Romantisme Jean-Marie Gleize, Poésie et figuration M Jean-Luc Steinmetz Citer c

Romantisme Jean-Marie Gleize, Poésie et figuration M Jean-Luc Steinmetz Citer ce document / Cite this document : Steinmetz Jean-Luc. Jean-Marie Gleize, Poésie et figuration. In: Romantisme, 1986, n°54. Être artiste. pp. 121-122; http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1986_num_16_54_5726 Document généré le 26/05/2016 Commentaires et notes critiques 121 (9) Lors de l'exposition internationale du surréalisme en 1947, un autel était dressé à ce mystérieux personnage de Dévotion (dans Illuminations). (10) Une lecture remarquable de ces pages a été proposée par Marie-Claire Bancquart lors du colloque sur le surréalisme de Grenoble (1975), plus tard publié par les Presses Universitaires de Grenoble, 1978. Jean-Marie Gleize, Poésie et Figuration, coll. « Pierres vives », éd. du Seuil, 1983, 319 p. Chaque année, suivant en cela des programmes bien adaptés aux demandes, les grandes maisons d'édition, j'entends celles pour qui la vente est l'objectif essentiel, sortent des « histoires de », des histoires de la poésie, par exemple. Et l'on est emporté, comme à la chaîne, sur le tapis roulant de monotones nomenclatures et de frigides banalités. Avec Poésie et Figuration, Jean-Marie Gleize n'a assurément pas fait une histoire de la poésie. Il compose, en revanche, un essai d'une rare intelligence, d'une extrême sensibilité où se trouve posé le problème d'une histoire de la poésie « à découvrir ». Tel est le propos principal qui cependant ici ne se désigne qu'à l'horizon d'un volume où sont d'abord portés sous les yeux du lecteur des exemples de ce qu'elle pourrait être. L'ambition de Gleize est résolument moderne. Elle se situe à partir de certaines expériences-limites de notre temps ; ces expériences (celles de Francis Ponge, de Denis Roche) ont été par lui parfaitement assimilées, repensées dans leur mouvement perpétuel, et elles n'aboutissent pas à des prises de position terroristes, de ce vieux et misérable terrorisme qui a fait long feu et pour lequel l'Histoire (qu'on affublera cette fois d'une majuscule) ouvre toutes grandes ses vénérables poubelles. Par delà ou en dépit de «la» poésie, J.-M. Gleize qui affirme avec prudence tout ce qu'il dit et scrute la validité des notions et des concepts, constate qu'une sorte d'avancée se fait. Le terme est plusieurs fois utilisé par lui, mais il n'est visiblement pas à mettre au crédit d'une vision progressive ou progressiste du temps, ni même rattaché aux vastes courants idéologiques qui parcourent aussi la littérature. Certes, Gleize n'ignore pas qu'on ne peut remiser aussi facilement les écoles, les mouvements ; mais il remarque surtout que dans cette opération singulière qui a nom «poésie» et qui relève d'un faire, on voit un certain nombre de « sujets » (des hommes d'écriture) à tel ou tel moment conscients du processus dans lequel ils œuvrent, conscients de ce qui les précéda, conscients non moins de la trace qu'ils effectuent et qui prend dès lors pour eux valeur d'opposition ou de contradiction. Il souhaite nous montrer non plus la suite impeccable d'une Poésie se transformant au gré des âges et de façon quelque peu mystérieuse, irrationnelle, mais le travail en cours qui s'est produit chez certains poètes, dans leur prise à partie du concept de « poésie » même, dans leur « lutte et rature» contre des états d'écriture, dans la nécessité qui se fit jour à travers eux d'un «nouveau» («il faut être résolument moderne», Rimbaud) ou d'un radicalement autre. Gleize en ce point aurait pu convoquer l'exemple, certes restreint (il ne s'agit peut-être que d'une apparence), de Georges Bataille assurant dans L 'Orestie qu'il faut s'en prendre à la « belle poésie » qui n'est que poésie pour atteindre un état de langue où se révélerait alors cette dépense en pure perte, « éclat aveuglant d'un soleil», qu'il projette dans L'Archangélique. La thèse de Gleize prend le risque de croire à quelque en-avant ; elle a le mérite de bien préciser qu'il ne saurait être question d'un mieux. Eliot n'est pas supérieur à Dante. Pour éviter le piège essentialiste, il ne précise pas davantage en quoi consiste « la » poésie ; mais il nous soumet une réponse au fil des différentes « pratiques » qu'il observe avec une très grande finesse. Refusant d'envisager une «histoire» linéaire ou althussérienne (cette dernière donnant à la « rupture » épisté- mologique une importance excessive), il repère très sûrement, à l'intérieur de plusieurs types d'écritures, à la fois une position critique et une réalisation, celle-ci pouvant d'ailleurs fort bien constituer à elle seule le lieu où, en acte, se produit une «critique», s'indique par opposition, ironie, jeux serrés d'une dialectique signifiante, un change efficace du poème. En ce sens, son ouvrage est irremplaçable, car il part d'une décision claire, démontrable, d'une idée juste, exposant, comme sur une épure, cette machinerie complexe qui fait que l'écriture ce n'est jamais dire, mais comment dire et, de fait, comment figurer cette « volonté de dire » qui happe chacun de nous, mais qui ne peut passer que grâce à ce que j'appellerai le filtre grammatique. A travers huit exemples (Lamartine, Hugo, Corbière, Rimbaud, Artaud, Ponge, Guillevic, Denis Roche) parfaitement scandés (et où, pour ma part, je serais tenté de penser que, en dépit des différences, la même chose (se) produit), l'aventure de la trace, au plus près du Trieb freudien (quand le style se conjoint à la pulsion) apparaît. Au fur et à mesure que nous lisons les poèmes précis que Gleize a choisis (les analysant d'une main de maître formé à la voix de l'hystérique !), nous nous apercevons que « la » poésie s'est presque toujours marquée dans un affrontement, une traversée prenant le langage et le sujet en écharpe. Elle ne serait plus alors la reconquête d'une parole amniotique originelle, mais une effectuation prenant des objets pour se représenter. Sur cette figuration, J.-M. Gleize s'est interrogé, focalisant son propos sur deux axes : le moi, le paysage, et constatant qu'au XIXe siècle l'espace et le moi se sont déstabilisés au point d'éclater dans nos pratiques contemporaines. 122 Commentaires et notes critiques L'une des plus riches interventions du livre est celle qui le débute: une lecture du Lac de Lamartine considéré comme « geste augurai, inaugural», créant une «chambre d'échos» propre à faire résonner le sujet, au delà de tout souci psychologique, dans son émotion même. Mais on sera également convaincu par une juste réhabilitation de Tristan Corbière dont ici la pratique est observée non plus comme expression d'un tempérament frondeur, mais comme «mise à la question» du lyrisme romantique, un lyrisme perceptible malgré tout, sous l'anicroche et l'acrostiche d'un style tourmenté. On retiendra maintes propositions sur Rimbaud qui voient dans les Illuminations un mouvement giratoire entraînant les images, le vocabulaire, déplaçant vers un apex le sujet constellé. Mais c'est dans les réflexions sur les poètes de notre époque que Gleize atteint une précision toute parée de beauté. Certaines pages sur Artaud entrent en résonance avec le texte, participent du tournoiement des tournesols du Van Gogh ou de l'accouchement d'un sujet toujours menacé par d'effroyables magies. De la même façon, Francis Ponge donne lieu à un très juste commentaire sur la «formulation en acte», cette venue de la parole à l'écriture qui est tout aussi décisive chez l'auteur du Parti pris des choses que le fameux choix d'un objet où trop souvent on borna sa pratique, comme si Ponge avec le Galet fabriquait de nouveaux «émaux et camées ». Gleize insiste en fin de parcours sur ce qu'il nomme une «poésie réaliste». Ce terme ne va pas sans gêne pour tous les échecs qu'il évoque, quand bien même les toiles de Courbet pouvaient réjouir Baudelaire. Cependant, il montre bien que « la » poésie dans certains cas a pu se donner soit au réel extérieur (dans sa minimalité) — et c'est Guillevic — , soit à la matérialité même que constituent la feuille imprimée, les signes typographiques. Les cent dernières pages consacrées à Denis Roche proposent une démonstration serrée de ce qui travaille Le Mécrit ou Notre Antéfixe. Elles sont une introduction désormais nécessaire à la poésie moderne, puisqu'elles prennent ainsi définitivement la mesure d'un «geste» (rejoignant celui de Lamartine) incontournable et qui n'est pas négation de la poésie, comme certains l'ont cru, mais bien négation de cette négation, « au-delà du principe d'écriture ». On s'en sera douté, Poésie et Figuration n'est pas un simple livre de critique littéraire, même si la critique ne peut que s'en honorer. Il est la manifestation — presque le manifeste — d'un véritable écrivain, prenant parti pour son époque et distinguant dans celle-ci ce qui la transforme de ce qui la momifie. Opposant à une poésie de l'invocation une poésie qui « révoque », il substitue le courant de la force à l'idolâtrie de la forme. On attend désormais les suites de cet essai si remarquable et, dessus tout, l'instant où Jean-Marie Gleize tentera de nous dire ce qu'est cette mobile permanence (dont il a noté quelques variables) : la poésie, celle, avec ou sans guillemets, qui, levant tout obstacle, nous approche au mieux de l'impossible dont nous sommes aussi faits. Jean-Luc Steinmetz Alain Borer, Rimbaud en Abyssinie, collection « uploads/Litterature/ jean-marie-gleize-poesie-et-figuration.pdf

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