Camus, L’Etranger Dissertation sur Meursault,personnage tragique. Meursault, le
Camus, L’Etranger Dissertation sur Meursault,personnage tragique. Meursault, le héros de L’Etranger d’Albert Camus a pu être interprété comme un personnage tragique de l’Antiquité au sens où il subit un destin prédéterminé et où il contribue par sa conduite désastreuse à sa chute irrémédiable. Meursault est condamné à mort d’entrée de jeu. Son nom même renvoie au verbe mourir et le récit de sa vie avant son exécution prend les accents du célèbre journal de Victor Hugo Le Dernier Jour d’un condamné à mort, ultime confession avant le châtiment suprême, la décapitation. On sent dans les dernières pages l’imminence du supplice qui rend poignante cette récapitulation des faits qui l’ont conduit jusque-là. La mort est d’ailleurs omniprésente dans ce livre dont l’action est située en Algérie à la fin des années trente. C’est non seulement celle de son père – Meursault à l’instar de Camus est un orphelin élevé par une pauvre mère analphabète – puis ce sera le tour de sa génitrice (et non « fécondatrice », chère Grace !) en guise de préambule au récit, comme un signe de la malédiction qui pèse sur cette famille sans descendance. Viendra l’assassinat d’un Arabe sur la plage par notre héros qui en percevra la portée tragique puisqu’il évoque à cette occasion les « quatre coups brefs (…) frapp[és] sur la porte du malheur ». On peut certes penser que Meursault est un personnage agi et non agissant comme on pourrait s’y attendre de la part d’un héros de roman. Son sort est sans doute scellé par les figures féminines de sa vie : en effet au cours de son procès on lui reprochera l’abandon de sa mère à l’hospice de Marengo, son insensibilité à sa mort et le jour de l’enterrement, son absence de larmes, son besoin de fumer une cigarette, sa baignade avec Marie Cardona. On y verra là des signes évidents de son inhumanité passibles de la plus haute condamnation. Sa relation avec Raymond Sintès le proxénète auteur de sévices sur une jeune Algéroise cautionnés par Meursault alimentera également l’accusation du procureur, d’autant que la victime de Meursault n’est autre que le frère de la jeune femme. Quant au témoignage de Marie, au lieu d’alléger les réquisitions qui pèsent sur son ami, il ne servira qu’à charger le portrait d’une créature jugée étrangère à la société, incapable d’éprouver des sentiments ordinaires ou de se conformer aux normes, aux pratiques sociales dûment établies. Si les femmes jouent donc bien un rôle dans la destinée fatale de Meursault, on ne peut nier que le personnage lui-même contribue grandement à sa propre défaite. Il se signale souvent par des formules insignifiantes comme « je ne sais pas », « je leur ai dit qu’on ne pouvait jamais savoir », « cela ne signifiait rien », aussi bien quand Marie lui fait sa demande en mariage que lorsque son patron évoque la possibilité d’un avancement à Paris. On pourrait croire que tout arrive sans que Meursault ait son mot à dire, comme s’il n’avait aucune prise sur la réalité : le décès de sa mère, l’enterrement au cimetière près de l’asile, les démêlés sordides de Raymond avec une prostituée etc. En réalité l’indifférence de l’Etranger n’est peut-être qu’une apparence, un leurre, un moyen de montrer que la vie répétitive et monotone de tout un chacun mène inéluctablement à la mort. L e héros se plie sciemment à la mécanique absurde de la condition humaine décrite par Camus dans son célèbre essai Le Mythe de Sisyphe. On peut alors interpréter le meurtre commis par Meursault comme un geste symbolique qui l’affranchit de la routine quotidienne et lui permet d’accéder à une conscience supérieure de soi et du monde. Le narrateur nous l’explique comme il le refera devant ses juges qu’il subit ce jour-là une véritable agression du monde extérieur, du soleil dont « la lame a giclé sur l’acier et c’était comme une longue lame étincelante qui [l]’atteignait au front ». Et au moment où il va tirer, il sent « le ciel [qui] s’ouvrait sur toute son étendue pour laisser pleuvoir du feu ». La violence de son acte meurtrier rejoint celle de l’univers avec qui il communie : « j’ai crispé ma main … j’ai secoué la sueur et le soleil … j’ai tiré quatre fois … ». Par ce crime somme toute gratuit, il rompt avec la monotonie absurde de la vie, se sent exister comme il le manifestera dans la seconde partie du livre. En effet son attitude désinvolte au cours de son procès peut être lue comme une participation a minima à sa propre condamnation : il refuse de respecter les codes de la justice pour mieux montrer la bêtise du monde judiciaire, procureur en tête. Lorsqu’il rejette le secours de l’aumônier, il veut exprimer sa vérité, son athéisme quitte à « rejeter [s]on propre pourvoi ». Meursault incarne alors le héros tragique moderne dans un monde marqué par le matérialisme et le non-sens de l’absurde métro-boulot-dodo : il parvient à exhiber la fausseté de la société sur les plans moral, judiciaire et religieux et sa révolte, car son crime en est une forme extrême, le marginalise de telle sorte qu’il se sacrifie volontairement pour retrouver la paix de l’âme dans le calme, le silence de la nuit carcérale avant le déchaînement de la foule inhumaine, le jour de son exécution. uploads/Litterature/ camus-dissert.pdf
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- Publié le Fev 24, 2022
- Catégorie Literature / Litté...
- Langue French
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