Le délire occidental et ses effets actuels dans la vie quotidienne : travail, l

Le délire occidental et ses effets actuels dans la vie quotidienne : travail, loisir, amour Et si la raison occidentale était devenue délirante ? Si tel était le cas, alors il faudrait entreprendre séance tenante une « psychanalyse » de ce délire occidental. Dany-Robert Dufour s’en donne les moyens. Il part de ce que Descartes proposait dans Le discours de la méthode, fondement de la raison moderne : que les hommes « se rendent comme maîtres et possesseurs de la nature ». Un tournant dans l’aventure humaine qui a entraîné le développement progressif du machinisme et du productivisme, jusqu’à l’inflation technologique actuelle affirmée comme valeur suprême. Si ce délire occidental fait aujourd’hui problème, c’est qu’il a gagné le monde (la mondialisation néolibérale qui exploite tout, hommes et environnement, à outrance) et qu’il est appelé, comme tout délire, à se fracasser contre le réel. D’une part, parce que la toute-puissance et l’illimitation des prétentions humaines qu’il contient ne peuvent que rencontrer l’obstacle : notre terre réagit déjà vigoureusement aux différents saccages en cours. D’autre part, parce que ce délire altère considérablement les trois sphères fondamentales de la vie humaine que sont le travail, le loisir et l’amour en les vidant de tout sens – ce que l’auteur examine avec soin. Mais tout n’est pas perdu : c’est à une nouvelle raison délivrée de ce délire que Dany-Robert Dufour en appelle pour une refondation de la civilisation occidentale, dont il esquisse les possibles contours. Dany-Robert Dufour Dany-Robert Dufour est professeur des universités (en philosophie de l’éducation à Paris 8). Il a été détaché au CNRS, directeur de programme au Collège International de Philosophie et résident à l’Institut d’Études Avancées de Nantes. Il a écrit de nombreux livres, parmi lesquels une anthropologie du libéralisme en plusieurs volumes : Le divin Marché (folio essai), La Cité Perverse (folio essai) et L’individu qui vient… après le libéralisme (Denoël). DU MÊME AUTEUR ESSAIS Le Bégaiement des maîtres – Lacan, Benveniste, Lévi-Strauss… [1988], Érès, Toulouse, 1999 Les Mystères de la trinité, Gallimard, 1990 Folie et démocratie, Gallimard, 1996 Lacan et le miroir sophianique de Boehme, Epel, 1998 Lettres sur la nature humaine, Calmann-Lévy, 1999 L’Art de réduire les têtes, Denoël, 2003 On achève bien les hommes, Denoël, 2005 Le Divin Marché, Denoël, 2007 (folio essai 2012) La Cité perverse, Denoël, 2009 (folio essai 2012) L’enfant face aux médias (avec Dominique Ottavi), Fabert, 2011 L’Individu qui vient… après le libéralisme, Denoël, 2011 Il était une fois le dernier homme, Denoël, 2012 ROMAN Les Instants décomposés, Julliard, 1993 ISBN : 979-10-209-0152-1 © Les Liens qui Libèrent, 2014 Illustration de couverture : Droits réservés Dany-Robert DUFOUR LE DÉLIRE OCCIDENTAL et ses effets actuels dans la vie quotidienne : travail, loisir, amour ÉDITIONS LES LIENS QUI LIBÈRENT Seulement un coup d’épaule. Notre PIB prend en compte, dans ses calculs, la pollution de l’air, la publicité pour le tabac et les courses des ambulances qui ramassent les blessés sur nos routes. Il comptabilise les systèmes de sécurité que nous installons pour protéger nos habitations et le coût des prisons où nous enfermons ceux qui réussissent à les forcer. Il intègre la destruction de nos forêts de séquoias ainsi que leur remplacement par un urbanisme tentaculaire et chaotique. Il comprend la production du napalm, des armes nucléaires et des voitures blindées de la police destinées à réprimer des émeutes dans nos villes. Il comptabilise la fabrication du fusil Whitman et du couteau Speck, ainsi que les programmes de télévision qui glorifient la violence dans le but de vendre les jouets correspondants à nos enfants. En revanche, le PIB ne tient pas compte de la santé de nos enfants, de la qualité de leur instruction, ni de la gaieté de leurs jeux. Il ne mesure pas la beauté de notre poésie ou la solidité de nos mariages. Il ne songe pas à évaluer la qualité de nos débats politiques ou l’intégrité de nos représentants. Il ne prend pas en considération notre courage, notre sagesse ou notre culture. (…) En un mot, le PIB mesure tout, sauf ce qui fait que la vie vaut la peine d’être vécue. Robert F. Kennedy, discours à l’Université du Kansas, le 18 mars 1968. INTRODUCTION 1. Pourquoi sommes-nous si désenchantés 1 ? Quelle catastrophe a bien pu atteindre une civilisation aussi conquérante et sûre d’elle–même que celle de l’Europe pour que l’horizon paraisse soudainement, à la plupart, aussi bouché ? Comment analyser ce mélange de mélancolie générationnelle, d’impuissance politique, de misère due aux petits boulots, aux jobs décérébrants ou au chômage chronique qui frappe une bonne partie de la population – pas seulement les jeunes adultes – et qui s’exprime sous les couleurs du désarroi ironique, de l’aquoibonisme, voire même d’une amertume qui fait craindre le retour d’heures très sombres ? Telle est la question à laquelle j’essaierai de répondre dans ce livre. Je le ferai en philosophe, c’est-à-dire en tentant de prendre la hauteur nécessaire pour ne pas risquer de m’égarer en trivialités et pour viser au cœur de la question : elle porte sur les origines et le destin de la civilisation occidentale – en un mot, son programme. 2. Ce n’est certes pas la première fois que l’Europe est saisie de frissons. Le XXe siècle, pour s’en tenir à l’époque récente, a connu son lot de cauchemars. Le temps des régimes totalitaires n’est pas si loin. Celui des fascismes bruns avec’l’acmé du nazisme, lors duquel on vit une partie de l’humanité entreprendre d’en détruire une autre en employant les moyens de la grande industrie. Celui des totalitarismes rouges, avec l’apogée du stalinisme lors duquel on vit le parti qui devait libérer le peuple enfermer la société civile dans une vaste prison avec sa police politique omniprésente, ses immenses procès truqués, ses purges massives, ses internements psychiatriques, ses oubliettes sibériennes, ses mitards et ses salles de torture, si ce n’est d’exécutions sommaires – cela au nom, bien sûr, des multiples bonheurs à venir. De cela, nous sommes heureusement sortis au prix d’innombrables sacrifices humains. N’oublions jamais ces héros modernes – les résistants, les dissidents – qui permirent d’envisager que viennent enfin des « jours heureux » – c’était là le titre du programme du Conseil national de la Résistance, adopté dans la clandestinité (par des mouvements aux sensibilités très diverses) le 15 mars 1944, mis en œuvre dès la Libération. Le choix d’un tel titre n’est pas le fruit du hasard tant il évoque ce que Aristote appelait la « vie bonne » (Politique, I) – ce qui n’est pas étonnant quand on sait le rôle des intellectuels dans la Résistance, celui, par exemple, du futur grand helléniste Jean-Pierre Vernant qui, à la tête des FFI, sous le nom de colonel Berthier, libéra Toulouse de l’occupation nazie. La « vie bonne » suppose le cadre d’une cité juste permettant aux individus de réaliser toutes leurs virtualités. L’Europe occidentale, sortie plus tôt du cauchemar que celle de l’Est, connut alors ce qu’on appelle les Trente Glorieuses pendant lesquelles progressèrent le niveau de vie, la protection sociale (éducation, santé, justice) et les aspirations à une culture libre largement partagée. À mettre également au crédit de cette époque, la décolonisation – encore que certains peuples durent payer leur liberté au prix de leur sang. L’Europe orientale, en manque de ces progrès politiques, économiques et sociaux et elle-même colonisée par le « grand frère » soviétique, se prit à espérer tant et si bien que ses peuples réussirent finalement à faire tomber le mur de la honte dans lequel leurs maîtres s’étaient eux-mêmes enfermés. 3. Or, voici que de lourds nuages s’amoncellent à nouveau au-dessus de notre continent. Des formes de souffrance que l’on croyait disparues et d’autres, nouvelles, viennent hanter notre monde, alors qu’un horizon apocalyptique est d’ores et déjà annoncé par nombre de scenarios catastrophes, les pires et les meilleurs. Il y en a pour tous les goûts en ce domaine : cela va de la soit disant prophétie maya 2 relayée, sitôt résorbée, par la prophétie de saint Malachie (l’actuel pape, François I er, sera le dernier parce que « le Juge redoutable jugera alors son peuple ») à des films de bons réalisateurs évoquant une fin du monde venue non du ciel ou des étoiles, comme dans les fictions millénaristes d’autrefois, mais secrétée par l’activité humaine (Melancholia de Lars von Trier, Beasts of the Southern Wild de Benh Zeitlin, 4:44 Last Day on Earth de Abel Ferrara, Take Shelter de Jeff Nichols, Snowpiercer, le Transperceneige de Bong Joon- ho, Elysium de Neill Blomkamp…). Que ces hantises soient plus ou moins bien exprimées, illustrées ou expliquées n’est pas la question. Elles sont là et on comprend aisément d’où sort cet imaginaire. La Terre est un ensemble complexe de paramètres qui présente un état apparent de stabilité, tel qu’on croit volontiers que rien ne peut lui arriver quoi qu’on lui inflige. Mais, en fait, cet ensemble n’est que métastable : cela signifie que cette stabilité apparente peut s’inverser en instabilité brutale sous l’influence d’actions extérieures importantes, avant de retrouver uploads/Litterature/ le-delire-occidental-editions-les-liens-qui-liberent.pdf

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