Kernos Revue internationale et pluridisciplinaire de religion grecque antique 3

Kernos Revue internationale et pluridisciplinaire de religion grecque antique 3 | 1990 Varia L’oracle d’Apollon dans la Vie de Plotin par Porphyre Luc Brisson Édition électronique URL : http://journals.openedition.org/kernos/972 DOI : 10.4000/kernos.972 ISSN : 2034-7871 Éditeur Centre international d'étude de la religion grecque antique Édition imprimée Date de publication : 1 janvier 1990 Pagination : 77-88 ISSN : 0776-3824 Référence électronique Luc Brisson, « L’oracle d’Apollon dans la Vie de Plotin par Porphyre », Kernos [En ligne], 3 | 1990, mis en ligne le 19 avril 2011, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/kernos/972 ; DOI : 10.4000/kernos.972 Kernos L'ORACLE D'APOLLON DANS LA VIE DE PLOTIN PAR PORPHYRE Le titre complet de l'introduction que Porphyre met en tête des Ennéades, qu'il «édite» en 300/301 ap. J.-C., est le suivant: Sur la vie de Plotin et le classement de ses livres. L'ouvrage se décompose effectivement en deux parties d'inégale longueur: les chapitres 1 à 23 portent sur la vie de Plotin, alors que les chapitres 24 à 26 parlent du classement de ses livres. À la fin de la première partie, Porphyre invoque les témoignages de deux êtres humains qui ont connu Plotin et apprécié son œuvre : Amélius et Longin, et celui d'un dieu, Apollon, qui, consulté par Amélius, aurait rendu sur Plotin un long Oraclel. Porphyre ne laisse aucun doute sur le fait qu'il considère l'Oracle d'Apollon comme un témoignage, puisque, avant de citer cet Oracle, il écrit : «Mais pourquoi dirais-je ces mots sur le chêne ou la pierre ?», comme le dit Hésiode2. Car s'il faut en appeler aux témoignages ('taîç Ilap'tuptatç) rendus par les savants, qui serait plus savant qu'un dieu, oui qu'un dieu qui a dit de façon véridique: «Je sais, moi, le nombre des grains de sable et les mesures de la mer; le muet, je le comprends et, celui qui ne parle pas, je l'entends» ? (V.P. 22, 1-7)3 1 2 3 Cet article doit beaucoup au travail effectué par l'Équipe de Recherche 76 «Histoire des Doctrines de la fin de l'Antiquité et du Haut Moyen Âge» (dirigée d'abord par Jean Pépin, puis par D. O'Brien) dans le cadre du C.N.R.S., depuis plus de dix ans. Ces travaux ont donné lieu à un ouvrage intitulé; PORPHYRE, La Vie de Plotin, tome l, Travaux préliminaires et index grec complet, par Luc BRISSON, Marie-Odile GOULET-CAZÉ, Richard GOULET et Denis O'BRIEN, Paris, Vrin, 1982 (cet ouvrage sera cité par la suite sous le sigle PVP 1). Expression proverbiale qu'on retrouve chez HÉSIODE (Théogonie, 35) et chez HOMÈRE (Il., XXII, 126 ; Od., XIX, 163), et que cite PLATON dans l'Apologie (34d). Dans le De abstinentia (II, 5 [= Théophraste]; IV, 2 [= DicéarqueD, POR- PHYRE cite un proverbe apparenté. Il est pratiquement impossible d'expliquer cette expression. Pour l'arrière-plan mythologique, cf. Y. VADÉ, Sur la maternité du chêneet de la pierre, in RHR, 191 (1977), p. 3-41. Crésus, qui, raconte HÉRODOTE (l, 46-49, la réponse de l'Apollon de Delphes se trouve en 47), voulait consulter les dieux au sujet de la guerre contre les Perses, décida d'éprouver au préalable les oracles des Grecs, en leur faisant deviner ce 78 L. BRISSON Porphyre présente l'Oracle d'Apollon en suivant le schéma tripartite qu'il applique systématiquement dans son ouvrage Sur la philosophie qu'on tire des oracles4 : a) présentation de l'Oracle sous forme d'apophtegme (V.P., 22, 1- 12); b) citation textuelle de l'Oracle CV.P., 22, 13-63); c) commentaire faisant ressortir l'essentiel de l'enseignement de l'Oracle (V.P., 23). Reprenons étape par étape la démarche de Porphyre. Porphyre reste très discret sur les circonstances dans lesquelles fut proféré cet Oracle: «Tandis qu'Amélius lui demandait où était allée l'âme de Plotin, ce même Apollon, qui, à propos de Socrate, s'était borné à dire: «De tous les hommes, Socrate est le plus savant», a prononcé sur Plotin un oracle qui compte un grand nombre de vers, qui est d'une grande beauté, et que je t'invite à écouter...» (V.P., 22, 8-12)5. Cela dit, Porphyre cite un oracle qui comprend 51 hexamètres dactyliques. D'un point de vue purement littéraire, le poème suit un plan très rigoureux et très élaboré, qui présente une structure en miroir, où, à chaque partie, répond en ordre inverse une autre partie: A. Prélude (13-19) -objet de l'hymne (13-15) -invocation aux Muses (16-19) B. Ordre de départ donné au chœur (20-22) C. Interpellation hymnique initiale : exposé du thème général «autrefois» \ «maintenant» (23-30) D. Autrefois (31-44) 4 5 qu'il ferait un jour déterminé à l'avance. Aussitôt que les envoyés de Crésus, arrivés à Delphes, eurent pénétré dans le temple pour consulter le dieu, la Py- thie, proféra cinq hexamètres, dont les deux premiers, d'allure gnomique, expriment en termes généraux et imagés l'omniscience d'Apollon, sont ici cités. Sur ces vers, cf. R. CRAHAY, La littérature oraculaire chez Hérodote, Paris, 1956, p.193-197. PORPHYRII de philosophia ex oraculis haurienda librorum reliquiae, ed. G. WOLFF, Berlin, Springer, 1856; reprint Hildesheim, O1ms, 1962. Cf. John J. O'MEARA, Porphyry's Philosophy (rom Oracles in Augustine, Paris, Études Augustiniennes, 1959. Je reprends le schéma proposé par R. GOULET, «L'Oracle d'Apollon dans la Vie de Plotin», in PVP l, 1982, p. 378-379. L'oracle rendu sur Socrate à la demande de Chéréphon est cité ici sous une forme métrique tardive que l'on rencontre chez DIOGÈNE LAËRCE (II, 37). La forme la plus ancienne de la réponse se trouve bien évidemment dans l'Apologie de Socrate (21a). À la question: «Y a-t-il quelqu'un de plus savant que Socrate ?» l'oracle se contente de répondre «Personne». -Plotin a pu contempler plusieurs fois l'Un (31-34) -les dieux l'y ont aidé (35-39) -cette expérience n'est pas à la portée de tous les philosophes (40-44) D'. Maintenant (45-58a) C'. Interpellation finale: rappel du double thème (58b- 60) B'. Ordre d'arrêt donné au chœur (61-62a) A'. Conclusion (62b-63)6 Voici une traduction du poème en son entier. Cette traduction, il faut le préciser, se veut tout à fait explicite. Le poème y perd un peu du mystère que lui confèrent une expression elliptique et la formulation énigma- tique de plusieurs vers; mais son sens devient évident et ses intentions, plus claires. 13 15 6 «Immortels sont les accords que, sur ma phorminx, je forme, en guise de prélude, pour tisser le lé d'un chant en l'honneur d'un ami bienveillant avec les sons plus suaves que le miel que je tire de ma pieuse cithare sous les coups du plectre d'or. Je convoque aussi les Muses: qu'elles fassent entendre leur voix consonnante qu'accompagnent une musique d'une grande variété et la parfaite harmonie de leurs élans; ainsi firent-elles, lorsque, invitées à former un chœur en l'honneur du petit-fils d'Éaque (= Achille), elles provoquèrent cette folie qu'accordent les immortels et permirent à Homère de composer ses chants. Allez ! chœur sacré des Muses, faisons retentir nos voix pour inspirer un chant qui, du début à la fin, forme un tout unifié; car je suis au milieu de vous, moi, Phoibos à l'épaisse chevelure. Démon, toi qui auparavant étais un homme, mais qui maintenant d'un démon as rejoint le sort plus divin, après avoir défait le lien de la Nécessité qui enchaîne les hommes et après avoir, de tes membres, quitté le vacarme retentissant, tu as nagé de toutes les forces de ton cœur vers les rives d'un promontoire inébranlable, t'éloignant à la hâte du peuple des scélérats, Ce plan reprend pour l'essentiel celui proposé par R. GOULET: «L'Oracle d'Apollon dans la Vie de Plotin», in PVP l, 1982, p. 393. Je me suis contenté de donner un titre à chacune des trois variations que développe la partie D. 80 L.BRffiSON pour te fixer sur la route bien incurvée que suit une âme pure, là où irradie l'éclat du divin, là où règnent les lois, 30 en un (lieu) pur, loin de la scélératesse qui méprise les lois. Même alors, quand tu bondissais pour échapper au flot amer d'une vie assoiffée de sang et secouée par des tourbillons qui donnent la nausée au milieu d'une agitation et d'un tumulte dépassant toute attente, souvent les bienheureux te firent apparaître le but comme tout proche. 35 Souvent les rayons de ton intellect, qui, sur des sentiers obliques, se laissaient emporter par leurs propres élans, les immortels les ont relevés pour les placer sur une trajectoire correcte, qui suit les révolutions d'une route immortelle et ils ont accordé un épais faisceau de lumière à tes yeux, pour leur permettre de voir en dépit de l'obscurité profonde. 40 Même le doux sommeil de tes paupières ne te tenait pas complètement. En tout cas, quand, de tes paupières, tu as fait choir la lourde barre de brouillard, tu as, alors même que tu étais emporté dans des tourbillons, vu de tes yeux beaucoup de choses belles qu'aucun être humain n'arrive à contempler facilement, même s'il est du nombre de ceux qui aspirent au savoir. 45 Maintenant donc que tu as démonté la tente, et que tu as quitté le tombeau où était enfermée ton âme qui est un démon, déjà tu te meus dans l'assemblée des démons, uploads/Litterature/ brisson-l-x27-oracle-d-x27-apollon-dans-la-vie-de-plotin-par-porphyre.pdf

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