Bruno Bioul : naissance de Jean Baptiste et Nativité du Christ (extrait des Eva

Bruno Bioul : naissance de Jean Baptiste et Nativité du Christ (extrait des Evangiles à l’épreuve de l’histoire) La simple lecture des Évangiles suffit pour noter qu’ils ne disent pas en quelle saison ou à quel mois est né Jésus. En revanche, Jean (18,28 ; 19,14) rapporte qu’il mourut la veille de la Pâque, fête qui, dans le calendrier hébraïque, se célébrait au mois de nisân (mars/avril). Comme nous allons le voir, les premiers chrétiens se sont assez peu préoccupés de fixer une date pour célébrer la naissance de Jésus, privilégiant plutôt la commémoration de sa mort et de sa résurrection. Néanmoins, dès la fin du IIe siècle, certains d’entre eux s’attachèrent à fixer la date de la mort de Jésus au 25 mars, c’est-à-dire le même jour que l’Annonciation (et sa conception) et, par conséquent, en conclurent qu’il était né neuf mois plus tard, le 25 décembre1. L’examen combiné de l’évangile selon saint Luc et des sources textuelles juives et chrétiennes permet de considérer que le récit de la Nativité est, dans toutes ses composantes, tout à fait vraisemblable. L’évangile de Luc débute donc par ces deux événements que sont la naissance de Jean Baptiste et celle de Jésus (Lc 1,5 ; 2,20), en donnant des informations à caractère historique qui doivent être traitées de concert, car comme nous allons le constater, leur enchaînement prend beaucoup plus de relief quand on les insère dans une trame spatio-chronologique plus large qui en fait un récit tout à fait crédible. Tout se passe « aux jours d’Hérode » (Lc I, 5). Nous sommes donc à la fin du Ier siècle av. J.-C. : le règne d’Hérode le Grand (40-4 av. J.-C.) s’achève dans la brutalité et le sang, la maladie terrible du souverain ne faisant qu’exacerber son ressentiment envers ses adversaires, notamment les pharisiens2. Luc commence son évangile en parlant de la naissance de Jean Baptiste3. Ce dernier est le fils de Zacharie, un prêtre de la classe d’Abia, et d’Élisabeth, une descendante d’Aaron, le frère de Moïse. Zacharie officiait dans le grand Temple de Jérusalem où chacune des 24 classes assurait le 1 Les chrétiens d’Orient fixèrent la date de la conception et de la mort de Jésus le 6 avril, alors que les Occidentaux l’établirent au 25 mars, car ils suivaient un calendrier légèrement différent. Neuf mois plus tard, c’est le 6 janvier (fête de l’Épiphanie) ou le 25 décembre (fête de la Nativité). Voir W. Tighe, 2003. Cette idée de lier le jour de la naissance à celui de la mort d’un grand prophète est une pratique que l’on trouve dans le christianisme primitif. Mais s’enracine-t-elle dans le judaïsme ? Il appert que certains Juifs des Ier-IIIe s. estimaient que quelques hommes saints, tel Moïse par exemple, avaient vécu selon un cycle annuel complet, c’est-à-dire qu’ils étaient nés et morts le même jour (Talmud de Babylone, b. Kiddushin 1:9, 2.9.A-B ; b. Rosh Hashanah 10b–11a.) : c’est ce que l’on appelle « l’âge intégral ». Cette hypothèse reste cependant ouverte. 2 Chr.-G. SCHWENTZEL, 2011, notamment les p. 81-83. Voir également l’étude de Sylvie CHABERT D’HYÉRES, « L’évangile de Luc et les Actes des apôtres selon le Codex Bezae Cantabrigensis », et son site Internet « codexbezae. perso.sfr.fr » Il existe une incertitude quant à l’année de la mort d’Hérode : 4,2 voire 1 av. J.-C. Cette incertitude est renforcée par les témoignages des auteurs chrétiens anciens qui, à l’exception de Sulpitius Severus (vers 360-425) Chronique 2,27 qui situe la naissance de Jésus en 4 av. J.-C., datent l’Incarnation de 3 av. J.-C. [Tertullien (vers 197), Adversus Judaeos 8,11 ; Irénée (vers 170-180), Adversus Haereses 3 21-3 ; Clément d’Alexandrie (vers 210-220), Stromates 1,21 ; Eusèbe de Césarée (vers 320-340), Hist. Eccl. 1,5-2) ; Jérôme (vers 380-400), Commentaire sur Isaïe] ou de 2 av. J.-C. [Hippolyte de Rome (en 204), Commentaire sur le livre du prophète Daniel 9,27l ; Épiphane de Salamine (vers 374-377), Panarion 20,2 ; Orose (vers 410-420), Histoires, contre les païens 6,22-1, 7,2-14 et 3-1 ; Malalas (vers 565575), Chronographia Ioannis Malalae]. 3 Son existence est attestée par les mêmes sources qui mentionnent Jésus : Flavius Josèphe (AJ 18,5, 116-117) et les Évangiles, et pourtant personne ne la remet en cause contrairement à celle de Jésus… service deux fois par an4, pendant une semaine, de sabbat à sabbat5. Cette répartition des tours de service au Temple établie par David était toujours en vigueur sous le règne d’Hérode, et c’est pourquoi Luc se sert de cette donnée pour situer la naissance de Jean Baptiste. La classe de Zacharie commençait son service au Temple la première partie du troisième mois, c’est-à-dire le mois de sivân (mai/juin) – le premier mois de l’année étant celui de nisân (mars/avril) selon le calendrier biblique (Ex 12,2) – et la seconde partie du huitième mois, celui de marheshvân (octobre/novembre). Mais cette rotation se faisait sur six ans pour permettre aux 24 classes d’assumer le même nombre de semaines de garde. Par conséquent, les tours de garde ne tombaient jamais la même semaine ni le même mois d’une année sur l’autre au cours de ce cycle. C’est donc lors de son service au Temple que Zacharie voit l’ange Gabriel qui lui annonce qu’Élisabeth va être enceinte et donner naissance à un fils qui s’appellera Jean, prénom qui signifie « l’Eternel (YHWH) est favorable ». Au sixième mois à dater de la conception de Jean Baptiste, l’ange Gabriel est « envoyé par Dieu dans une ville de Galilée, du nom de Nazareth, à une vierge fiancée à un homme du nom de Joseph, de la maison de David ; et le nom de la vierge était Marie » (Lc 1,26-27). Marie est donc enceinte six mois après sa parente. Si nous considérons que le décompte se fait à partir du mois de sivân, nous sommes alors au mois de kisleu (novembre/décembre) ; s’il s’agit plutôt du mois de marheshvân, nous nous trouvons alors au mois de Iyyâr (avril/mai). Arrivée à son terme, Élisabeth met au monde son fils, Jean, soit au mois de adar (février/mars) soit au mois de ab (juillet/août). Et Marie six mois plus tard, c’est-à-dire durant le mois de elul (août/septembre) ou au cours de celui de shebat (janvier/février). A priori, il n’y a aucun rapport avec le mois de décembre pour célébrer la Nativité. Qu’en est-il vraiment ? En 1995, les savants Shemaryahu Talmon et Israel Knohl publient une étude portant sur un calendrier liturgique solaire découvert dans la grotte 4 près de Qumrân (4Q321-321a) qui est, pour l’essentiel, identique à celui que l’on trouve dans le premier Livre d’Hénoch (72-82) ou dans celui des Jubilées (chap. 2 et chap. 6)6. L’année tropique comporte 364 jours répartis en huit mois de trente jours, et quatre mois (le 3e, le 6e, le 9e et le 12e) de trente et un jours. Les douze mois sont organisés en quatre triades, et l’année est divisée en 52 semaines. Ce calendrier est articulé autour d’un cycle de six ans. Or, on y trouve incontestablement les dates du service au Temple que les prêtres des 24 classes assuraient, à tour de rôle et pendant une semaine, et cela encore au temps de la naissance de Jean Baptiste et de Jésus puisque les deux savants israéliens datent ce calendrier des années 50-25 av. J.-C. Puis en 2001, Shemaryahu Talmon publie d’autres calendriers « qumrâniens » qui permettent d’affiner le cycle de rotation des prêtres-sacrificateurs du grand Temple. On découvre, grâce au fragment 4Q328 Fa, que la classe d’Abia était en charge au grand Temple au cours du troisième trimestre de la troisième année du cycle de six ans, ce qui place son service en septembre, pendant le mois de tishri 4 L’année juive est un ensemble de mois lunaires de 354 jours. Elle fait 12 mois, mais compte 11 jours de moins que l’année tropique (ou solaire). Afin de synchroniser le calendrier juif avec les saisons et l’année tropique, certaines années comptent 13 mois pour rattraper le décalage de 11 jours (le mois supplémentaire est inséré juste après le mois de shebat : il est appelé adar et compte 30 jours ; le mois qui le suit est appelé adar2 ou vé-Adar). Ces années à 13 mois sont appelées « embolismiques », du grec embolismos : « intercalaire » (en hébreu : méoubérêt). 5 Les 24 classes de sacrificateurs étaient composées chacune de sept à neuf prêtres [ kôhanim], tous tirés au sort : « On les répartit par le sort, les uns comme les autres ; il y eut des officiers consacrés, des officiers de Dieu, parmi les fils d’Eléazar comme parmi les fils d’Itamar » (1Chr 24,5) ; « Yehoyarib fut le premier sur qui tomba le sort… le septième, à Haqqots ; le huitième, à Abiya » (1Chr 24,10). C’est Flavius Josèphe (AJ 7,365-366) qui précise que chaque classe officiait une semaine entière de sabbat à sabbat. 6 Sh. TALMON et I. KNOHL, 1995. Ce calendrier est constitué de cinq fragments de parchemin uploads/Litterature/ bruno-bioul-sur-la-nativite.pdf

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