La conquête de Canaan : un génocide ? La conquête de Canaan : un génocide ? Ron

La conquête de Canaan : un génocide ? La conquête de Canaan : un génocide ? Ronald BERGEY* Une lecture rapide du livre de Josué achoppe sur les récits de guerre aux chapitres 6 à 12. De cette narration de la conquête de Canaan ressortent souvent deux impressions inquiétantes, d’abord celle d’une vague de destruction de villes rasées et de terres désolées, puis celle d’habitants vaincus, massacrés dans un véritable bain de sang. Ces impressions semblent confirmées par le narrateur des récits de bataille. Il martèle son message: « Josué battit tout le pays (…) il ne laissa aucun survivant. Il frappa d’anathème tout ce qui respirait », et le clou est d’autant plus enfoncé par l’affirmation « comme l’avait ordonné le Seigneur, le Dieu d’Israël » (Jos 10:40). Le Pentateuque dépeint en termes durs la manière dont Dieu va, ou Israël doit, traiter les nations en Canaan. Elles seront effacées (khd Ex 23:23), chassées (grs Ex 23:28-31; Dt 7:1), expulsées (nsl Dt 7:1), repoussées (hdp Dt 9:4), retranchées (krt Dt 12:29), détruites (smd Dt 12:29), ou dépossédées (yrs Dt 9:5, 12:29) . Le verbe le plus dur est heherîm (hrm) d’où est dérivé le nom herem. Deux lois deutéronomiques prescrivent cette sanction pour les sept nations de Canaan: « Tu les voueras à l’interdit » ou, traduit autrement, « tu les frapperas d’anathème » (Dt 7:2, 20:17) . C’est d’abord en Transjordanie, selon les récits de guerre en Deutéronome 2 et 3, et puis en Cisjordanie, d’après Josué 6 à 12, où l’anathème est appliqué . La politique d’anathème, selon les sommaires des campagnes militaires majeures (Jos 10:40, 11:20), semble s’étendre sur la majorité sinon toutes les villes dont les Israélites ont pu s’emparer. Dans les récapitulatifs de batailles individuelles où le herem a été appliqué se trouvent également les expressions dures comme « ils les passèrent au fil de l’épée », ou « il ne resta rien de ce qui respirait », rendues parfois plus poignantes par le rajout « hommes, femmes et enfants » (Dt 2:34, 3:6; Jos 6:21, 10:40, 11:11, 14, 12:40). Comment donc ne pas tirer la conclusion qu’Israël était bénéficiaire d’un pays donné en héritage découlant de lait et de miel au prix du sang coulé des populations vaincues? Quel meilleur mot choisir pour qualifier ces impressions si ce n’est le génocide? Et ne peut-on pas, comme A. de Pury, sérieusement se demander: « Si le dieu d’Israël est vraiment… un dieu sanguinaire qui appelle son peuple au combat et qui ordonne des massacres, comment confesser que ce dieu est le même que le dieu du NT, le Père de Jésus-Christ? » Croire en l’extermination des Cananéens sur l’ordre de Dieu pose un problème de taille d’ordre éthique et théologique. Plusieurs données restant dans le dossier biblique perturbent, pourtant, cette lecture lapidaire et troublent les premières impressions. Elles nous obligent à rouvrir le dossier « génocide » et à mener une nouvelle enquête en deux temps. D’abord, quant au pays conquis, l’aspect matériel sera abordé, puis à l’égard du peuple vaincu, l’aspect moral sera sondé pour déterminer la nature de l’anathème des habitants de Canaan. I. Le pays de Canaan: l’aspect matériel de la conquête 1. Une vague de destruction? La Revue réformée La revue de théologie de la Faculté Jean Calvin 1 2 3 4 Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies. Ok Ok Contrairement à ce qu’on peut penser, seules trois villes, parmi la trentaine vaincues mentionnées (Jos 12), auraient été brûlées: Jéricho (6:24), Aï (8:19, 28) et Hatsor (11:10-11). A propos de la campagne militaire au nord, il est précisé: « Mais Israël ne brûla aucune des villes à l’exception seulement de Hatsor. » (11:13) Dans le Pentateuque, les passages relatifs à l’installation préconisent que les Israélites posséderaient les villes et les maisons qu’ils n’avaient pas bâties et les terres qu’ils n’avaient pas cultivées (Dt 6:10-11, 19:1-2; cf. Nb 35:1-5). Le massif central sous contrôle israélite demeurait couvert de forêts denses (Jos 17:14-18) et l’usage, même restreint, des arbres pour assiéger une ville fait l’objet d’une loi deutéronomique (20:19-20). Rien ne laisse penser qu’ils avaient comme objet la destruction des villes et de leurs terres. En revanche, les Israélites devaient détruire les lieux de culte. La loi d’anathème de Deutéronome 7 stipule: « Vous renverserez leurs autels, vous briserez leurs stèles, vous abattrez leurs poteaux d’Achéra et vous brûlerez au feu leurs statues. » (Dt 7:5; cf. Ex 23:10-30; Nb 33:51-56; Dt 6:14-19, 7:22-24, 12:2-3, 29-31) Comme le résume A. Millard: « Les récits bibliques de l’arrivée du peuple d’Israël en Canaan ne mentionnent la destruction que de quelques villes (…) il lui suffisait de détruire les rites païens des Cananéens et les accessoires de leur culte (…) [A] part ces trois villes [Jéricho, Aï, Hatsor], on ne doit guère retrouver de trace physique de la conquête, hors du domaine religieux. » 2. Une conquête de la terre promise entière sous Josué? En effet, le territoire conquis sous Josué ne comprenait que certaines régions. Le narrateur, dans ses bilans de la conquête en Josué 10 et 11, fait ressortir les territoires sous contrôle israélite. Ce sont des enclaves des coteaux occidentaux du massif central et de la haute Galilée, c’est-à-dire le pays des Amoréens. Puis, en introduisant les récits de l’installation en Josué 13 à 19, ce narrateur fait également remarquer « le pays qui reste ». C’est la majeure partie du pays, le territoire qui reste sous le contrôle des Cananéens. Il constate aussi que les tribus individuelles, surtout en Cisjordanie, n’ont pas pu (ykl) déposséder les habitants (Jos 15:63, 16:10, 17:12; cf. 17:16-18; Jg 1:21, 27; Nb 13:29; Dt 7:22) ou encore les régions où les Cananéens et les Amoréens ont persisté (y’l) à rester (Jos 17:12; Jg 1:27, 35). Ce constat est renforcé par le refrain se référant à chacune des tribus mentionnées: tribu x « ne déposséda pas les habitants » de son héritage (Jos 13:13, 16:10; Jg 1:19, 21, 27, 29, 30, 31, 33). Par conséquent, ces peuples ont continué à habiter, dit le narrateur, « au sein d’Israël jusqu’à aujourd’hui » (Jos 13:13, 15:63, 16:10; Jg 1:21, 29, 32, 33; cf. 2 S 24:7). Quelle que soit la datation de l’arrivée en Canaan des Israélites, fin du XV ou milieu du XIII siècle, l’évidence archéologique montre la continuité générale de la culture cananéenne pendant l’âge du bronze récent (1550-1200) et l’âge du fer I (1200-1000), même si certaines villes ont été détruites et reconstruites plusieurs fois (par exemple Hatsor) . Du côté israélite, les XIV et XII siècles sont les périodes de nouvelles implantations et de reconstruction d’anciennes villes inhabitées parfois depuis plusieurs siècles. Ces sites sont précisément dans les régions mentionnées dans les récits bibliques, c’est-à-dire dans les coteaux du massif central pas ou peu habités par les Cananéens . Comment alors interpréter ces expressions « le pays qui reste » et les habitants pas dépossédés demeurant « au sein d’Israël jusqu’à aujourd’hui », juxtaposées aux résumés de la conquête disant que « Josué prit donc tout le pays exactement comme le Seigneur l’avait dit à Moïse », ou « le Seigneur livra tous leurs ennemis entre leurs mains » (Jos 11:23, 21:44; cf. 10:40, 42, 11:16, 23)? Or, c’est dans ces mêmes versets que la réponse réside. « Tout le pays » est précisé: « la montagne, le Néguev, le Bas-Pays (Shephéla), les coteaux » (10:40; cf. 11:16). Ce pays signifie, dans ce contexte, partout où les Israélites sont allés et toutes les enclaves stratégiques dont ils ont pris possession dans cette première phase de leur pénétration . L’expression inverse, « le pays qui reste », est également qualifiée. Il s’agit des vastes plaines fertiles parsemées de grandes villes fortifiées cananéennes que traversait la route internationale reliant la Mésopotamie et l’Egypte: la plaine côtière, la plaine est-ouest d’Yizréel 5 6 e e 7 e e 8 9 10 Nous utilisons des cookies pour vous garantir la meilleure expérience sur notre site. Si vous continuez à utiliser ce dernier, nous considérerons que vous acceptez l'utilisation des cookies. Ok Ok et la plaine au sud et au nord du lac de Galilée (Jos 13:1-6; Jg 3:3). Ces territoires restaient dans les mains des Cananéens (Jos 11:3; cf. Nb 13:29). La longue durée de la prise de possession du pays donné en héritage est signalée dans le Pentateuque et dans les récits en Josué et en Juges. Par exemple: « Je ne les chasserai pas en une seule année loin de toi, de peur que le pays ne soit désolé et que les animaux sauvages ne se multiplient contre toi. Je les chasserai peu à peu loin de ta face, jusqu’à ce que tu puisses hériter du pays. » (Ex 23:29-30; Jos 23:12-13; Jg 2:21-23; cf. Ex 34:24; Dt 7:22, 12:20) Ce n’est qu’à partir du règne de David, et finalement à l’époque de Salomon, uploads/Litterature/ cancan.pdf

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