (l. 1, 21), quant à elles, indiquent que c'est, sinon la première fois, du moins la fois la plus pénible qu'ils sont confrontés à des prisonniers des camps : on se situe donc au moment de la libéra6on de ce camp — et l'on sait, de source historique, que le camp de Buchenwald, dans sa concep6on même, fut l'un de ceux qui alla le plus loin dans l'horreur. 2. a. Lignes 1 à 6 : à quelle personne la narra6on est-elle faite ? À quels temps ? Quelles sont les valeurs de ces temps ? (2,5 points) La narra6on est faite à la 1ère personne (pronoms « moi » et « je », l. 1). Le narrateur u6lise principalement : • le présent de narra?on (« ils sont en face de moi », « je me vois »…), pour évoquer la libéra6on du camp et la réac6on des o3ciers face à son état ; • l'imparfait d'habitude (« Depuis deux ans, je vivais… » ; « je voyais mon corps une fois par semaine… ») et de descrip?on (« On trouvait n'importe quoi au marché noir du camp »), pour évoquer sa vie depuis qu'il est arrivé dans le camp. b. À quel genre li)éraire se ra)ache ce texte ? Jus6Aez votre réponse. (1,5 points) Ce texte se ra)ache au genre autobiographique : • le récit est mené à la 1ère personne, • l'introduc6on établit une iden6té entre le narrateur (« je ») et l'auteur (Jorge Semprun), • et c'est bien sur l'expérience vécue par cet auteur / narrateur (vie dans les camps, dégrada6on de son état physique, choc des o3ciers britanniques qui le découvrent) que le texte met l'accent. 3. Lignes 2 à 6 : dans quel état physique se trouve le narrateur ? Détaillez votre réponse en vous appuyant sur des éléments précis. (4 points) Physiquement, le narrateur est extrêmement amaigri. Nous l'apprenons par la nota6on ini6ale (« mon corps, sa maigreur croissante »), puis par une série de détails évoqués sans ordre : • « ce corps dérisoire » (l. 3) : « dérisoire », entre autres parce que trop maigre ; • « une arcade sourcillière » (l. 4) • « des pomme*es saillantes » (l. 4) • « le creux d'une joue » (l. 4) De son visage, il ne reste que des reliefs osseux, ou des creux, qui ne semblent plus former un tout cohérent. L'expression « pas de visage » (l. 3) invite au ques6onnement : est-ce une référence au processus de déshumanisa6on à l'œuvre dans le camp de concentra6on ? le narrateur considère-t-il qu'il n'a « pas de visage » parce que la maigreur en a fait disparaître ce qui en faisait l'individualité, la singularité ? 4. « Pas de visage, sur ce corps dérisoire » (l. 3) : analysez la construc6on gramma6cale de ce)e phrase. Comment la comprenez-vous ? Expliquez l'e7et produit sur le lecteur en vous appuyant sur des détails précis du paragraphe. (6 points) Il s'agit d'une phrase sans verbe (on peut dire non-verbale ou, à l'ancienne, nominale), formée de la juxtaposi6on de la néga6on du visage (« Pas de visage ») et d'un complément circonstanciel de lieu soulignant l'extrême maigreur, presque la légèreté du corps (« dérisoire ») qui supporte ce)e absence de visage. Le narrateur n'a « pas de visage », d'une part parce que du fait de sa maigreur, son visage a perdu toute individualité, voire même toute humanité ; d'autre part, parce que le visage, l'individualité, ne se construisent que dans le regard — or depuis son entrée dans le camp, le narrateur, qui n'a plus accès à aucun miroir, ne peut plus se regarder. Le morcellement mis en valeur par la juxtaposi6on et l'absence de verbe correspond à la fragmenta6on, et à la dispari6on, de l'iden6té : on retrouve ce)e fragmenta6on dans la série de détails évoquant les par6es de son visage qu'il peut toucher, osseuses ou creuses : «arcade sourcillière », « pomme*es saillantes », « creux d'une joue ». Dans ce)e accumula6on désordonnée, le narrateur donne une nouvelle fois à voir le morcellement, la disloca6on de son iden6té. 5. a. Comment les personnages désignés par « ils » perçoivent-ils le narrateur ? Jus6Aez votre réponse par deux éléments précis du texte. (2 points) Les trois o3ciers désignés par le pronom « ils » perçoivent le narrateur avec stupéfac?on (« l'œil rond », l. 1), a>olement (« l'œil a&olé », l. 12) « e?roi » (l. 1), « horreur » (l. 12) et « épouvante » (l. 1). b. Qui regarde qui ? (1 point) Le narrateur regarde les o3ciers, qui lui rendent son regard avec « épouvante » (l. 1). c. Analysez la dernière phrase du texte. Quelles in0uences les personnages exercent-ils les uns sur les autres ? (2 points) La dernière phrase du texte est : « Si leurs yeux sont un miroir, en$n, je dois avoir un regard fou, dévasté. » Dans ce)e phrase, le narrateur retrouve, dans le regard des trois o3ciers, le « miroir » qui lui manque depuis son arrivée dans le camp, dans le sens où la réac6on d' « épouvante » contenue dans uploads/Litterature/ brevet-blanc-jorge-semprun-corrige-le-ger-v2.pdf

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